Christiane TaubiraArgenteuil : forte mobilisation contre la censure du maire

Par Julie Baret le 04/05/2016
Argenteuil censure

Le maire d’Argenteuil, qui voulait « éviter de mettre le feu aux poudres » en censurant deux projections dans sa ville, essuie désormais les foudres des défenseurs de la liberté d'expression.

"Depuis quand existe-t-il un comité de censure pour la programmation des cinémas à Argenteuil ?" s’insurge l’Association pour la défense du cinéma indépendant, des films d’auteur et des salles d’art et essai (ADCI). Et pour cause, sur une décision de la mairie, deux films qui devaient être présentés aux Argenteuillais par des associations culturelles ont été censurés dans les salles obscures de la ville.
Visé par cette muselière, La Sociologue et l’Ourson d’Etienne Chaillou et Mathias Théry qui, avec la sociologue et mère de ce dernier Irène Théry, présente de manière ludique les débats autour du "mariage pour tous" ; le film sorti le 6 avril devait être présenté par l’ADCI.
Autre production culturelle censurée, 3000 Nuits réalisé par Mai Masri. Ce film relatant l’incarcération d’une jeune femme palestinienne dans une prison israélienne faisait partie des œuvres présentées par l’association Argenteuil Solidarité Palestine (ASP) dans le cadre du festival Ciné-Palestine présent à Paris et en banlieue.
Mardi 3 mai, l’ADCI et l’ASP ont donc organisé une conférence de presse devant la mairie d’Argenteuil pour exprimer leur colère contre cet acte de censure, et affirmer qu’ils projetteraient les films coute-que-coute.

Argenteuil censure
Au premier plan Aleksandra Cheuvreux, distributrice de "La Sociologue et l'Ourson" - crédit photo TÊTU

"Une ingérence dans la vie culturelle et associative d'une ville"

Aleksandra Cheuvreux, la distributrice du film Le Sociologue et l’Ourson a ainsi rappelé que "le cas d’Argenteuil est inédit" puisqu’il n’y a eu "aucun problème de programmation ailleurs en France", tandis que la distributrice de 3000 Nuits a dénoncé une "ingérence dans la vie culturelle et associative d’une ville". Elise Languin, membre de l'ADCI et de l’association Argenteuil Solidarité Palestine a poursuivi en soulignant que "les raisons données par Monsieur Mothron (le maire d'Argentueil, ndlr) sont contestables" et qu’il était essentiel de "nourrir les débats, la liberté d’expressions et de création".
Des propos qui rappellent ceux déjà formulés par l’ADCI dans un précédant communiqué :

La liberté d’expression et le dialogue sont les bases de bonnes relations avec des associations culturelles, aussi nous nous élevons contre cette attitude qui manifeste un mépris absolu envers les initiatives culturelles venant d’associations partenaires depuis bientôt 20 ans et traduit un refus idéologique de réflexion sur des questions qui se posent dans le contexte actuel. Tout cela risque de donner de notre ville une image sectaire et bloquée. Argenteuil mérite mieux.

Le 18 avril dans Le Parisien, le maire d’Argenteuil Georges Mothron avait d’ailleurs tenté d’expliquer cette censure en des termes très vagues, arguant "qu’en ces temps troublés", "des sujets tels que ceux-là" pourrait "mettre le feu aux poudres (...) dans une ville comme Argenteuil". Fidèle à la langue de bois politicienne il ajoutait que "la ville a préféré jouer la sécurité" par "souci d’apaisement et afin d’éviter des éléments de discorde".
Les Argenteuillais seraient-ils incapables de débattre de sujets de société – pourtant régulièrement discutés dans l’espace public – tel que le conflit israélo-palestinien ou l’ouverture du mariage aux couples de même sexe ?

"L'action idéologique d'un homme qui s'est toujours manifesté contre le 'mariage pour tous'"

Audrey, une Argenteuillaise de 20 ans présente à la conférence de presse pour "montrer (son) soutien à la liberté de diffusion d’œuvres intellectuelles" contestait cette idée, déclarant que "chacun est à même de se faire sa propre opinion et d’aller ou non voir Le Sociologue et l’Ourson et 3000 Nuits".

Argenteuil censure
Audrey, Argenteuillaise de 20 ans - crédit photo TÊTU

Si cette jeune femme comprend que le maire s’inquiète "d’éventuels troubles que pourraient causer certaines œuvres", elle doute que les deux films visés par cet acte de censure "agitent les citoyens d’Argenteuil", et s’inquiète surtout "que le premier magistrat de la commune exerce un droit de véto". Avant d'ajouter :

 J’y vois l’action idéologique d’un homme qui s’est toujours manifesté contre le "mariage pour tous".

En effet, comme le rappelle Libération, George Mothron s’est déjà illustré pour son opposition à la loi Taubira ; en 2014 il avait même reconquit la mairie en faisant campagne contre le "mariage pour tous" pourtant légalisé l’année précédente. Son actuel délégué à la culture, Frank Debeaud, est d’ailleurs l’auteur d’une vidéo intitulée "Argenteuil contre le ‘mariage pour tous’" qui elle n’a pas été censurée…
En plus d’une pétition lancée sur change.org et d’un rassemblement prévu samedi 7 mai à 15h devant la mairie pour exiger la reprogrammation des deux œuvres culturelles, les associations ADCI et ASP ont assurées que si la censure était maintenue, les deux films seraient projetés en plein air sur les places d’Argenteuil.
Le 3 mai, la Société civile des auteurs multimédia (Scam) a même demandé à la ministre de la Culture et de la Communication d’intervenir dans cette affaire.
Le maire Georges Mothron, qui n’a jusque-là répondu à aucune sollicitation de notre part ou à celles des autres parties en présence, devra bien finir par s’expliquer.