LGBTphobieTerrorisme et homosexualité "honteuse" : de l'importance de l'éducation

Par Jérémie Lacroix le 20/07/2016
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Si l'homosexualité non assumée du tueur de Nice a joué un rôle dans son passage à l'acte, l'éducation ne pourrait-elle pas permettre de désamorcer cette violence ?

Depuis l'attentat de Nice qui a coûté la vie à 84 personnes le soir du 14 juillet, la police rassemble petit à petit les pièces qui forment le puzzle de la personnalité complexe du tueur, Mohamed Lahouaiej-Bouhlel. Ainsi, en l'espace de quelques jours, on en sait un peu plus sur ce Tunisien de 31 ans installé progressivement en France à partir de la moitié des années 2000. L'homme marié serait réputé violent, se serait radicalisé très rapidement, aurait été décelé psychotique, serait adepte du culte du corps et enchaînerait les conquêtes tant féminines que masculines.

La bisexualité supposée du tueur de Nice a-t-elle de l'importance ?

Justement, intéressons-nous à la sexualité de Mohamed Lahouaiej-Bouhlel. Est-elle anodine ou déterminante dans le tableau de la personnalité du tueur de Nice qui se dessine ? Que traduit-elle de l'homme impliqué dans cet acte terroriste ? Peut-elle en partie expliquer son passage à l'acte ? Slate, dans un article publié mardi 19 juillet, nous apporte des éléments de réponse à ces questions. En effet, le magazine en ligne tire un constat des différents attentats qui ont ébranlé le monde occidental ces derniers mois et souligne que, dans plusieurs cas, l'enquête a mis à jour une sexualité "parallèle" du tueur, cachée, peut-être non-assumée. C'est le cas aujourd'hui de Mohamed Lahouaiej-Bouhlel mais c'était également le cas d'Omar Mateen, le tueur d'Orlando, qui a été vu plusieurs fois au Pulse ainsi que sur différentes applications de rencontre et, dans une moindre mesure de Salah Abdeslam, qui a été reconnu par plusieurs patrons d'établissements gays à Bruxelles. Et Slate de se demander à juste titre : "Existe-t-il un schéma récurrent de djihadistes qui sont des homosexuels refoulés, et qui effectuent des tueries de masse pour se laver de la culpabilité qu’ils éprouvent face à un désir vécu dans la souffrance ?".

Religion et homosexualité

Le fait que trois des tueurs ayant commis récemment des actes terroristes au nom de Daesh partagent la même sexualité interpelle et mérite qu'on s'y attarde. Ne serait-ce que par le caractère antinomique apparent entre cette sexualité et les "valeurs" défendues par l'État islamiste qui, rappelons-le, assassine dès qu'il le peut les homosexuels des territoires qu'il contrôle. On sait également que religion et homosexualité ne font pas bon ménage. On sait également que, sans être croyant voire pratiquant, le poids des traditions, de la famille et d'une culture encore empreinte de religiosité peuvent rendre extrêmement difficile l'acceptation de sa sexualité et mener au rejet de soi et à la frustration.
Ainsi, qu'il s'agisse d'homosexualité "refoulée" (non-réalisée) ou d'homosexualité "honteuse" (réalisée), elles génèrent toutes deux un sentiment de honte et de culpabilité. En effet, les stéréotypes et les préjugés entourant la "condition" d'homosexuel (homme efféminé, dominé, pénétré...) ne sont pas compatibles avec le statut de mâle dominant, ni avec les valeurs sexistes et machistes de l'hétérocentrisme qui caractérise bon nombre de nos sociétés, a fortiori celles où la religion conserve un poids important, comme en Tunisie d'où est originaire Mohamed Lahouaiej-Bouhlel. Empêtré dans un conflit intérieur entre différents système de valeurs, l'homosexualité "honteuse" ou "refoulée" du sujet peut entraîner des délires voire de la paranoïa comme le souligne plusieurs experts. Leur "inclinaison" est vécue comme un crime qu'il faut racheter pour l'honneur de leur famille, pour leur propre honneur de mâle, pour expier leur pêché... C'est en cela que "le lien entre homosexualité refoulée et djihadisme peut se faire dans la volonté de 'racheter' un statut de guerrier, en prenant les armes".
Cependant, Serge Hefez, psychiatre et psychanalyse qui travaille pour le Centre de prévention des dérives sectaires liées à l’islam (CPDSI), cité dans l'article de Slate, explique que "les chemins qui mènent à Daesh sont innombrables", et que la bisexualité "honteuse" et/ou réprimée du tueur ne peut donc expliquer à elle seule son geste et de rappeler que :

Le fait que plusieurs terroristes semblent présenter ce schéma d’homosexualité refoulée ne veut pas dire que tous les homos refoulés sont des terroristes en puissance, mais pose très clairement la question de la paranoïa de ces terroristes.

