cinémaMartineau & Ducastel nous racontent "Théo & Hugo dans le même bateau"

Par Adrien Naselli le 24/04/2016
Théo & Hugo

Théo & Hugo dans le même bateau, le nouveau film de Jacques Martineau et Olivier Ducastel, sort ce mercredi en salles. Un film gay important. Attention, SPOILERS.

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Théo & Hugo dans le même bateau a la trempe des films qui laissent des traces dans l’histoire du cinéma gay. On ne sort pas indemne de cette œuvre radicale, tant sur la forme que sur le fond, et qui capte beaucoup des histoires d’amour entre mecs au XXIe siècle en remettant la question du sida au centre.
Rencontre avec le binôme qui a déjà fait tourner Virginie Ledoyen dans Jeanne et le garçon formidable en 1997, Valeria Bruni Tedeschi dans Crustacés et coquillages en 2005, et qui revient avec un film sans star mais avec deux beaux garçons. Lors du prochain Festival de Cannes qui se tiendra du 11 au 22 mai, ils présideront la Queer Palm, reconnaissance institutionnelle qui manquait à leur palmarès. Mais Jacques et Olivier n’en ont sans doute pas besoin : la qualité de leur cinéma parle pour eux.
Puisque l’action de Théo & Hugo dans le même bateau se déroule en temps réel, entre 4h30 et 6h du matin – en référence au Cléo de 5 à 7 d’Agnès Varda – je vous livre notre conversation sur le même mode, sans ellipse, ni filet, comme une balade nocturne dans les rues de Paris.
 
