homosexualitéRobert Spitzer, ou quand les homos ont cessé d'être des malades mentaux

Par Bastien Bluzet le 11/01/2016
Robert Spitzer
Le psychiatre américain Robert Spitzer est mort le 25 décembre dernier à 83 ans. L’histoire le retiendra notamment comme celui qui sortit l’homosexualité du Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux (DSM) en 1973 à l’issue d’une lutte acharnée contre des psychanalystes conservateurs. Michel Minard, psychiatre et spécialiste du DSM, a répondu à nos questions. On lui doit notamment le DSM-Roi, paru aux éditions Érès, ouvrage dans lequel il revient sur l’implication de Robert Spitzer dans ce qu’il appelle la « bataille de l’homosexualité ».

Photo non datée (Brian Chapman/Courtesy Spitzer family via AP)
Robert Spitzer. Photo non datée (Brian Chapman/Courtesy Spitzer family via AP)

 
Vous parlez d’un « débat enflammé » au début des années 1970 sur le statut psychiatrique de l’homosexualité. Pouvez-vous redessiner le contexte de ce débat ?
Il s’inscrit d’abord dans la suite des émeutes de Stonewall qui commencèrent le 28 juin 1969. La deuxième version du DSM avait paru en 1968, année agitée pour les mœurs aux Etats-Unis comme ailleurs. Dans l’ouvrage, l’homosexualité arrivait en tête de la liste des déviations sexuelles. Plusieurs associations de gays et de lesbiennes se sont mobilisées contre cette classification. Leur mode d’action consistait à perturber les congrès de l’American Psychiatric Association (APA) en foutant la merde, si vous me passez l’expression. Ils ont trouvé le soutien d’autres militants, notamment celui des féministes et des opposants à la guerre du Vietnam. Ces-derniers avaient la revendication exactement inverse à celle des homos : ils voulaient faire entrer le trouble post-traumatique dans le DSM, là où les homos demandaient le retrait de la mention de l’homosexualité comme déviance.
Est-ce finalement cette « bataille de l’homosexualité » qui a posé la question de la validité des troubles mentaux ?
Tout à fait. C’est un marqueur pour le XXe siècle qui a permis d’autres remises en cause du diagnostic établi par le DSM. Ceci dit, déjà au XIXe siècle, une bataille avait eu lieu dans un autre domaine : un psychiatre avait inventé la drapétomanie, une prétendue maladie mentale qui aurait poussé certains esclaves Noirs américains à fuir la demeure de leur maître… Ensuite, il faut attendre l'année 1968 pour qu’une cause ait autant de retentissement que cette bataille de l’homosexualité dans le domaine psychiatrique.
Comment s’est concrétisé l’engagement de Robert Spitzer ?
Spitzer est hétérosexuel. Il a presque « découvert » les homosexuels par le biais de ces groupes de militants qui venaient manifester dans les congrès de l’APA. En 1972, au congrès de Dallas, un intervenant a fait forte impression sur lui : il s’agissait d’un professeur de psychiatrie homo qui témoigna anonymement, avec un masque, une perruque, et en modifiant sa voix. Il expliqua la difficulté d’exercer son métier en étant homo, autrement dit malade mental puisque c’est ainsi que le DSM le classifiait. Spitzer par la suite est allé à la rencontre des associations et a tout mis en œuvre pour retirer l’homosexualité du manuel.
On sait qu’il a pourtant continué d’étudier les possibilités de « soigner » les homosexuels…
Dans un premier temps, il a proposé de maintenir l’homosexualité mal vécue dans la liste des déviances avant de choisir de la retirer complètement. Il a organisé à cette fin la première table-ronde « gays-psys » en 1973. Ronald Gold, le cofondateur de la National Gay and Lesbian Task Force, a prononcé un discours qui s’intitulait : Stop it, you’re macking me sick (Arrêtez, vous me rendez malade), qui fit encore une fois forte impression. L’APA vote le retrait de l’homosexualité en décembre 1973. Le 12 décembre, le Washington Post écrit : « Les médecins décrètent que les homosexuels ne sont pas anormaux ». Mais en effet, bien plus tard, il étudiera les possibilités de « traitement » pour les homosexuels qui ne souhaitent pas l’être (on appelle cela une orientation sexuelle égodystonique). C’est là qu’on retrouve un paradoxe chez cet homme. Il a en tout cas expliqué au journaliste américain Gabriel Arana, qui avait participé à ce programme de recherche de l’APA pour « devenir hétéro » au début des années 2000 avant de s’en détourner, que cette recherche était le seul regret de sa carrière et présenté des excuses publiques à la communauté homo. Il a ajouté que sa plus grande fierté était d'avoir contribué à retirer l'homosexualité de la liste des troubles mentaux.