Interview : Miossec : "si les politiques faisaient leur coming-out ça aiderait"

Par Julie Baret le 24/06/2016
Miossec interview

TÊTU a rencontré Miossec pour la sortie de Mammifères, le dixième album studio de cet artiste qui bouscule la scène française depuis plus de vingt ans.

"Boire" sortait en 1995 alors que Christophe Miossec franchissait la trentaine. En 2016, la carrière de l'artiste atteint majorité américaine et accueille un nouvel album né sans préméditations : Mammifères. Car c'est en rendant hommage à l'animateur Rémy Kolpa Kopoul – surnommé RKK -  sur les planches du Jamel Comedy Club en mai 2015 que Miossec tombe sous le charme de la violoniste Mirabelle Gilis et de ses musiciens. Il débute alors des répétitions informelles avec la virtuose, les cordes et le clavier de Leander Lyons, et l'accordéon de Johann Riche. De ces rencontres naît un disque acoustique conçu sous le regard expert d’Antoine Gaillet, le producteur de Julien Doré, M83, Hermane Düne et bien d'autres. Dixième album studio de Miossec, "Mammifères" est aussi un point de départ pour le quatuor ainsi formé, qui décide de partir sur les routes afin de partager ses compositions créées dans l’entente et l’harmonie. Né un orchestre ambulant qui se produira du musée maritime de la Rochelle aux jardins de la cathédrale du Mans, en passant par les clubs, guinguettes, chapelles et autres vignobles qu'il croise sur sa route. La semaine dernière, celui qui nous confie qu'il s'amusait à regarder les covers boy de TÊTU nous donne rendez-vous dans un café parisien. Rencontre avec un barde brestois, authentique et engagé.
Dixième album studio aujourd’hui, qu’est-ce que ça fait de passer à un nombre à deux chiffres ?

Ah bah oui ça fait bizarre. Mais ce qui est bien c’est que j’ai pas eu à gamberger le disque. J’ai pas eu à me dire « qu’est-ce que je vais faire pour le dixième disque ? Il faut que je fasse un truc… ». J’ai pas eu de plan sur la comète parce que ce sont les évènements qui me sont tombés dessus en fait. Donc ouais, j’ai suivi ce qu’il se passait et ça a donné le disque. C’est vraiment agréable en fait de ne pas avoir organisé un anniversaire ou un évènement. C’est pas qu’on y est pour rien, mais on a juste suivi des évènements de la vie quoi. Et des rencontres. Donc pour moi c’est vraiment chouette que ce soit quelque chose de spontané. Ça fait que je suis pas stressé comme un mec qui serait resté chez lui à bien décoré et dont la fête est toute pourrie. Ça c’est encore plus frustrant. Et puis c’est un disque qui se joue sur scène, qui est fait pour être joué partout.

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On pourrait penser que c’est le disque de la maturité mais au contraire tu y livres une musique très insouciante, presque lâchée prise non ?

Ouais c’est un lâché prise. La production ne ressemble pas du tout à un truc de 2016 d’ailleurs : c’est un peu à côté de la plaque ! (rires) Et j’aime bien ça. Revenir avec un accordéon pour ses dix ans c’est pas du tout ce que j’aurais imaginé.

Dans cet album tu nous dis « on a changé, on a grandi ». C’est ce que tu ressens ?

Ah oui ! Moi j’aime bien ce boulot-là justement parce qu’il te pousse au changement. Moi en vingt ans de boulot je n’en reviens pas comment j’ai pu changer. C’est toujours la même personne mais c’est drôle ce que ce boulot permet.

Dans Mammifères tu chantes « On y va », « je me tire, je me taille ». Dans cet album tu pars, oui, mais tu vas où ?

Moi depuis que je suis gamin je suis toujours parti. J’aime bien vagabonder et ne pas rester trop longtemps au même endroit, avec le même cercle d’amis… C’est pas ma tasse de thé en fait. Quand t’es chanteur tu te résumes à peu de choses, et j’aime bien devoir tout reprendre à zéro. C’est un boulot qui permet l’aventure, ça serait trop couillon de pas en profiter.

C’est ce que t’as ressenti quand t’as collaboré avec Mirabelle Gilis, Leander Lyons et Johann Rich ?

Oui je pense que Mirabelle et Léander qui sont de Londres – ils jouaient dans pas mal de groupes sur Londres à droite à gauche, ils jouaient dans la rue aussi – et Johann un peu pareil, ce sont des artistes bourlingueurs et capables d’improviser, de jouer partout. Et c’était vraiment tout ce que je voulais. Parce que j’avais vraiment envie d’aller jouer dans plein de petits endroits. Après tous ces évènements j’avais vraiment envie de faire de l’artisanat.