Un café place du Châtelet à Paris
 

18h26 – LE COUP DE FOUDRE

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Avez-vous souhaité faire un film romantique ?
Jacques. Si on prend l’acception romantique traditionnelle, oui, mais je parlerais plutôt d’un film sentimental.
J’emploie le terme car le coup de foudre est au centre du film.
Olivier. C’était dès le départ dans le projet. J’ai beaucoup embêté Jacques pendant l’écriture car je trouvais que la fin n’était pas assez romantique. Dans une version différente du scénario, notre producteur nous reprochait un manque de radicalité, un côté trop fleur bleue. On voulait bien être plus radical – en témoigne cette longue scène d’ouverture – mais on voulait absolument garder le côté fleur bleue.
Quelle était cette première version du scénario ?
Olivier. Elle n’avait rien à voir formellement : ça ne commençait pas par une scène de sexe de vingt minutes, et l’action ne se déroulait pas en « temps réel » mais s’étalait sur 28 jours.
Les films contemporains dans lesquels les réalisateurs assument le coup du coup de foudre sont rares. J’ai même pensé au mythe de l’hermaphrodite : on a l’impression que Théo et Hugo sont des moitiés qui se retrouvent !
Jacques. Oui, sauf que cette reconnaissance se fait pendant une scène de baise. Je ne crois pas trop que ça puisse arriver quand on croise quelqu’un dans la rue. En revanche, je pense qu’on peut y croire quand on trouve un corps attirant ou excitant. Il y a un emportement sensuel.
J’ai entendu des spectateurs dire que les vingt premières minutes leur auraient suffi. Mais ce qui est dur pour les personnages, c’est de passer à l’après. Comment continuer après ce moment d’une intensité rare ?
Jacques. Oui, l’alcool est redescendu, le Poppers aussi, on a une sale gueule…
Olivier. Autant il était très important de filmer cette rencontre sexuelle au plus près de ce que pourrait voir quelqu’un qui aurait assisté à leur rencontre, autant pour nous l’histoire se joue après. Si les personnages ne décident pas de sortir ensemble du lieu, s’ils ne commencent pas à faire leur trajet à vélo ensemble, si dans le trajet ils ne commencent pas à parler de ce qu’ils ont vécu, pour moi la rencontre dans le sex-club n’est pas intéressante. Je ne peux pas m’empêcher de me dire que les gens qui pensent ça… comment dire…
Jacques. Ils ne sont pas amoureux.
Olivier. Oui, ce sont des gens qui auraient eu envie qu’on ne leur raconte qu’une histoire de sensualité. Nous, on se serait ennuyé au bout d’un moment.
Jacques. Et puis pour faire un film que de sexe il aurait fallu changer de lieu ! On aurait fait quoi après ? Vingt minutes au glory hole, ç’aurait été long. Le découpage aurait été compliqué. Champ/ contre-champ…
(Rires)
Avez-vous fait exprès d’instaurer du suspense à la sortie de la boite ? On sait qu’ils vont devoir affronter l’après… En tant que spectateur on a très peur qu’ils n’aient rien à se dire.
Olivier. Oui, ils disent les banalités qui viennent à l’esprit quand on parle à quelqu’un qu’on ne connait pas encore ! Ce moment faisait partie des choses qu’on avait envie d’explorer.
On a l’impression que Hugo a peur de ne pas s’entendre avec Théo, qui est plus jeune et moins politisé… Il le teste un peu.
Olivier. La différence d’âge n’est pas très visible, mais oui, l’un est plus installé et l’autre sort à peine de ses études. L’un connait le lieu du sex-club et l’autre vient pour la première fois. On a voulu un personnage avec un peu plus de maturité, même si leur différence d’âge n’est que de quelques années.
Jacques. Et aussi parce que Hugo fait ce drôle de boulot : clerc de notaire. Mais on a tenu à inverser les rôles : le plus avancé dans la vie, Hugo, est provincial, et Théo est parisien. On n’a pas fait du parisien le plus assuré. Ce qui est assez logique car souvent, le provincial est un peu obligé de s’emparer de la ville…
La polémique sur l’insulte « pédé » qui ne serait pas homophobe quand on parle d’un coiffeur est bien tombée pour vous. Il y a une blague sur ça dans le film…
Olivier. Oui ! On n’y avait pas pensé.
À 5 :59, avant la fin du film, Hugo dévoile un nouveau visage… Vous revisitez à ce moment-là le mythe d’Orphée et Eurydice : se retourner et rester aux Enfers, ou ne pas se retourner.
Jacques. Pour l’instant, on ne l’a pas beaucoup vu dans les critiques. Les Italiens l’ont vu. Quand j’écrivais le scénario, je partais en balade autour de ma maison en Normandie et j’écoutais L’Orfeo de Monteverdi. J’ai eu envie de travailler sur ce mythe. Mais attention, je n’ai pas voulu sous-entendre que Hugo sortait Théo de l’enfer du sexe pour l’emmener vers l’amour. C’est complètement autre chose, c’est plutôt une image de l’amour : « Tu sais, ce n’est pas facile d’être amoureux. Alors va de l’avant, regarde tout droit et ne te retourne pas sinon on va tomber ».
Olivier. Le côté menaçant d’Hugo, on ne l’a vu en réalité qu’au montage. Quand on a tourné la scène, il était plutôt tendre. C’est le film qui crée cela, pas lui… mais on pourrait effectivement imaginer la suite de Théo & Hugo, peut-être que ce ne sera pas l’histoire d’amour idyllique que le spectateur attend…
Jacques. Mais non ! Il faut une lecture symbolique ! Il lui dit que l’amour c’est épatant, mais qu’on risque de s’en prendre plein la gueule. Accepter de tomber amoureux, c’est accepter de souffrir. Théo tombe très amoureux d’un Hugo un peu distant dans le club puis il y a un renversement, c’est Hugo qui ne le lâche plus une fois sorti et ça terrorise un peu Théo. Ca nous est tous arrivé, non ?
C’est plutôt rare ! Il a du bol, Théo !
 

