Alain Guiraudie : "Rester vertical est mon film le plus queer"

Par Adrien Naselli le 26/08/2016
Alain Guiraudie Rester Vertical

Rester Vertical est le nouveau film d’Alain Guiraudie après L’Inconnu du lac, sorti en juin 2013 sur nos écrans. TÊTU l'a rencontré pour parler de son cinéma, de sexe et de loups.

TÊTU | J’ai repéré plusieurs éléments de votre roman Ici commence la nuit (P.O.L, 2014) qui semblent avoir servi de base au scénario de Rester vertical : les gendarmes qui pourchassent Léo, le héros, comme dans un cauchemar, le papi qui a des idées derrière la tête… Est-ce que je me trompe ?

Alain Guiraudie | Pas tout à fait. Pour moi, le roman était plutôt situé entre Le Roi de l’évasion [son précédent film, NDLR] et L’Inconnu du lac. Mais en effet, on retrouve l’expérience gérontophile. Sauf que Marcel [le papi du film] est quand même plus jeune que Pépé [le personnage du roman] ! Marcel, il a à peine 80 balais ! Avec Pépé c’est différent, il est trop vieux, ils ne peuvent plus coucher ensemble.

C’est moins le cas que dans L’Inconnu du lac, mais vous représentez encore le sexe gay dans ce nouveau film. La particularité est que vous montrez des corps plus vieux et plus gros que ceux que l’on voit en couverture des magazines ou sur d’autres pellicules. Je pense à Marcel par exemple, mais aussi à Jean-Louis, le beau-père du héros.

Pour moi, Marcel est en couple avec Yoan [un jeune homme d’abord présenté comme son fils, NDLR]. Marcel est ce que j'appelle un homo homophobe ! Ca arrive souvent que des mecs homos traitent l’autre de « petit pédé ». Mais Marcel lui, il est en plus misogyne et doucement raciste. Ca m’est beaucoup arrivé de rencontrer, que ce soit à la campagne ou en ville, des mecs homos qui n’aiment pas les folles, qui sont racistes, qui sont misogynes. Les homos ne sont pas tous des mecs de gauche…

Cela vous intéresse de montrer les différences de nos communautés aux hétéros, qui se représentent souvent un monde beaucoup plus uniforme ?

Mon film peut dérouter tout le monde, pas que les hétéros. C’est mon film le plus queer, ça peut tout aussi bien dérouter les homos ! Avec L’Inconnu du lac, ce n’était pas vraiment un film queer alors qu’on m’avait filé la Queer Palme. Là je ne suis pas du tout dans le catalogue LGBT. Mon film convoque d’autres formes de sexualité. C’est ça qui m’intéresse. J’aime bien l’idée que ça ne fasse pas de nous un hétéro d’avoir un enfant avec une nana, ça ne fait pas de nous un homo de coucher avec un mec. Léo, je ne l’ai pas traité comme un homo ou comme un hétéro. Quand il rencontre Marie, ils couchent tout de suite ensemble. Les hétéros commencent à intégrer les méthodes de drague directe. C’est fini le côté « faut aller au resto », c’est un truc de vieux. Mais le film commence tout de même sur cette histoire de casting que Léo propose à Yoan… Ca m’intéressait de brouiller les pistes.

Tout le monde veut coucher avec le héros. Vos films mettent une sexualité débridée mais elle demeure malgré tout un tabou…

C’est un film d’érotomanes. Mais Léo ne couche pas du tout avec tout le monde ! C’est pas comme dans L’Inconnu du lac. C’est la première fois que je présente les différentes combinaisons du désir : A a envie de B mais B n’a pas envie de A, B a envie de C, etc. J’aime bien l’idée que le héros, qui est plutôt un être désirant, refuse Jean-Louis. Et qu’on se refuse à lui aussi.

Peut-on qualifier Léo de bisexuel ?

Non, il vit sa sexualité, tout simplement. Je ne suis pas sûr que le thème de la bisexualité m’intéresse vraiment. Est-ce que Léo désire autant les hommes que les femmes ? Je ne sais pas si Marie est la première copine de Léo ou pas. Ca me ferait autant chier de le définir comme hétérosexuel ou comme homosexuel. Ca renvoie à un catalogue, une classification, et je n’ai pas fait ce film pour ça. Léo pourrait très bien être un homo qui rencontre une femme. Moi j’ai envie de femmes de temps en temps, ça m’arrive, et pourtant je ne me sens vraiment pas hétéro, quoi. Sinon je me forcerais un peu plus quand une femme a envie de moi !

