Christiane TaubiraBruno Le Maire pour TÊTU : "La GPA est un moyen de conception qui me choque"

Par Adrien Naselli le 15/11/2016
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Bruno Le Maire fait partie des sept candidats à la primaire de la droite qui aura lieu ce dimanche 20 novembre. TÊTU l’a rencontré pour connaître son programme sur les questions LGBT.

 
TÊTU | Vous étiez l’un des cinq députés, avec votre concurrente à la primaire de la droite Nathalie Kosciusko-Morizet, à vous être abstenu lors du vote du mariage pour tous. Avec le recul, est-ce que vous regrettez ce choix ?
Bruno Le Maire | Non, je n’ai pas l’habitude de regretter mes choix. Je n’ai pas aimé la méthode avec laquelle François Hollande a abordé un sujet de société aussi important que celui-là, en montant les Français les uns contre les autres, là où on aurait dû écouter les inquiétudes de ceux qui étaient opposés à cette loi Taubira. A aucun moment le président n’a pris la peine ni la responsabilité d’expliquer quelle était sa vision de la société, de la famille, des couples homosexuels, de la PMA. Il a fait le choix politicien de monter les Français les uns contre les autres. Cela ne change rien à ma position de fond : je suis favorable au mariage pour tous, je l’ai dit, écrit, et si demain je suis élu président, je ne reviendrai pas dessus.
Pour vous, la seule raison de vous être abstenu est que le dossier a été mal géré par le gouvernement ?
François Hollande était toujours dans l’habit du candidat PS et il s’est servi du mariage pour tous pour diviser les Français. Le président de la République s’est servi de cette loi en début de quinquennat pour faire oublier ses mensonges de campagne et son manque d’ambition et de réformes pour le pays.
Et à l’inverse, comment avez-vous perçu l’acharnement de certains membres de votre famille politique pendant ce débat ? Aviez-vous conscience du mal qu’ils ont pu faire à certaines personnes LGBT, notamment aux plus jeunes ?
Je ne suis pas là pour distribuer les bons points et les mauvais points aux uns et aux autres. Je défends juste ma vision de la société française, celle dans laquelle des adultes ont droit à la liberté dans leur vie. Si deux personnes de même sexe veulent se marier et inscrire leur amour dans la durée, ça ne me pose aucune difficulté, au contraire. Tout ce qui peut blesser ou être perçu comme une attaque homophobe me révolte ; j’ai parfaitement conscience que pour beaucoup de jeunes, d’adolescents, vivre son homosexualité est quelque chose de difficile. J’ai rencontré des personnes qui travaillent au Refuge. La société dans laquelle je veux vivre est une société où chaque Français est respecté, où personne n’est pointé du doigt, et où notamment on refuse toute parole ou comportement homophobe.
Nicolas Sarkozy a changé quatre fois d’avis sur le mariage entre 2007 et aujourd’hui. Comment qualifiez-vous cette attitude et sa promesse d’abroger la loi devant les militants de Sens commun ?
Je m’en souviens très bien puisque de mon côté je me suis fait siffler. Je préfère me faire siffler et avoir défendu mes convictions plutôt que d’être applaudi et de les renier. La droite avait promis en 2007, avec Nicolas Sarkozy et François Fillon, de faire l’union civile. Si nous avions tenu parole, nous aurions eu un débat beaucoup plus apaisé.
Par la suite, vous avez défendu le mariage bec et ongles notamment lors d’un meeting à Versailles où des militants de la Manif pour tous étaient venus vous confronter. Y a-t-il deux droites irréconciliables selon vous ?
Il ne faut pas caricaturer la droite. Comme une large majorité de Français, une large majorité d’électeurs de la droite et du centre ne veut pas revenir sur le mariage pour tous. Il y a tous ceux qui se taisent, qui ont acté que le mariage pour tous ne posait pas de problème : ces gens qu’on n’entend pas, il faut les prendre en considération.
Ludovine de la Rochère, la présidente de la Manif pour tous, était invitée dans le rôle de votre contradictrice sur le plateau de France 2 ; vous dites que vous avez des points d’entente avec elle sur l’importance de la famille. Vous pensez vraiment qu’elle a le monopole de la vision de la famille ?
On a un point de rencontre sur l’opposition à la GPA. Mais la famille n’appartient à personne. Dans une société extraordinairement dure, la famille est le noyau qui garantit l’affection dont les gens ont besoin, ce n’est donc le monopole de personne.
En tout cas, vous avez répondu « oui » à son appel au président de revenir sur la décision de la Cour européenne des Droits de l’Homme (CEDH) sur les enfants nés de GPA à l’étranger. Est-ce que, comme François Fillon, vous pourriez tenter de quitter la CEDH ?
Non. Je pense que la France ne le fera pas. En revanche, oui je ferais appel de cette décision. Et la GPA ne concerne pas que les homos. C’est un moyen de conception qui me choque. Je n’arrive pas à l’admettre dans l’idée que je me fais de la personne humaine. Les positions que je prends sont une manière d’adresser le signal clair que je combattrai la GPA, y compris en prenant des mesures strictes. Je dissocie totalement ce combat de l’orientation sexuelle.
J’ai l’impression que vous confondez un peu PMA et GPA car vous dites sans cesse : « la PMA pour les couples homosexuels ». Vous savez que la PMA ne concerne que les couples de femmes ? A moins qu’on n’entende pas le « deux L, E, S » d’homosexuelles ? Par ailleurs, pourquoi être opposé à la PMA alors qu’elle est autorisée pour les couples hétéros stériles ? Votre argument repose sur l’idée qu’il ne faut pas utiliser les progrès de la médecine pour donner un « droit à l’enfant ». Quelle est la différence entre un couple homo et un couple stérile ?
La différence, c’est que le couple hétéro pourrait avoir un enfant, et que le couple homosexuel lui, ne le peut pas. C’est la raison de mon opposition à la PMA pour les couples d’homosexuelles « deux L, E, S ». En revanche j’ai dit clairement que je ne reviendrai pas sur l’adoption, je pense que c’est totalement inutile.
Ces couples de femmes vont de toute façon faire des PMA en Belgique, en Espagne. Vous connaissez la fragilité des situations qui en découlent.
J’ai des amies qui sont dans ce cas-là. Nous sommes en désaccord. Je suis en désaccord avec le choix de société qu’il y a derrière. Les individus adultes doivent prendre leur responsabilité par rapport aux lois existantes dans notre pays.
Vous n’accusez donc pas les couples hétéros stériles de revendiquer un « droit à l’enfant » ?
Il ne s’agit pas de blesser qui que ce soit, arrêtons d’utiliser ces termes. Tout amour se respecte, donc ça m’amène à défendre le mariage pour tous avec beaucoup de vigueur.
Etes-vous prêt à reconnaître que la Manif pour tous ment sur la GPA en faisant croire au public qu’elle est une revendication majoritaire des associations LGBT ?
Tout ce qui nous permet de sortir des postures sur des sujets qui sont aussi sensibles ira dans le bon sens. Je fuis les postures des uns comme des autres. J’essaye d’avoir la position la plus construite possible.
Ils ont donc raison ?
Je ne distribue pas les bons et les mauvais points.
Comment expliquez-vous le clivage gauche-droite en France ? Pensez-vous pouvoir représenter une alternative ?
Ce blocage est très largement artificiel. On peut être de droite, avoir un attachement très fort à la famille, et défendre les couples homos. Le mariage pour tous n’a jamais menacé la famille !
Comprenez-vous qu’une partie de l’électorat de droite se tourne vers quelqu’un qui tient des positions aussi conservatrices que François Fillon ? Vous êtes plus bas que lui dans les sondages.
Bien malin qui peut prévoir qui va gagner. Je me suis toujours présenté dans la clarté. Dès qu’on commence à renier ses convictions, les électeurs le sentent. Les électeurs de droite attendent un chef de l’Etat qui regarde devant, et pas derrière.
La modernité est une notion toute relative quand on voit que François Fillon veut remettre l’uniforme à l’école. Il trouve cela « moderne ».
Cela ne fait pas partie de mes propositions. Dans cette élection, je veux être le début de quelque chose pour mon pays. Nous ne pouvons pas toujours recommencer avec les mêmes.
Vous savez peut-être que les adolescents LGBT ont treize fois plus de risques d’essayer de se suicider que leurs camarades hétéros. Comment comptez-vous lutter contre l’homophobie à l’école en sachant que le moindre ABCD de l’égalité crée un tollé ?
Je pense qu’il ne faut pas restreindre cela à la sexualité. C’est une attitude globale de respect des uns et des autres. Vous pouvez tomber dans les deux travers : faire comme si certains ados n’étaient pas en souffrance en raison de leur sexualité d’un côté, et vouloir faire de la sexualité un élément d’explication ou de revendication de l’autre. Quand Najat Vallaud-Belkacem dit qu’on ne peut pas comprendre l’œuvre de Rimbaud sans aborder sa sexualité, je suis en désaccord complet avec ça.
