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pornoPaul Vecchiali : "J’ai envie de rendre hommage aux gens qui m’ont aidé à vivre"

Par Adrien Naselli le 18/01/2023
Paul Vecchiali

Le cinéaste poète et provocateur Paul Vecchiali, un des chantres du cinéma d'auteur français, dont il fut aussi un producteur inspiré, est mort ce mardi 17 janvier à l'âge de 92 ans. Derrière et devant la caméra dans Le Cancre, où il réunissait ses actrices fétiches, dont Catherine Deneuve et Annie Cordy, il avait accordé à têtu· une interview en 2016. Rencontre avec un monument du cinéma gay, et bien au-delà.

Il y a 80 ans, il a dit à sa mère : "Je ferai du cinéma". Il avait six ans. Paul Vecchiali est un cinéaste engagé qui ne veut pas qu’on le catalogue dans le cinéma gay. De fait, c’est une catégorie difficile à cerner… Ces dernières années, il a tout de même réalisé Bareback ou la guerre des sens, un film comprenant des scènes pornos, Faux raccords, sur les tchats gays, et C’est l’amour dans lequel une femme prend un amant qui a lui-même un amant. Pier Paolo Pasolini a changé la distribution de Salo ou les 120 journées de Sodome après avoir vu FEMMES FEMMES de Paul Vecchiali. C’est dire son influence dans le cinéma d’auteur. Grâce à lui, c’est Hélène Surgère qui a remplacé Jeanne Moreau et Pasolini a même écrit un rôle pour Sonia Saviange – il voulait les deux en même temps. Un coffret de ses trois films gays a été édité.

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Dans Le Cancre, en salles depuis le 5 octobre, il rend hommage aux actrices qui ont traversé sa vie et son œuvre. Annie Cordy, Catherine Deneuve, Edith Scob, Françoise Arnoul, Françoise Lebrun… Danielle Darrieux, la muse ultime du réalisateur, a son nom encadré sur la cheminée. Lui joue Rodolphe, une sorte de vicomte de Valmont acariâtre du Sud de la France qui se remémore ses amours passées. Le plus important, c’est le premier : Marguerite… Ses actrices apparaissent à l’écran, une fois chacune, dans de longues séquences très émouvantes. Rodolphe vit avec Laurent, joué par Pascal Cervo, son fils gay avec qui il entretient une relation d’amour-haine extrêmement drôle et touchante. Entretien avec Paul Vecchiali.

Pouvez-vous nous expliquer le titre du film ? Pour moi, Rodolphe est plutôt un surdoué.

Paul Vecchiali : C’est son fils, Laurent, le cancre ! Il préfère les oiseaux et les fleurs aux tables de multiplication. Par ailleurs, cancre est l’anagramme de cancer.

Laurent squatte chez son père. Rodolphe est un vieux grincheux, il lui parle tout le temps mal, mais ils ne peuvent pas se séparer. D’où vous vient l’idée de cette relation fusionnelle ?

C’est assez banal de voir deux personnes émotives qui n’arrivent pas à exprimer leur tendresse l’une pour l’autre. Il y a deux moments où ils se serrent dans les bras. Deux moments de tendresse. Quand je m’évanouis après la crise de somnambulisme, j’ai une réaction tendre. La chanson finale exprime bien le fait que Laurent a raté quelque chose. Je trouve Pascal Cervo absolument magnifique dans cette séquence.

J’ai vu Rodolphe comme une réécriture du personnage de Valmont dans Les Liaisons dangereuses. Elles sont toutes encore amoureuses de lui, il peut coucher avec qui il veut, et surtout il dit à son fils qu’il a aussi couché avec des garçons.

Non, je n’avais pas cette référence. Le film est un flash-back total. N’y aurait-il pas un doute sur ce qu’il nous raconte ? Dans le plan-séquence avec Catherine Deneuve, je n’apparais pas. Puis il y a une discussion entre Deneuve et Cervo. Peut-être que Rodolphe invente tout ?

