livreIl était une fois "un prince et un prince" : les contes gays inconnus de Perrault

Par Jérémy Patinier le 13/10/2017
charles perrault

« Il était une fois le prince Christian qui tomba amoureux du valet de chambre sexy en diable, mais qui était déjà maqué avec Bertrand le palefrenier » … Puis, comme dans presque tout conte pour enfants, les amoureux se marièrent et eurent des enfants (par adoption, GPA ou en coparentalité avec un couple de lesbiennes) et furent très heureux…

Aujourd’hui, il y a beaucoup d’histoires de ce type dans la vraie vie, mais très peu dans les bibliothèques municipales. Les couples homosexuels ne feraient-ils donc rêver ni les enfants, ni les éditeurs ? Pourtant, en son temps, même Charles Perrault avait écrit des contes gays ! Plutôt pour adultes, d'un érotisme discret, mais gays sans aucun doute. Ils célébraient le corps masculin et l'amour des garçons.

"Dialogue de l'amour et de l'amitié"

Le Dialogue de l'amour et de l'amitié est une allégorie, dans le style d’un jeu littéraire à la mode dans les salons de l'époque. Perrault raconte la naissance simultanée de l'Amour et de l'Amitié, qui se disputent leurs pouvoirs respectifs. Avec plus d'attention, le lecteur découvre alors un texte d'une ambiguïté systématique : 17 fois en 20 pages, Perrault explore la confusion des sentiments et l'« amour grec » est évoqué avec un lyrisme plein de nostalgie…

Vous savez, mon frère, dit l'Amitié à l'Amour, que je n'ai pas toujours été si méprisée, vous m'avez vu régner autrefois sur la terre avec un empire aussi grand et aussi absolu que le vôtre. Il n'était rien alors que l'on osât soi me refuser, l'on faisait gloire de me donner toutes choses, et même de mourir pour moi, si l'on croyait que je le voulusse, et je puis dire que je me voyais alors maîtresse de beaucoup plus de cœurs que je n'en possède à présent, bien que les hommes de ce temps-là n'eussent la plupart qu'un même cœur à deux, et qu'aujourd'hui il ne s'en trouve presque point de qu'il ne l'ait double. (page 70)

Le texte complet est ici : https://fr.wikisource.org/wiki/Dialogue_de_l%E2%80%99amour_et_de_l%E2%80%99amiti%C3%A9
Et lu en vidéo ici :

"Le miroir"

Dans le conte Le miroir, Orante est un gentilhomme faiseur de portraits qui va se lasser de la beauté de Calliste et tomber amoureux de son propre reflet… donc d’un semblable !

Il contemple son front d'ivoire / Ses yeux étincelants et doux (...) / Il voit de sa bouche divine / Le ris et la grâce enfantine / Dont lui-même il se trouve épris / Il voit de ses cheveux les boucles vagabondes / Qui mollement tombent par ondes / Sur son teint de rose et de lys (...) / Il voit sa trousse où sont serrées / ces petites flèches dorées / Qui partout le rendent vainqueur (...) / Le dieu volage de Cythère / Qui se mire et se considère / Est amoureux de son tableau / Et son cœur enflammé sent un plaisir extrême / Qui le rend la moitié plus beau / En voyant un autre lui-même. / Ainsi lorsque deux belles âmes / Brûlent de mutuelles flammes / L'amour en a plus d'agrément / Il répand dans les cœurs une joie incroyable / Et jamais il n'est plus charmant / Que quand il trouve son semblable. (pages 90-91)

"La peinture"

À la fin d'un long poème officiel intitulé La peinture, il fait une brève histoire de l'invention de la peinture. Une jeune bergère aime alors un berger, dont elle célèbre la beauté :

(La Nature) avec tant d'agréments avait su le former / Que ce fut même chose et le voir et l'aimer. » Mais le berger doit partir. Elle se désole. « Encore s'il me restait de ce charmant visage / Quelque trait imparfait, quelque légère image. » Le dieu Amour exauce son souhait. « Sur le mur opposé la lampe en ce moment / Marquait du beau garçon le visage charmant (...) / Surprise, elle aperçoit l'image figurée / Et se sentant alors par l'Amour inspirée / D'un poinçon par hasard sous ses doigts rencontré / Sa main qui suit le trait par la lampe montré / Arrête sur le mur promptement et sans peine / Du visage chéri la figure incertaine (...) / Sur la face du mur marqué de cette trace / Chacun du beau berger connut l'air et la grâce. (pages 127-128)

"Les jumelles ou la métamorphose du cû d'Iris en astre"

Le conte Les jumelles ou la métamorphose du cû d'Iris en astre est encore plus saisissant. Ce récit a pour but de ridiculiser la mythologie des Grecs et des Romains, de rappeler les dits "crimes" divers que les dieux commettent en toute impunité (inceste, infidélité, prostitution, homosexualité) et finit par un vrai éloge du sexe, en évoquant entre autres celui de Ganymède, le berger-amant Zeus… Jupiter demande à Mercure :

Hé bien, que m'apportes-tu ? / Sire, je vous rapporte un cû (...) / Oui, mon père, un cû véritable / Mais un cû qui n'a point de prix (...) / Rien dans le Ciel ne lui ressemble / