Interview : Brice Coudert du Weather Festival : "La fête c’est casser les barrières entre les gens"

Par Julie Baret le 17/04/2016
interview Weather Festival Brice Coudert

Alors que les amateurs d’électro se bousculent pour acheter les billets du très prisé Weather Festival, TÊTU s’est glissé dans les coulisses de l’évènement en rencontrant l'un de ses créateurs, Brice Coudert.

Fort d’un succès toujours grandissant, le Weather Festival vient de dévoiler le teaser officiel de son édition 2016. Cette année, le plus grand festival de musique électronique parisien pose à nouveau ses valises entre les fusées du Parc des expositions du Bourget, pour une promesse de son quasi non-stop du 3 au 5 juin prochain. Pour l’occasion, TÊTU a rencontré celui qui dessine l’identité musicale du Weather Festival depuis la genèse du projet, le directeur artistique Brice CoudeBrice Coudert du Weather Festival : "La fête c’est casser les barrières entre les gens de différentes orientations sexuelles"rt.
TÊTU : Est-ce que pour commencer tu pourrais nous expliquer ton rôle au sein du Weather Festival ?

Brice : Alors moi je travaille pour Surpr!ze qui est la société qui gère le Weather Festival et Concrete. Et je suis plus spécifiquement au départ de l'aventure en fait. Je suis un des créateurs des deux projets, mais surtout je suis directeur artistique. Donc je m'occupe de toute la programmation du Weather et de Concrete, je supervise l'agence de booking puisqu'on a aussi des DJs qu'on vend un peu partout dans le monde. Et je gère également le label qui est relié à Concrete, qui s'appelle Concrete Music.

TÊTU : Comment est née l'idée du Weather Festival ?

Brice : Bah avant ça on avait monté le club Concrete en fait à Paris. Notre idée c'était déjà de faire découvrir la bonne musique électronique, la bonne techno, la bonne house à Paris, en faisant venir les artistes qui ne venaient pas forcément le plus. Avec des performances un petit peu plus underground que ce qu'on écoutait à cette époque-là. On voulait également développer un peu la scène locale parisienne, et donc les artistes français qui avaient un peu de mal à se faire connaître parce qu'il n'y avait tout simplement pas assez de clubs, il n'y avait pas assez d’événements à Paris. Alors voilà, on a monté Concrete. Deux ans après on a monté le Weather Festival dans exactement la même optique, mais en beaucoup plus gros : Concrete c'est 1 200 personnes par soirée, le Weather Festival c'est 50 000 sur un week-end. Donc l'idée c'était vraiment de faire accepter notre culture aux institutions, de montrer qu'aujourd'hui la techno n'est plus un mouvement marginal comme dans les années 1990. C'est une culture qui est répandue parmi la jeunesse. Tout le monde écoute de la techno. Donc l'idée c'était de montrer qu'on pouvait faire justement des événements de 50 000 personnes, de montrer que tout le monde écoute cette musique-là. Et par la même occasion, arriver à faire un événement assez gros pour arriver à ramener les gens de l'étranger. Les faire venir à Paris, et découvrir les artistes français qu'on met sur la programmation à côté des gros artistes étrangers.

TÊTU : Pourquoi avoir choisi la thématique du climat et des saisons pour le festival ?

Brice : Alors en fait ce n’est pas moi qui ai monté le projet Weather en tant que tel parce que c'était une simple soirée au départ. Donc ce n’est pas moi qui ai décidé du nom. Mais de ce que j'en sais, on avait Concrete le club, et donc le béton, quelque chose d'assez froid, d'assez sérieux. Et pour le festival on voulait quelque chose de plus ouvert au public, de plus joyeux, de plus ensoleillé. De plus solaire on va dire.

TÊTU : C'est pour ça que vous avez aussi choisi l'oiseau pour symbole ?

Brice : Voilà exactement, c'était pour avoir un petit message un peu plus positif que le côté underground qu'on nous connaît à Concrete.

interview Weather Festival Brice Coudert
Weather Festival 2014 au Bourget - Crédit photo Jacob Khrist

TÊTU : Tu parlais de la fréquentation du festival. Il y a eu 23 000 personnes en 2013, 50 000 en 2015. Vous attendez combien de festivaliers cette année ?

Brice : Oh je pense qu'on va rester dans les mêmes zones. La différence cette année c'est que le festival se déroule sur trois jours quasiment non-stop, avec juste des petits breaks et des gens qui vont avoir la possibilité de dormir sur place dans le camping. Donc je ne sais pas ce que ça va donner, on va voir... Faudra voir si on compte par jour ou sur le week-end. Je pense qu'on ne fera pas moins que l'année dernière en tout cas. Ça sera dans les mêmes eaux je pense.

TÊTU : A propos du camping, il y aura aussi possibilité de dormir à l'hôtel et dans des tipis aménagés. C'était important de pouvoir satisfaire différents profils de public ?

Brice : Complètement, parce que le festival s'adresse à un public très très large. Il y a des jeunes de 18 ans qui viennent, qui ont un budget très serré et qui vont privilégier le camping, et des gens de 35-40 ans qui vont vouloir être un peu plus à l'aise, donc qui vont prendre l'hôtel ou le tipi, qui est une formule assez marrante. Donc oui l'idée c'est de proposer quelque chose à tout le monde.

TÊTU : C'est pour ça aussi que vous avez créé le Mini Weather pour les enfants ?

Brice : Oui complètement. Ça aussi ça fait partie de notre démarche pour montrer que la musique électronique c'est pas qu'une musique de boîte de nuit pour danser, mais que c'est tout une culture. Pour montrer qu'au sein de la musique électronique il y a de la musique expérimentale, qu'il y a des choses qui peuvent plaire aux enfants, que c'est une vraie culture. Les deux années précédentes - surtout l'année dernière - ça a été un superbe succès, ça a été magnifique. Les parents, les anciens fêtards en fait, qui n'ont plus trop l'occasion de sortir, ont amené leurs enfants pour faire la fête le samedi après-midi. C'était assez joli à voir. C'était assez bon enfant, sans jeu de mots !

TÊTU : Comment expliques-tu le succès toujours grandissant de l’événement ?

Brice : Je pense qu'on est complètement dans l'air du temps. La techno c'est ce que les gens veulent aujourd'hui. Je pense qu'il y a un peu un ras-le-bol de la culture mainstream qui est de plus en plus "marketée", qui est de plus en plus uniforme un peu partout. Les gens veulent autre chose. Ils veulent de la musique avec un peu plus d'âme, avec des artistes peut-être moins connus. Et c'est ce qu'on offre. Les gens ont peut-être aussi envie d'autre chose que du clubbing de boîte de nuit où on arrive à 1 heure du matin, on s'enferme jusqu'à 5 heure, on se pose à une table avec une bouteille et on drague les filles. Les gens ont envie d'autres formats, on envie de faire la fête la journée, on envie de la faire la fête en plein air. Donc je pense qu'on répond à tous ces besoins et que c'est pour ça que ça marche.

TÊTU : Après avoir organisé le Weather Festival à Montreuil et Vincennes, vous revenez au Parc des expositions du Bourget. Quelle identité visuelle allez-vous proposer cette fois-ci ?

Brice : L'avantage c'est qu'on connaît bien le lieu puisqu'on y était il y a deux ans. Et on va jouer avec le lieu, donc on va rester dans quelque chose d'assez industriel mais avec un côté quand même un peu chaud. On n'a pas forcément réfléchi à une thématique. On n'est pas vraiment comme les gros festivals, on n'a pas envie d'être un Disney Land géant avec une seule thématique où les gens s'habillent tous de la même manière ou ce genre de choses... On veut surtout rendre le lieu agréable, donc d'un côté ça va être industriel et techno, et de l'autre côté quelque chose d'un peu accueillant. Ce qui va rendre le lieu agréable pour les gens qui vont y rester trois jours, avec beaucoup d'espace pour se reposer, et des endroits pour se balader tout simplement...

interview Weather Festival Brice Coudert
Weather Festival 2014 au Bourget - Crédit photo Jacob Khrist

TÊTU : Vous allez aussi lancer la saison des "Kiosques électroniques". Tu peux nous expliquer un peu le concept ?

Brice : C'est la mairie de Paris qui nous a proposé d'organiser plusieurs événements dans des kiosques à Paris. C'est quelque chose qui est important pour nous parce que ça fait un petit moment qu'on attendait d'avoir assez de soutien de la part de la ville de Paris pour être capable de proposer de la musique électronique aux gens de manière gratuite. Parce qu'il y a Johnny Hallyday sur le Champ-de-Mars, il y a plein de choses qui sont proposées aux gens de façon gratuite, et ça a jamais été fait pour la techno, parce que les institutions ont peur. Aujourd'hui on nous propose justement d'organiser ce genre d’événements, et je trouve que c'est assez encourageant. Ça montre qu'ils font vraiment un pas vers nous et ça va être de supers événements parce que c'est vraiment dans des kiosques, dans des parcs ouverts à tout le monde, ça sera vraiment familial. Donc ça sera assez rigolo je pense.

TÊTU : Et vous voulez étendre ça en dehors de Paris ?

Brice : Pour l'instant ça se fait ici donc on va voir. De toute façon on n'a pas toujours trop de vision dans le futur. On voit un peu ce qui arrive, on construit au fur et à mesure, on voit les opportunités qu'on a, et on essaie de prendre le temps. Les choses vont tellement vite qu'on essaie de ne pas voir trop loin.

TÊTU : Vous proposez un festival éco-responsable avec des toilettes sèches, des gobelets réutilisables, des lampes LED, etc. Pourquoi cet engagement ?

Brice : Parce que c'est important aujourd'hui de proposer des solutions écologiques. C'est vrai que ce qui nous a mis un peu le pied à l'étrier, c'est de travailler l'année dernière au sein du bois de Vincennes. Il y avait vraiment des impératifs, il fallait respecter le lieu, et on a embauché des gens qui travaillent que sur ces aspects-là. Donc on a acquis le savoir-faire. Et je pense que c'est quelque chose qui est essentiel. Tout le monde devrait le faire quoi. C'est important d'utiliser un site et de le rendre propre, d'essayer de limiter la consommation électrique, tout ce genre de choses.

TÊTU : Aujourd'hui tu parles à un média LGBT. Quelle est la position du festival par rapport à ces questions ?

Brice : Nous sommes ouverts à tout le monde. La techno ça a été créé au sein du mouvement LGBT, enfin la house à Chicago. On est donc intimement liés. Et la fête surtout, en dehors du mouvement LGBT, c'est justement rassembler tout le monde. C'est casser les barrières entre les gens, que ce soit les Parisiens, les banlieusards, de différentes orientations sexuelles. C'est ouvrir ça à tout le monde.

TÊTU : Quelle serait la grande nouveauté de cette édition finalement par rapport aux précédentes ?

Brice : La grande nouveauté c'est justement ce format de trois jours avec camping sur place qui va rendre l'expérience beaucoup plus immersive et complètement différente. L'année d'avant c'était des jours qui étaient séparés donc les gens rentraient chez eux entre temps. Là ça va être un petit week-end de vacances dans un aéroport, ce qui n’est pas banal ! Ça va être complètement immersif et ça va être une grosse expérience.

interview Weather Festival Brice Coudert
Weather Festival 2014 au Bourget - Crédit photo Jacob Khrist

TÊTU : Au sujet de la programmation, on retrouvera les mêmes têtes d'affiche comme Ben Klock, Nina Kraviz... Comment définirais-tu cette programmation ? Est-ce qu'elle est homogène ? Est-ce qu'elle est plurielle ?