Miossec interview
Et la patte d’Antoine Gaillet sur l’album ?

C'était justement de ne pas nous faire sonner comme un groupe folklorique. J’aime beaucoup le folklore et tout ça, mais j’avais pas envie que ça soit un disque folklorique un peu à côté de la plaque. C'est pour ça que les prises de son sont assez modernes. Antoine il avait fait le disque Mariage à Mendoza de Hermane Düne qui est super, dont j’ai adoré la prise de son et qui est très proche de ce qu’on recherchait. Et Antoine Gaillet c’est l’intelligence quoi. J’ai bien vu qu’il avait pigé toute de suite ce qu’on voulait faire. Et comme il venait de l'électronique et tout ça, ça lui faisait vraiment du bien de retrouver la prise de l’instrument. De faire du « roots » un peu. J’aurai pas pu faire ce disque avec un mec qui fait que de la capture de son à l’état pur parce que ce côté rétro est un peu dangereux ; on peut glisser dans le ringard, folklorique, guinguette, tzigane tout ça… Et comme j’ai une collection de boîte à rythme d’avant 1978, d’avant le disco, ça fait des rythmes un peu étonnants.

T’es connu pour être assez autocritique envers ton propre travail. Cet album t’en penses quoi ?

Je me suis rendu compte qu’il fallait attendre. Là il vient de sortir donc je n’ai pas de recul, mais dans 6 ou 8 mois je pourrais commencer à savoir. Mais j’aime bien ce moment de brouillard : on lit nos critiques, on fait nos concerts, mais c’est pas clair. À une époque ça m’affolait un peu le fait que ça soit un peu confus, et en fait c’est normal. J’aime bien.

Tu veux dire que tu as besoin de l’aval du public ?

Ah non, on ne fait ce boulot-là que pour quelques personnes, pour des amis qui sont vraiment importants et que je connais depuis très longtemps. On sait très bien que c’est pas les ventes d’un disque la clé. Je ne fais pas de la musique pour ça. Et je pensais à vrai dire que ce disque se ferait massacrer à cause de l’accordéon parce qu’il y a tellement de gens en France qui ont eu de mauvaises expériences ou une mauvaise image de ça… donc je suis plutôt ravi de voir qu’il y a des personnes qui ont passer le cap au contraire. Et je sais qu’il y a pas mal de copains qui était un peu catastrophés à la première écoute du disque, et à la deuxième écoute ça allait beaucoup mieux. Et je trouvais ça bizarre parce que pour moi le disque était tellement facile.

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C’est qui les Mammifères ? C’est toi, moi, nous ?

Ouais et puis les autres aussi, les vrais animaux. C’est tout, pour moi c’est un peu l’être humain sans dimension spirituelle ou religieuse. J’aurai pu appeler ça « On est des bêtes ». J’ai l’impression qu’on oublie notre condition animale : on la perd, on veut pas la voir… Notre dimension animale, mortelle, sexuelle, tout ça… On n’est pas assez proches de ces notions. Et puis « Mammifères » j’aime bien, ça veut pas dire grand-chose donc chacun peut y voir ce qu’il veut.

Selon toi quels sont les artistes à suivre ?

Il y a beaucoup de groupes aujourd’hui qui font de la musique que je détestais furieusement quand j’étais gamin : j’ai l’impression d’écouter de réchauffé. C’est pas toujours marrant d’être vieux au niveau de la musique parce qu’on a nos références, on connaît un peu l’histoire de la musique et donc on fait son vieux con. Mais c’est pas marrant, on est pas intéressants. Mais sinon il y a La Colonie de Vacances, qui est une fusion de différents groupes avec des mecs de Papier Tigre et tout ça. Et puis The Inspector Cluzo, Jeanne Added…

Avec tes musiciens vous avez prévu de nombreux concerts, des Francofolies de la Rochelle a des scènes plus modestes de banlieue. C’est toujours aussi important pour toi la scène ?

Bah avec ce disque-là l’idée c’est de jouer partout. On a du faire une cinquantaine de dates avant la sortie du disque. Du coup il n’y a pas eu de promotion mais c’était voulu en fait. Et on va continuer ça, on est fait pour ça de toute manière. Par exemple là hier soir on jouait, ce soir on a rien de prévu mais tout le monde a envie de jouer. C’est un truc de groupe. C’est un peu ça le but du jeu, d’arriver et d’être trop content quand on joue. C’est fabuleux quand c’est plus que de l’envie. Au tout début de ma carrière la musique c’était vraiment vital, puis j’ai eu une période de creux où c’était un peu bizarre et je savais plus trop ce que je foutais dans ce métier-là. Et puis là je touche du bois mais c’est une chouette période. Mais c’est pareil je sais que ça ne va pas durer infiniment et il va falloir trouver de nouvelles aventures après. C’est chouette de se trouver une jolie occupation avec des gens qu’on aime bien. C’est pas du tout un boulot masochiste, on est là pour se faire plaisir.

