télévisionLa télé et le sida : les 10 moments qui ont marqué les esprits

Par Ambre Philouze-Rousseau le 25/08/2017
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Alors que la sortie du film 120 Battements par minute, de Robin Campillo, met un coup de projecteur inédit sur Act Up-Paris et les années sida, les archives de la télévision de l'époque témoignent d'un traitement médiatique qui a également façonné ces années de lutte.

1983-1995, les années sida. L'hécatombe et la lutte des corps face à l'ignorance et au refus de voir. Alors que les militant·e·s cherchent à occuper le terrain, les stratégies médiatiques se mettent en place. Pour pallier l'ignorance et rendre compte de la lutte, la télévision devient l'un des canaux privilégiés. Retour, en dix extraits de l'époque, sur les actions d'Act Up-Paris, les interventions des militants sur les plateaux, les prises de parole des personnalités publiques mais, aussi, la sérophobie crasse de certaines déclarations...

1984, le mirage d'un vaccin

24 avril 1984. Des chercheurs de l'Institut Pasteur en France et des chercheurs américains arrivent à isoler le virus du sida. Jusqu'alors, le sida était qualifié de « nouvelle forme de cancer » ou bien de « sarcome de Kaposi ». Depuis 1981, il est estimé que 1.700 personnes sont déjà mortes des suites de la maladie aux États-Unis. Au journal de 20h d'Antenne 2, le journaliste annonce que les causes de la maladie sont sur le point d'être découvertes. Il évoque également un vaccin d'ici les deux prochaines années. Depuis, ce vaccin n'a jamais cessé d'être annoncé mais n'a toujours pas vu le jour...

1993, l'obélisque encapoté

Des années de lutte d'Act Up-Paris, une image a particulièrement marqué les esprits : l'obélisque de la Condorde encapoté. Le 1er décembre 1993, à l'occasion de la Journée mondiale contre le sida, les militant·e·s actupien·ne·s habillent l'obélisque d'une géante capote rose. Une action que la marque Benetton a aidé à financer. Quelques temps auparavant, sa campagne publicitaire sur les tatouages HIV avait été controversée.

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1994, les Champs-Élysées bloqués

Un an plus tard, Act Up bloque les Champs-Élysées pour protester contre le premier sommet sur le sida, à Paris. Les militant·e·s dressent une banderole de part et d'autre de l'avenue. En grosses lettres : "Un sommet de plus; toujours pas de politique globale de lutte contre le sida." Comme pour la capote sur l'obélisque, cette action d'Act Up est une opération médiatique réussie puisque les images sont diffusées dans les journaux télévisés des grandes chaînes.

1993, glaçant "Durand la nuit"

En 1993, l'un des zappings quotidiens de Canal+ revient sur le traitement médiatique de l'épidémie. Il met l'accent sur deux émissions : Mea Culpa et Durand la nuit, toutes deux sur TF1. Présenté par Guillaume Durand, Durand la nuit fut l'occasion d'une séquence glaçante. Alors que plusieurs séropositifs sont sur le plateau pour témoigner, l'un d'entre eux se met à convulser. Une image extrêmement rare à la télévision française. L'émission est interrompue par le présentateur qui se dit "très ému".

1994, premier Sidaction

Le Zénith de Paris, 7 avril 1994. Une première dans l'histoire de la télévision : les chaînes se coordonnent et décident de proposer un programme unique. Le Sidaction gagne les écrans de TF1, France 2, France 3, Canal+, Arte, M6 et RFO. L'occasion de sensibiliser une large audience, de donner la parole aux personnes vivant avec le VIH, aux militants, mais aussi de mobiliser des personnalités publiques. Résultat : 23 millions de Français·es devant leur poste et 45 millions d'euros récoltés.

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1990, Hervé Guibert témoigne

Quelques années auparavant, des personnalités avaient déjà pris la parole pour témoigner des ravages du sida. En 1990, Hervé Guibert est interviewé par Bernard Pivot, dans Apostrophes sur Antenne 2, pour son ouvrage À l'ami qui ne m'a pas sauvé la vie. Lui-même porteur du VIH, il revient sur la mort du philosophe Michel Foucault, un ami proche depuis 1977, des suites du même virus. Hervé Guibert se rappelle des longs et douloureux moments à son chevet, de l'annonce de sa propre séropositivité et de l'impact que celle-ci a eu sur sa vie. L'auteur décède l'année suivante, après avoir tenté de mettre fin à ses jours.