Brice : En ce qui concerne la programmation, je peux en parler en détail puisque c'est moi qui l'ai faite. Les gens ne se rendent pas forcément compte parce qu'ils regardent automatiquement les gros noms, mais entre l'année dernière et cette année, 80% de la programmation est différente. Donc sur les 20% qui restent, il y a Nina Kraviz, Ben Klock, etc. Il y a ces artistes qui sont énormes et sans lesquels on ne se verrait pas faire le festival. Parce que ça reste des référents de la musique qu'on fait, et ça reste de très très bon DJs, qui sont quand-même au-dessus du lot, qui sont respectés, et qui sont même des amis maintenant. Donc on est obligés de faire avec eux. Mais à côté on propose plein d'autres artistes qui sont beaucoup plus underground. Nos spécificités en termes de programmation c'est que la plupart des festivals de notre échelle, pour faire autant de monde, bookent quasiment que des étrangers, que des gros noms. Nous on arrive à faire beaucoup de monde avec beaucoup d'artistes underground et surtout beaucoup d'artistes locaux, des artistes français. Ce qui est très rare dans ce genre de festivals. Quand on prend Time Warp en Allemagne par exemple, c'est vraiment que des artistes étrangers ou allemands mais vraiment pas de la scène locale. Alors que nous, on y arrive en défendant vraiment les couleurs locales. Et c'est ce qui est intéressant. C'est ce qui fait que le festival est devenu une vraie plateforme des artistes français pour les étrangers qui viennent y assister.

TÊTU : Est-ce que ça peut aussi être un tremplin pour de jeunes artistes ?

Brice : C'est complètement le but. C'est qu'un jeune Hollandais prenne le Thalys pour aller voir Nina Kraviz et Ben Klock, et que finalement entre Ben Klock et Nina Kraviz, il va découvre Antigone, un artiste français. Le côté tremplin est très très important pour nous.

TÊTU : Vous venez de sortir le teaser officiel. Pourquoi cette dualité entre le jour et la nuit dans la vidéo ?

Brice : Le festival va se passer le jour, la nuit, et surtout à l'extérieur et à l'intérieur. C'est pour ça qu'on voit ça dans le teaser. C'est qu'il y a une partie qui est très aérienne et extérieure, et une partie intérieure avec la poussière et beaucoup plus connotée techno et warehouse. Mais avec un côté chamanique, un peu magique et étrange.

TÊTU : Est-ce que ce côté désertique du teaser vous a été inspiré par le Burning Man ?

Brice : Non, pas forcément. Je ne pense pas que le Burning Man soit une de nos inspirations. En fait on va puiser plein d'idées dans les autres festivals, dans les autres clubs à l'étranger, mais on essaie de garder notre identité de Parisiens et de faire avec ce qu'on a. Ce qu'il se passe c'est que, quand on trouve un lieu, on essaie de trouver les idées que nous inspire ce lieu. Tout est décliné de là en fait. La première fois qu'on a utilisé le Bourget on avait pris le thème des extra-terrestres et compagnie parce qu'il y avait les fusées. C'est plutôt dans ce sens-là. On prend un lieu, on essaie de décliner une idéologie derrière, on essaie de la détourner en lui apportant quelque chose d'autre. Et le Bourget, le spot est complètement fou. Je sais que tous les artistes qui y ont joué quand je les revois ils me parlent de ça et ils me disent "c'est vraiment une de nos meilleures expériences", que c'était incroyable de jouer devant des fusées, au milieu de nulle part. Ça a un cachet qui est unique.

TÊTU : Tu aurais un petit mot pour nous donner encore plus envie d'aller au festival ?

Brice : Il faut définitivement venir au festival parce que nous, à notre niveau, on est partis de rien il y a cinq ans, on avait aucune expérience, et on a appris sur le tas au fur et à mesure. Et là, on commence vraiment à être à l'aise et de plus en plus professionnel. Et je pense que comme les artistes qui parlent de l'album de la maturité, ça va être le festival de la maturité.

TÊTU : Et une information inédite peut-être pour les lecteurs de TÊTU ?

Brice : Il y aura surement une belle surprise le dimanche soir pour tous les gens qui auront réservé le camping...

Pour le plus grand plaisir de nos tympans, le Weather Festival se déroulera du 3 au 5 juin prochain. Plus d'informations sur le site officiel de l'évènement.
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Crédit photo couverture Flavien Prioreau.