Miossec interview
Crédit photo Yann Orhan

Ça te fait quelque chose de t’adresser à un média gay aujourd’hui ?

Ah ça fait plaisir ! Et je trouve ça hallucinant qu’en France il y ait pas une presse gay plus établie. C’est barjot que ça soit pas viable quoi, c’est plutôt délirant. Ce soir quand je vais dire aux autres que j’ai fait une interview pour TÊTU je sais que ça va réagir. C’est juste que les bras m’en tombe qu’il n’y ait pas un organe de presse ou quelque chose qui fasse bouger les choses. Quelque chose qui soit militant. Ce qui est le plus terrifiant c’est de voir dans les sondages le pourcentage de gays qui pourraient voter Marine Le Pen, wouah ! C’est assez dingue quand même. Moi je pense qu'il faudrait un journal gay de gauche quoi. En tout cas, en vingt ans, le rapport aux homos a bien changé : on revient de loin ! C’est pas encore ça, mais quand même.

Qu’est-ce qu’il faudrait changer selon toi ?

Houla, je ne crois pas qu’on aie une baguette magique et je ne pense pas qu’on puisse faire changer les choses comme ça. C’est un truc d’éducation. Là par exemple il y a l’Euro qui commence, si t’es joueur de foot et que tu es gay tu vas avoir des emmerdes. On en est toujours là, même si ça dépend des milieux. Moi je suis dans un milieu où c’est facile. Mais il y a des milieux sociaux où c’est toujours la croix et la bannière, l’exil à Paris, et cetera, et cetera. Nous on est pas dans une France qui est en train de s'ouvrir mais au contraire, qui se referme. Je pense que si tous les hommes politiques qui sont gays et qui sont planqués… si au moins il pouvait y avoir une sorte de coming-out généralisé ça aiderait les choses. Il était bien foutu le bouquin sur le gars de Sciences po, comment il s’appelait déjà ?

Richie de Raphaëlle Bacqué ?

Oui voilà, ce bouquin montre bien comment l’État est malgré tout et malgré lui structuré par la communauté gay, mais qu'il faut que ça soit quand même en coulisse, c’est chiant. Et je trouve ça étonnant qu’il y ait pas plus de médias gays. Mais c’est une génération aussi, chez les journalistes il y a toute une génération qui n’est plus là. C’est comme ceux qui avaient connu les années sida où c’était terriblement dur mais ça a aussi responsabilisé toute une génération. Et après j’ai l’impression que ça s’est déresponsabilisé un peu derrière. Après tant mieux, ça veut dire qu’on est passé outre.  Mais pareil au niveau des philosophes : Guy Hocquenghem, Michel Foucault et tout ça et puis plus rien, comme s’il y avait eu un coup d’arrêt.

Miossec interview
Crédit photo Yann Orhan

T’étais au fait de tout ça ? Guy Hocquenghem, Arcadie, et tous ces mouvements de pensée ?

Oh oui ça m’a toujours intéressé. Guy Hocquenghem j’ai pas mal lu quand j’étais gamin. Toute cette mouvance, avec Hervé Guibert (journaliste et photographe français, ndlr) aussi, parce qu’artistiquement aussi c’était nourrissant. Toute cette bande-là ça m’a bien nourri via des copains qui étaient homos aussi. Et puis j’ai connu un mec comme Michel Cressole (journaliste et militant homosexuel décédé du sida, ndlr) aussi quand j’étais gamin à Libération, Le Monde… Ouais des gens qui étaient gays et politisés quoi.

Tu penses que la communauté gay gagnerait à être plus politisée ?

Oh ouais elle en a sacrément besoin. Mais quand on voit tout le boulot qui a été fait après mai 68 en plus, je trouve ça un peu dur de voir ce qu'est devenue cette société d’aujourd’hui, individuelle... On s’éclate, on essaie d’avoir des choses en pensant à son statut personnel.

Est-ce que pour finir tu aurais un message pour les lecteurs de TÊTU ?

Je suis pas très fort pour ça. Je sais pas, que les prochains actionnaires soient bienveillants ! (rires) Il faut que les choses tiennent. C’est important de faire des choses à perte, parce qu’elles le restent pas forcément longtemps.

Merci Christophe !
Miossec et ses musiciens remonteront sur scène à partir du 15 juillet lors de l'Ultra Song Festival, puis sillonneront la France et ses pays voisins jusqu'en décembre. Toutes leurs dates ici. Retrouvez son album sur son site officiel.
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Pour en savoir plus :

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Crédit photo couverture Yann Orhan