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1994, le baiser de Clémentine Célarié

Des personnalités, il en est également question dans cet extrait du premier Sidaction, dans un registre différent. Alors que la thématique abordée est celle de la contamination, l'actrice Clémentine Célarié décide d'embrasser le jeune séropositif qui est à ses côtés. Un geste qu'elle veut efficace et didactique. En 1994, et encore bien après, le fantasme selon lequel le VIH peut se transmettre par un baiser, voire par le toucher, est toujours très présent. Un fantasme qui accentue l'exclusion et la sérophobie auxquelles font face les séropos.
Selon le sondage sur "Les jeunes et la prévention contre le VIH/sida : suivi barométrique de l'Ifop pour Sidaction", réalisé en février 2016, 20% des 15-25 ans pensent encore que le sida peut se transmettre en embrassant une autre personne.

1987, la sérophobie crasse signée Le Pen

Un fantasme notamment véhiculé par Jean-Marie Le Pen à plusieurs reprises. En 1987, sur le plateau de L'heure de vérité, il fait une comparaison, malheureusement restée connue, entre les malades du sida et les lépreux...

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1994, le spot choc d'Act Up

En 1994, Act Up lance un spot de prévention choc intitulé "La Table". La vidéo débute par un hommage à Cleews Vellay, président d'Act Up-Paris de 1992 à 1994, mort des suites du sida le 18 octobre 1994. Il demeure une figure emblématique de l'association. Ce spot met en scène une tablée d'ami·e·s qui se retrouvent chaque année. Les années passent et les chaises se font de plus en plus vides...

1996, le "pays de merde" signé Christophe Martet

En 1995, sur les ondes de la radio et sur les écrans de télévision, des spots publicitaires appellent aux dons. 6 millions d'euros sont récoltés malgré le fait qu'aucune soirée Sidaction ne soit organisée. Le 6 juin 1996, la deuxième édition s'installe sur les chaînes de télé pendant presque 6 heures. Pourtant, seulement 9,9 millions d'euros sont récoltés. Malgré cet échec côté collecte, cette deuxième édition est marquée par le coup de gueule salutaire de Christophe Martet, alors président d'Act Up-Paris. Aucune vidéo encore disponible ne propose l'intégralité de la séquence dont voici le déroulé :
Christophe Martet interpelle le ministre de la culture présent sur le plateau, Philippe Douste-Blazy. Le sujet : les expulsions d'étrangers malades du sida. Christophe Martet est aux côtés de son compagnon, François, séronégatif alors que lui est séropositif. Sur le papier, les deux hommes sont censés parler de leur couple. Mais Christophe Martet l'annonce d'entrée de jeu : « Je n'ai pas très envie de parler de moi. » À la place, il témoigne pour Marie-Louise, séropo originaire du Zaïre, dont le fils est malade du sida. Elle risque l'expulsion, ce qui la condamnerait « à mort », évoque-t-il avant de poursuivre : « Voilà ce que c'est de vivre avec le sida pour des centaines, des milliers de personnes en situation irrégulière ! » Il élargit alors sa réflexion et pointe les manquements du Sidaction : « Le sida c'est pas ça ! 40 % des malades en France sont homosexuels ! 40% sont toxicos ! Ok, il y a 600 enfants touchés par le sida, mais il y a 30.000 pédés et toxicos qui sont morts du sida ! » Le président d'Act Up-Paris n'oublie pas d'également mentionner la situation dans les prisons, qu'il qualifie de « catastrophique ». « Il y a 2 ans, sur ce même plateau, M. Douste-Blazy a promis des choses. Mais depuis, les choses ne se sont pas améliorées, au contraire ! », affirme-t-il. Alors que le ministre tente de répondre, Christophe Martet lâche : « Je suis en colère, merde ! C'est quoi ce pays de merde ? ». Puis, il quitte le plateau. Son compagnon aussi, avec une dernière sentence : « Vous êtes un assassin ».

Cet événement a été assez largement critiqué médiatiquement, par Libération notamment. En effet, dans un article daté du lendemain, les journalistes Eric Favereau et de Michel Henry relayaient les craintes des "responsables de la soirée" quant à ce que la polémique puisse avoir "une influence néfaste sur le volume des dons". Il ne va pas sans dire que le déroulé de la soirée narré par ces deux journalistes tendait à accréditer cette hypothèse...

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