18h43 – LE SIDA

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Savez-vous combien de personnages séropositifs vous avez mis en scène dans votre œuvre ?
Olivier. Oh la vache, ça commence à faire beaucoup.
Jacques. Dans Jeanne [et le garçon formidable, NDLR], il y en a au moins deux. En tout ça fait quatre, non ?
Olivier. Je pense qu’on a la Palme.
Théo réagit de manière maladroite à l’annonce de la séropositivité d’Hugo. Vouliez-vous mettre en scène l’ignorance d’une partie des jeunes de moins de trente ans à ce sujet ?
Olivier. Les acteurs eux-mêmes ont appris des choses. Cela nous intéressait plus de raconter une histoire de personnages un peu naïfs que de personnages plus concernés ou militants.
Jacques. Mais je veux bien qu’on me présente quelqu’un qui aurait pris un risque ou qui aurait eu un accident, qui est au courant de tout et qui ne panique pas. Tous les gens que je connais disent que c’est la panique.
Certes, mais Théo a des mots blessants envers Hugo. Il le rejette pendant un moment.
Jacques. La question de savoir comment annoncer sa séropositivité à son partenaire, elle se pose depuis trente ans. Et honnêtement, il est rare que ça se passe à merveille.
Olivier. Pour un garçon sur dix qui réagit sans inquiétude, les neuf autres se partagent entre les bien élevés qui cachent leur inquiétude et les mal élevés qui ne la cachent pas.
Jacques. En attendant, les chiffres de contamination sont en augmentation. Le nombre de films où les gens baisent sans préservatif et dont le seul résultat est probablement que la fille est enceinte me fascine.
Olivier. Dans Bang Gang [de Eva Husson, NDLR] ils s’inquiètent quand même des MST.
Jacques. Oui mais à aucun moment il n’est question d’un dépistage.
Et dans le dernier Téchiné [Quand on a 17 ans] les deux mecs finissent par coucher ensemble sans se poser la question.
Jacques. L’un est censé être puceau, l’autre, on sait pas trop.
Dans votre cinéma, c’est l’inverse, on a un luxe de détails avec une scène de près de 20 minutes aux urgences. Avez-vous pensé qu’on pouvait voir cela comme une parodie de spot de prévention ?
Olivier. On ne s’est pas dit qu’on voulait faire de la pédagogie, mais on était prêts à l’accepter. Rester coller aux personnages était notre priorité.
Jacques. Beaucoup de nos amis hétéros ont été surpris par le fait qu’il existait un traitement post-exposition. Mais le film est interdit aux moins de 16 ans, donc la portée pédagogique sera limitée…
C’était voulu, que les médecins auxquels ils ont affaire aux urgences soient aussi professionnels ?
Jacques. C’est des vrais. C’est très volontaire car beaucoup de témoignages de gens que je connais disent qu’ils ont été bien reçus et sans jugement.
Olivier. Il y a quand même des fois où ça se passe moins bien… Un ami m’a raconté qu’une personne des urgences lui avait dit : « C’est bizarre qu’il y ait que dans les sex clubs que les préservatifs se déchirent ». Notre docteure dans le film est très légèrement dans l’empathie.
En sortant des urgences, Théo dit à Hugo : « La nuit appartient aux femmes et aux pédés ». Vous vous êtes rendu compte a posteriori qu’il n’y avait que des femmes sur place ou c’était voulu ?
Jacques. Il n’y avait que des femmes sur place. Pour avoir tourné à Saint Louis, il faut voir que les premières qui ouvrent le bal sont des femmes noires ou beurs.
Olivier. Oui, et lors de cette conversation, on voit qu’ils partagent tous les deux ce féminisme, ce qui leur fait un point commun.
Ca rassure le spectateur ! J’ai pensé à l’idée de convergence des luttes, or beaucoup de gays s’en moquent. Mais Théo et Hugo partagent ce souci.
 