Ah bon ? Et pour Aragon, il faudrait ne pas parler d’Elsa ?
Les choses sont plus complexes que ça, on caricature Rimbaud et on sort de cette notion de respect de la vie privée.
Vous pensez que parler de la vie privée d’un auteur, c’est la caricaturer ?
Non, mais je pense que l’œuvre de Rimbaud ne s’explique pas par sa sexualité, et je pense que sa vie personnelle était beaucoup plus complexe. Dès qu’on met une étiquette ou une revendication, on se trompe dans un sens comme dans l’autre.
Justement, le fait de donner les faits historiques, par exemple que Rimbaud a connu une histoire d’amour avec Verlaine, les associations le revendiquent pour lutter contre l’homophobie à l’école.
Ne caricaturons pas les uns et les autres à des fins de revendication personnelle. Rimbaud ne doit pas être utilisé pour la défense de l’homosexualité ou la lutte contre l’homophobie, je trouve que ça n’a pas de sens. Qu’on raconte la vie de Rimbaud ou la vie de Proust ou la vie d’Aragon, ça ne doit pas aller dans le sens d’une revendication.
Soit, alors on fait comment pour lutter contre l’homophobie à l’école si on ne doit pas donner les faits historiques ?
On doit combattre tous les actes homophobes, toutes les paroles homophobes. C’est le rôle notamment des chefs d’établissements et des enseignants qui doivent sanctionner ces attaques. Tout ça ne peut pas être une question de décret, de loi, mais surtout de parole publique forte et notamment celle du président de la République qui doit appeler à respecter chaque Français. Ce qui compte pour moi, c’est que tous les jeunes Français soient heureux et puissent s’épanouir. Je me méfie des discours revendicatifs. Je ne crois qu’aux discours de respect qui font leur place à chacun.
Mais vous savez bien que personne ne parle d’homosexualité aux ados, ceux qui se sentent délaissés et qui sont tentés par le suicide.
Je pense que c’est une vision très datée de la famille. Mes enfants, de 5 ans à 17 ans savent très bien ce qu’est l’homosexualité…
… Vous avez une famille éclairée, Bruno Le Maire, vous savez bien que ce n’est pas le cas partout.
Eh bien justement, ayons un président de la République éclairé qui tient des propos respectueux, parle de ça librement et sans aucun complexe.
Vous avez vu que l’amendement de la loi Justice permettait aux personnes trans de ne plus passer par le médecin, mais elles doivent encore passer devant le juge pour leur changement d’état civil. Que comptez-vous faire pour ces personnes qui se retrouvent bien souvent dans une grande précarité ?
Je ne connais pas le sujet, je ne veux pas dire de bêtises. Mais honnêtement, tout ce qui concerne un Français, même un seul, me concerne. Je recevrai donc les associations.
Le Front national tente de capter l’électorat gay. Pensez-vous que Marine Le Pen a réussi à prendre l’électorat gay de droite ?
Je ne pense pas que la sexualité soit un facteur de vote. Il y a depuis des années une montée du Front national dans tout le pays. Nous devons répondre aux inquiétudes culturelles et sociales des Français. C’est le seul moyen de redonner de l’élan à notre pays et de faire baisser le Front national.
Comment percevez-vous le fait que NKM soit la seule femme candidate à droite ? Cela ne donne-t-il pas l’image d’un parti poussiéreux ?
C’est toute la politique française qui est poussiéreuse et incapable de se renouveler. Pour donner de l’air à cette classe politique, je propose le non cumul des mandats, le non cumul dans le temps, la réduction du nombre de parlementaires, la démission de la haute fonction publique pour les élus, la présentation du casier judiciaire pour tous les candidats à une élection locale ou nationale. Je vois bien à quel point c’est difficile car lutter contre les acquis c’est se heurter à des intérêts, des privilèges, des avantages. Les résistances sont fortes, mais je me bats notamment pour la parité en politique, c’est un combat indispensable.

Bruno Le Maire, lundi 7 novembre 2016. Photo : Adrien Naselli
Bruno Le Maire, lundi 7 novembre 2016. Photo : Adrien Naselli

 
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Crédit photo couverture : Bruno Le Maire/ Flickr