Mais il est aussi un grand romantique car il n’a que Marguerite en tête. Son obsession de la revoir est très émouvante.

C’est la partie autobiographique du film. C’est d’ailleurs ce qui en est à l’origine ! Marguerite, c’est quand nous étions jeunes. Petit détail : les phrases que dit Catherine Deneuve à la caméra, ce sont les phrases que j’ai écrites à ma Marguerite, quand j’avais 15 ans.
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J’ai beaucoup pleuré pendant la scène avec Mimi jouée par Françoise Arnoul. Ce tango avec Laurent… Elle lui explique le sens de la vie. Est-ce que vous avez souhaité la dimension lacrymale du film ?

Jacques Demy, quand il écrivait Les Parapluies de Cherbourg, était très conscient qu’il allait faire pleurer. Il disait : "premier mouchoir ! deuxième mouchoir !" Ce n’est pas mon intention…

La musique est très mélancolique, un peu grave… Vous l’avez pensée comme telle ?

Pour rester sur cette scène entre Mimi et Rodolphe, c’est évidemment Puccini que l’on entend en référence à La Bohème. La musique est primordiale dans mes films.

Les relations amoureuses passées de Rodolphe avec toutes ces femmes sont-elles une métaphore de votre amour pour ces actrices ?

Plus je vieillis, plus j’ai envie de rendre hommage aux gens qui m’ont aidé à vivre. On peut dire que le film est foutraque. Moi, je peux vous dire que le film est construit. C’est un film qu’on doit revoir. Je suis très content de C’est l’amour, même fier. Pour Le Cancre, j’ai quelques réticences. Mais il mérite d’être revu ! En tout cas, au-delà de la métaphore, les actrices incarnent de vrais personnages.

Parlez-moi de la famille Dupin, dont on rencontre trois protagonistes, dont l’amant de Laurent et son oncle joué par Mathieu Amalric.

Il y a une chose que les gens ne comprennent pas dans le film : c’est la famille Dupin. Je pense que si Laurent est gay, c’est à cause de son père – mon personnage – et de toutes les femmes qui gravitent autour de lui. Après, il trouvera sa voie, peut-être qu’il continuera d’avoir des amants. Laurent est en formation. Encore à son âge.

Quand on découvre que Laurent a un petit ami enfermé au rez-de-chaussée de la maison de son père, l’absurde de la situation évoque les films d’Alain Guiraudie et notamment son dernier livre Ici commence la nuit.

Alain, c’est la première personne que j’aie vue en venant à Paris. Il y a une vraie filiation entre nous, vous avez donc vu juste. Ce Vieux rêve qui bouge pour moi est l’un des plus grands films de ces dernières années. Mais j’ai détesté L’Inconnu du lac. Il le sait.

Vous avez réalisé de nombreux films ces derniers temps ; Nuits blanches sur la jetée puis C’est l’amour et enfin Le Cancre. Pourquoi une telle productivité ?

Et encore ! J’ai tourné en plus de ceux-là deux courts métrages. Dont l’un dans un train. Cette idée du train m’a tellement plu que j’ai écrit un long métrage intitulé Train de vies (les voyages d’Angélique). Ce sont les moments d’une femme dans un train qui va jusqu’à la mort. J’espère le tourner prochainement.

Vous n’êtes que très rarement devant la caméra : cela vous plaît de jouer l’acteur ?

Ça me plaît beaucoup. De plus en plus. Ça ne m’intéressait pas du tout au début. Mais un jour, dans Retour à Mayerling, j’ai aimé ça. L’idée de descendre du piédestal m’intéresse, il y a un côté un peu plus démocratique alors que le côté déification du réalisateur m’agace. Il y a une scène où je me trouve bouleversant, c’est quand Pascal Cervo me demande : "Tu cours papa ?"

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Crédit photo d'illustration : Wladimir Zaleski