Dans ce film, on voit aussi un sexe féminin. D’ailleurs, le plan ressemble beaucoup aux « plans Cap d’Agde » que vous faisiez dans L’Inconnu du lac.

Ah, vous connaissez les plans Cap d’Agde ! (Rires) Oui, on voit souvent le sexe de Marie. D’ailleurs j’aurais mauvaise grâce de dire que je n’ai pas pensé à L’Origine du monde. Sauf que dans mon film on voit plus les détails du sexe que dans le tableau, Marie a moins de poils. L’idée, c’était d’aller voir le sexe, de le sortir de son statut de grand tabou, de truc qu’on considère comme pas beau. Je ne sais pas d’où on sort ça. Je pense qu’on va ramer pendant des années à le ressortir du placard.

Passer au sexe féminin, serait-ce une provocation de votre part pour votre public gay, assez large depuis L’Inconnu du lac ?

C’est vrai qu’on voit beaucoup plus le sexe de Marie. Après, je ne fais pas des films pour les homosexuels non plus ! J’étais content de voir que L’Inconnu pouvait rayonner chez les hétéros. Et je ne suis pas sûr que les homos n’aillent voir que des films qui mettent en scène des gays.

Vous avez pris le loup comme problème de société, un débat impossible à trancher… C’était aussi une métaphore ?

On a du mal à prendre cette question politiquement. Mais il faut aussi voir les films au premier degré : j’ai rencontré des éleveurs qui m’ont dit que ce n’était plus tenable. Du coup je suis pour qu’on arrête de considérer le loup comme une espèce protégée. Il faudrait au moins qu’il ait peur de l’homme et regarde à deux fois avant de s’attaquer aux brebis. Mais ça m’emmerderait qu’il disparaisse ! C’est une espèce animale qui me fascine et me fait peur aussi.

Puisque je vois des métaphores partout, je me suis interrogé sur la rivière du Marais Poitevin que Léo remonte quand il va chez la guérisseuse…

On peut l’appeler guérisseuse, mais je la vois plutôt comme une naturopathe psychologue. Pour moi c’est juste un médecin un peu idéal qui soignerait de façon douce par de la médecine douce et qui s’occuperait aussi de la tête. La rivière est juste un monde paisible, apaisé. C’était important que Léo lâche prise avec la civilisation, qu’il laisse la bagnole quelque part.

Marie dit à Léo qu’il peut garder un enfant tout seul. C’est assez rare, on a plutôt l'habitude de voir des portraits de mères célibataires dans le cinéma. J’ai aussi le sentiment que le film met en scène une histoire de coparentalité à cinq ou six…

Le film s’inspire évidemment de tous les débats qu’on a eus pendant le mariage pour tous. Pour moi, cela revient à dire qu’une mère n’est pas assignée à l’instinct maternel, ça peut très bien arriver qu’une femme n’ait pas envie de son enfant. Ça peut arriver aussi qu’un mec se retrouve avec un bébé et que ça lui plaise vachement. Il y a sans doute un jeu politique, c’est excitant pour moi de montrer ces questions sous tous les angles. Mais je ne pense pas que les gens de la Manif pour tous se pressent pour venir voir mon film ! Je fais des films où je mélange des préoccupations bien concrètes, bien réelles avec des grands thèmes de cinéma.

Etes-vous inquiet de la sortie du film ?

Non, je n’appréhende jamais vraiment les sorties. Mais il est évident que je vais quand même regarder les chiffres… Déjà pour moi, c’est un succès, je vois qu’il y a une vraie attente autour du film. Je ne fais pas la chasse aux entrées, je ne conçois pas mes films pour un million de spectateurs. Mais ça fait toujours plaisir de voir qu’on est un peu universel, qu’on parle à du monde, c’est important que le film sorte à l’étranger. Et un autre truc tout con : ce qui est en cause, c’est ma capacité à continuer de faire du cinéma ! Les gens qui m’aident ont aussi envie que le film soit vu par du monde...

Léo a du mal à écrire son scénario dans le film. Faut-il y voir le syndrome de la page blanche ?
Non, juste une inquiétude sur l’avenir. Est-ce qu’un jour je n’aurai plus envie de faire des films ? Et à partir de là, comment je m’en démerderai ?
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