lesbiennesOn a vu Free Love, demain au cinéma

Par Adrien Naselli le 09/02/2016
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Après Carol et The Danish girl, le début de l’année 2016 est chargé en films LGBT destinés à un large public. Avec Free Love, Peter Sollett propose un drame inspiré de personnages réels qui ont grandement contribué, malgré eux, à la bataille juridique pour l’ouverture du mariage pour tous aux États-Unis. Le film se focalise sur les détails pour rendre justice à l’histoire de ces deux femmes au risque de plonger le spectateur dans une œuvre bancale qui ne se décide jamais entre le documentaire et la fiction; menaçant également de le faire passer à côté de l’émotion et de lui faire perdre son intérêt pour le combat de Laurel Hester. Attention, spoilers.

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LAUREL ET STACIE

Début des années 2000. Laurel Hester est flic dans le New Jersey. Elle mène une brillante carrière, seule femme dans un environnement exclusivement masculin. Son collègue, Dane Wells, est un peu amoureux d’elle ; Laurel vit dans le placard. Elle rencontre Stacie Andree, de quinze ans sa cadette, lors d’une séance de volleyball. Stacie, elle, n’est pas dans le placard. Jeune butch travaillant dans un garage, elle drague sans hésiter Laurel qui se laisse proposer une sortie.

Leur relation démarre vite, après de maigres péripéties reposant sur le doute : "suis-je assez bien pour elle ? Qui est cette inspectrice obsédée par son métier ?" se demande Stacie. "N’est-elle pas trop jeune ?" s’interroge Laurel de son côté. À peine a-t-on le temps de voir naître leur amour que le sujet principal du film, le cancer des poumons de Laurel, rattrape le spectateur. Ce cancer, dont elle n’a que de très maigres chances de survivre, Laurel refuse qu’il prive Stacie non seulement de leur amour mais aussi de leur maison. Car au début des années 2000, les couples de même sexe aux États-Unis (qui n’ont droit au mariage que depuis juin 2015) ne peuvent pas faire hériter leur conjoint(e). Or Laurel est une privilégiée : officier du comté du New Jersey, elle est censée bénéficier d’une pension de reversion avantageuse, comme tout bon agent de l’État. Le comté la lui refuse.

On retrouve, comme dans Carol, deux personnages occupant des positions éloignées dans la société. Mais le film n’explore cet aspect qu’à travers l’énergie formidable que va mobiliser Laurel pour garantir une vie décente à Stacie après sa mort. Des associations militantes entendent parler de ce couple, débarquent en fanfare dans le New Jersey et transforment ce qui n’aurait pu rester qu’un fait divers en cas juridique.

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UN TÉLÉFILM SAUVÉ PAR LE CASTING

Tout ceci est un brin plat. La narration, tout comme la forme, sont très conventionnelles. Plus regrettable encore, Peter Sollett ne nous laisse pas le temps de nous attacher à la relation entre Stacie et Laurel : s’il nous montre leur quotidien, aucune situation un tant soit peu originale ne vient accrocher l’œil, sans doute dans un souci de ne pas s’éloigner de la réalité. Tout ce qu’on sait de Stacie et de Laurel, c’est qu’elles s’aiment et qu’elles veulent être tranquilles, dans leur maison, avec leur chien.

S’il y a bien une raison d’aller voir Free Love, outre l’intérêt, historique, de faire connaissance avec ces deux figures emblématiques de la lutte pour l’égalité, ce sont ses quatre acteurs principaux.  Ellen Page d’abord, première jeune actrice d’envergure internationale à incarner dans la vie comme à l’écran une jeunesse lesbienne assumée, depuis son coming out en 2014. Le premier intérêt réside là : voir cette actrice endosser le rôle qu’elle aurait pu refuser si elle était restée dans le placard comme nombre de ses collègues dissuadées par leurs agents. La voir, qui plus est, jouer une butch, que le film ne tente pas (trop) de glamouriser. Sa détresse contenue face à la lente agonie de Laurel est juste, sa fidélité à leur amour l’est encore plus.

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Julianne Moore ensuite, icône du cinéma indépendant et hollywoodien à la fois, qui rejoue un rôle de lesbienne après The Kids are all right. Qu’elle se repose calmement sur la plage avec Stacie, quand elle est encore en bonne santé, ou qu’elle tente d’articuler son discours en public pour supplier une dernière fois les patriarches du comté d’accepter sa requête, elle crève l’écran.

Michael Shannon est également l’une des très belles surprises de Free Love. Mec bourru qui ne l’ouvre pas trop, il connaît l’évolution la plus intéressante du récit. Après un accès de désespoir, quand Laurel fait son coming out, il s’engage totalement à ses côtés en travaillant ses collègues misogynes et homophobes au corps.

 
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Enfin, il y a Steve Carell qui incarne Steven Goldstein, un activiste juif new-yorkais qui se démène pour aider le couple. Il est le personnage comique du film. Folle à la langue bien pendue et toujours prêt à en découdre, il ne se sépare jamais d’une trentaine de militant(e)s engagé(e)s dans la bataille du mariage pour tous. Son énergie redonne du souffle au film et fait sourire : « Quand les gens ne respectent pas mes frères et sœurs gays, j’abats la terreur sur eux ! ». Mais le réalisateur ne laisse pas de côté l’ambiguïté de son engagement : il compte bien médiatiser l’histoire de ce couple pour mener la bataille politique du mariage pour tous sur le territoire étatsunien. Tandis que Laurel, qui ne pense qu’à Stacie avant de mourir, n’a qu’un mot à la bouche : « Égalité ».