"En 5 ans, Malte est passé de l'interdiction du divorce à l'union civile"

Par Jérémie Lacroix le 02/12/2016
Helena Dalli ministre maltaise Malte union civile

TÊTU a rencontré la ministre maltaise des Libertés civiles, Helena Dalli. Elle nous explique le travail entrepris par son gouvernement dans la défense des droits LGBT.

Depuis son accession au pouvoir en 2013, le Parti travailliste maltais a rattrapé des années de retard dans la reconnaissance et la protection des personnes LGBT. Cette tâche incombe notamment à la ministre du Dialogue social, de la Protection des consommateurs et des Libertés civiles, Helena Dalli. Ce combat pour l'égalité, elle le mène depuis de nombreuses années aussi bien en tant que parlementaire qu'en tant que docteur en sociologie. D'ailleurs, cet engagement a été récemment honoré puisque Helena Dalli a été élue "Héros de l'année" lors de la cérémonie du prix européen de la Diversité qui se tient chaque année à Londres.
Pouvez-vous nous expliquer pourquoi et comment Malte s'est retrouvé à être l'un des pays les plus en avance dans la défense des droits LGBT ?

Nous avons été élus à la suite d'un gouvernement conservateur et l'égalité des droits faisait partie du manifeste soumis à notre électorat. C'était quelque chose de très attendu car pendant de nombreuses années rien n'a été fait dans ce domaine. Nous avons introduit la loi autorisant le divorce pour les couples hétérosexuels il y a de cela cinq ans, à travers un référendum. Imaginez qu'il y a encore cinq an, on ne pouvait pas divorcer à Malte. Les droits civiques et les libertés individuelles faisaient partie de notre manifeste et nous avons commencé à travailler dessus dès notre arrivée au pouvoir. Par exemple, il y avait cette personne trans qui avait saisi la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) pour réclamer le droit d'épouser son partenaire. Elle avait déjà fait une chirurgie de réassignation sexuelle. Le tribunal puis la Cour constitutionnelle lui avait reconnu ce droit mais le gouvernement ne voulait pas légiférer de manière à lui octroyer ce droit donc elle n'a eu d'autres choix que de saisir la CEDH. On ne pouvait accepter cela, qu'un de nos concitoyens doive aller devant la CEDH pour obtenir des droits si évidents. Lors de ma première réunion de cabinet, j'ai présenté un mémo disant que nous devions atteindre un accord non-judiciaire avec cette personne car c'était de notre responsabilité de lui offrir ce droit. Ce que nous avons fait. Elle a pu se marier et je suis heureuse d'annoncer qu'elle a été acceptée dans le processus d'adoption d'un enfant. En fait, nous avons envoyé un signal disant qu'on ne laisserait personne se voir refuser ses droits les plus élémentaires.

Quelles sont les autres combats que vous avez menés depuis votre arrivée au gouvernement ?

Nous avons passé la loi sur l'union civile qui est alignée sur celle du mariage, seul change le nom. D'ailleurs, je fais actuellement campagne pour que l'on adopte le terme « mariage pour tous » et non « union civile ». Ça arrivera mais les droits sont là. Ensuite, nous avons travaillé sur la loi sur l'identité de genre, laquelle est très vaste. Elle va très loin en ce sens qu'à Malte il suffit d'aller voir un notaire et de dire « Ceci est le genre auquel je m'identifie » et tous les documents seront changés tels le passeport, la carte d'identité, la carté d'étudiant... Depuis que nous avons passé la loi l'année dernière, nous avons eu 63 transgenres qui ont fait changer leur état civil. Pour mettre ce chiffre en perspective, il faut savoir que dans les 15 années qui ont précédé cette loi seules 21 personnes ont fait changer leur état civil. Pourquoi ? Car le processus était très lourd : il fallait passer obligatoirement par une chirurgie de réassignation sexuelle puis faire valider le changement d'état civil par la Cour. 21 en 15 ans et 63 en 1 an : les chiffres parlent d'eux-mêmes quand à l'utilité et au bien-fondé de cette loi. Cela change réellement la vie des gens et c'est cela qui est important. Nous avons retiré la transidentité des maladies pathologiques il y a seulement deux semaines. Nous avons également rendu illégales les thérapies de conversion.

Comment tout cela a-t-il été rendu possible ?

Nous avons fait cela main dans la main avec la société civile, avec les associations LGBT. Lorsque nous sommes arrivés au pouvoir, nous avons mis en place un Comité consultatif avec des personnes provenant de la communauté LGBT car ce sont eux les experts, car ce sont de leurs vies que nous parlons. Je ne suis pas présomptueuse au point de savoir ce qu'ils ressentent et ce dont ils sont besoin. Donc, nous avons discuté, nous avons organisé des consultations populaires sur toutes les lois que nous voulions présenter. Depuis, la population maltaise se rend compte des enjeux que cela représente. Avant cette série de lois, 80% de la population était contre ces évolutions de la société. Mais mon argument était qu'on ne pouvait être une démocratie si on ne prenait en compte que le bien de la majorité sans se soucier des minorités. Le baromètre européen de l'égalité montre que les choses ont évolué. Les gens se rendent compte que le ciel ne nous est pas tombé sur la tête (rires), que leurs vies n'ont pas été affectées par ces évolutions. Car les droits que nous donnons à la communauté LGBT ne sont pas des droits qu'on retire aux autres. Il faut en appeler au bon sens. En tant que législateur, on ne peut pas discriminer et dire qu'on donne seulement des droits à telle ou telle personne. Quelqu'un doit parler au nom des minorités, quelqu'un doit légiférer pour leurs droits. Ainsi nous devenons un société plus ouverte. J'espère que cela ne sera pas déconstruit par d'autres à l'avenir.

Justement, que pensez-vous de tous ces pays qui tentent de revenir sur les droits des LGBT si difficilement acquis ? Je pense notamment aux lois anti-LGBT aux États-Unis, aux manifestations contre le mariage pour tous en France...

Malheureusement, l'Histoire se répète. La civilisation n'est jamais linéaire. Il y a toujours eu des époques de progrès et des époques de retour en arrière. C'est de notre responsabilité de défendre ces droits. Nous parlons de la vie des gens. On ne peut accepter de refuser à certains les droits dont les autres bénéficient.

Quel rôle veut jouer Malte dans la défense des droits LGBT dans l'Union Européenne ?

Je pense que nous pouvons être un exemple. Si la petite île de Malte a réussi à avancer si loin et si rapidement sur ces questions, je suis sûre que cela peut être extrapolé à des pays plus grands que nous et qui sont aussi de plus anciennes démocraties. Je pense que c'est un encouragement. Ces pays peuvent utiliser Malte comme un laboratoire qui a conduit une expérience réussie. Je pense qu'aujourd'hui nous devrions faire beaucoup plus, notamment pendant la présidence de Malte de l'Union Européenne (de janvier à juin 2017, ndlr). Les questions LGBT vont être à l'honneur dans notre agenda notamment pour contrer la montée des conservatismes et éviter de revenir en arrière. Il faut donner de la visibilité à ces questions dans les médias. Par exemple, nous organiserons le 3 février une conférence pour lutter contre la violence faite au femmes et contre la violence basée sur le genre. Le 23 février, nous tiendrons une conférence ministérielle sur l'égalité LGBT, promouvant les partenariats entre le gouvernement et la société civile car c'est là que réside le succès, dans la rencontre entre la volonté politique et la société civile.

Merci Madame la ministre.