Lutter contre l'homophobie dès le plus jeune âge

Serge Hefez avait été interrogé en 2013 par le Syndicat national unitaire des instituteurs, professeurs des écoles et PEGC (SNUIPP-FSU) dans le cadre de la mise en place d'un outil éducatif intitulé "Éduquer contre l'homophobie dès l'école primaire ». Le fait que cet expert travaille à la fois pour le CPDSI et soit sollicité par le SNUIPP-FSU n'a rien d'anodin. Car c'est bien par l'éducation qu'on lutte contre les clichés entourant l'homosexualité et donc qu'on protège l'individu, dès l'enfance, contre l'homophobie et les violences psychologiques générées par la honte de soi, le rejet des autres, la stigmatisation. Cette violence de l'homophobie se manifeste de deux manières.
Il y a la violence dirigée vers les autres car, comme le souligne Serge Hefez, "dans l’essence même de l’homophobie il y a quelque chose d’autant plus violent et qui suscite d’autant plus la haine que ce n’est pas seulement l’autre qu’on rejette mais également une partie de soi-même ». L'homophobie ambiante imprègne celui qui la subit et est rejetée sur les autres (on rejoint ici le profil paranoïaque du tueur qu'on abordait ci-dessus), "c’est ce qui explique les injures, le rejet, les violences pouvant aller jusqu’au meurtre".
Ensuite, il y a la violence subie par les victimes de discrimination et particulièrement d'homophobie. Comme le rappelle Serge Hefez : "On connaît aujourd’hui les manifestations du mal-être des jeunes homosexuels garçons et filles, l’isolement, les conduites à risque, le taux de tentatives de suicide supérieur aux autres jeunes…". Ces manifestations sont encore plus criantes pendant l'enfance et l'adolescence, périodes de la vie où l'individus construit son identité, sa personnalité et sa sexualité.

Le rôle de l'Éducation nationale

Que cette violence soit subie ou dirigée vers les autres, elle tire son origine dans les représentations de l'identité de genre et de l'orientation sexuelle qui innervent notre société. L'Éducation nationale, l'École a un rôle primordial à jouer dans la promotion de la diversité, dans le combat des stéréotypes et des comportements discriminatoires, et ce, conformément à ses missions. C'est comme cela que chaque enfant pourra s'épanouir dans son identité et dans son orientation sexuelle sans ressentir une hiérarchisation des êtres et des sexualités.
Tous les acteurs éducatifs doivent être partie prenante à cette grande mission qu'est la lutte contre toutes les formes de discriminations et contre l'homophobie : parents, enseignants, enfants... Cependant, les réticences à parler d'homophobie sont nombreuses. "Elles ne proviennent pas toujours de présupposés idéologiques ou religieux, mais plus souvent de méconnaissance et d’un manque d’informations" souligne SNUIPP-FSU. Ces réticences sont au nombre de quatre : l'accusation de prosélytisme, l'amalgame intolérable avec la pédophilie, la peur de parler de sexualité à l'école et enfin le besoin de réflexion sur un sujet sensible que la société n'est pas prête à aborder.
C'est pour forcer ces réticences et inclure tous les acteurs éducatifs que la Commission nationale de lutte contre les LGBTphobies du SNUIPP-FSU a décidé de mettre en place un outil pédagogique pour lutter contre l'homophobie intitulé "Éduquer contre l'homophobie dès l'école primaire". La philosophie de se projet se résume ainsi :

L’école doit aider les enfants à gérer les conflits de manière constructive, en mettant en lumière les intérêts divergents et en recherchant les objectifs communs. Un des buts recherchés est aussi de faire prendre conscience que tout le monde peut faire l’objet de discrimination (rejet, moqueries, injures, exclusion, violence…) dans telles ou telles circonstances, afin d’enclencher les phénomènes d’empathie, de respect, de solidarité.

"Des outils théoriques et pratiques pour avancer"

Ainsi, le SNUIPP-FSU propose des outils théoriques et surtout pratiques pour lutter contre l'homophobie et embrasser les nouvelles réalités sociales de notre pays ("mariage pour tous", homoparentalité...). Afin "d'éduquer et de prévenir", différentes entrées seront introduites dans les apprentissages :

  • le questionnement des stéréotypes de genre ;
  • les relations amoureuses et les différents types de familles, notamment par le biais de la littérature de jeunesse ;
  • l’éducation affective et sexuelle ;
  • la lutte contre les discriminations et pour l’égalité, le "vivre ensemble".

Autant d'introductions dans les différentes activités des enfants, notamment grâce à une littérature de jeunesse plus ouverte aux questions d'identité de genre et d'orientation sexuelle, qui permettront à chaque élève de se sentir accepté, compris, soutenu et non pas exclu et mis de côté. Évidemment, "l’identité d’une personne ne se résume pas à une simple étiquette. Il ne s’agit pas de marginaliser ou de catégoriser, ni de pointer les différences, ce qui serait stigmatisant. La lutte contre les discriminations se fonde sur le principe d’égalité qui, rappelons-le, a pour contraire 'inégalité', et non 'différence'. De même, diversité s’oppose à uniformité." souligne le rapport du SNUIPP-FSU.
Pour en savoir plus :
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