18h59 – LE CINÉMA

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Sur la forme du film, vous aviez commencé par envisager une histoire sur 28 jours, puis vous avez choisi le temps réel en 1h37. Est-ce que l’idée de contrainte vous excite au cinéma ?
Olivier. Oui ! Ca passe souvent par le genre cinématographique mais ça se voit moins quand on fait une comédie musicale par exemple, ou un road movie. C’est vrai que dans Crustacés et coquillages, comme c’est une comédie, l’aspect de jeu avec les contraintes est moins grand mais on voulait quand même faire un film autour d’une maison, un vaudeville avec les portes qui claquent. Le film de maison est un sous-genre du cinéma français.
Jacques. Pour nous, faire un film, c’est vraiment un sujet et une forme. Sans forme je ne sais pas quoi faire.
Vous aviez vu le film Week-end d’Andrew Haigh ? C’est l’histoire d’une rencontre amoureuse mais en 48 heures…
Olivier. On a même été court-circuités par ce film ! Il est sorti quand on écrivait le scénario. Au moment où on a décidé de faire le film, Week-end est demeuré une référence mais elle n’était plus encombrante car le temps avait passé. Je comprenais la logique du film qui se termine mal, et c’était d’ailleurs une motivation pour nous de faire un film qui se termine bien.
Jacques. Je le trouve formellement un peu bordélique quand même. Mais Week-end m’a donné envie de faire une histoire sentimentale entre gays. C’est vraiment le genre de films qu’on a envie de voir !
J’ai repéré que trois personnages interviennent dans le film : le papi à l’hôpital, le Syrien vendeur de kebabs et la dame du premier métro. C’était volontaire d’en avoir trois ?
Jacques. Le nombre trois est tellement ancré en nous, le plan en trois parties, les trois axes du scénario…
Olivier. On aurait pu en avoir plus de trois, mais pas moins. Deux ça ne fonctionnait pas : les spectateurs n’auraient pas compris pourquoi des personnages interagissent avec Théo et Hugo.
Ces rencontres font aussi évoluer la relation entre eux dans la manière qu’ils ont de discuter avec les autres. Théo reproche à Hugo de ne pas être généreux.
Jacques. Oui. Les interlocuteurs savent sans doute qu’ils ont affaire à un petit couple… Ca nous intéressait, alors qu’ils sont à peine en train de commencer une relation hyper intense, qu’ils soient obligés de s’ouvrir aux autres. La dame du métro leur raconte des choses très intimes.
Une petite question référence : quand cette dame leur dit qu’elle vient d’Yvetot, est-ce un clin d’œil à l’auteure Annie Ernaux ?
Olivier : Bravo !
Jacques. On aime beaucoup cette auteure. On avait déjà glissé une référence appuyée dans Nés en 68 avec une citation de L’Événement.
Vos personnages marchent dans les rues désertes. On retrouvait déjà ce Paris nocturne dans Jeanne et le garçon formidable.
Olivier. C’est un truc de pur cinéma : quand on filme des gens qui marchent, c’est l’une des situations où il est le plus évident de ne pas faire de montage et de ne pas couper le plan. Dès que des gens sont autour d’une table, on coupe. Deux personnes qui marchent dans la rue, c’est purement cinématographique.
Jacques. Par ailleurs, on est des grands marcheurs.
De nuit ?
Jacques. Pas mal oui, je rentre chez moi la nuit en marchant.
Olivier. Mais qu’est-ce que tu fais la nuit ?
Jacques. Rien, je marche. À sept heures du soir, en hiver, c’est moins romantique.
(Rires)
 

19h16 – LA BEAUTÉ

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Une dernière question sur vos acteurs, Geoffrey Couët et François Nambot : vous avez choisi deux mecs très beaux. C’est un reproche qu’on peut adresser à ceux qui ont un pouvoir d’image dans la communauté gay, y compris pour un magazine comme TÊTU.
Olivier. Ils sont beaux, photogéniques, cinégéniques. Mais il me semble qu’ils ont tout de même quelque chose de quotidien dans leur physique, ils ne sont pas bodybuildés. C’est une chose dont nous sommes conscients. Sur Nés en 68, le producteur nous a dit : « Dans votre film, tout le monde est beau ». On a dû se rendre à l’évidence que oui. C’est une faiblesse de réalisateur. J’ai envie de filmer des gens que je trouve beaux.
Jacques. Je retournerais bien l’argument militant. On avait envie de faire un film qui fasse plaisir aux gays. Si on avait mis deux cinquantenaires pas très jolis…
Olivier. Non mais attends, Jacques, on aurait pu prendre deux garçons de 25 ans qui ont quinze kilos de trop, il y en a plein  les rues…
Ou des mecs plus maigres !
Olivier. Eux sont très maigres, mais la caméra ça grandit.
Jacques. Les crevettes, ça peut plaire.
Olivier. À 25 ans, tu peux être très joli si tu es un peu rond. Mais eux sont plus jolis que la moyenne des gens. Et pour accepter de jouer la première scène, il faut quand même être très à l’aise avec son corps.
Jacques. D’ailleurs ils ont quand même fait du sport deux mois avant le tournage ! La caméra est extrêmement désagréable avec les kilos en trop.
 

19h22 – FIN

Merci Jacques et Olivier, et nos meilleurs vœux pour la Queer Palm à Cannes !
 
Ils quittent le café, direction un théâtre de Montparnasse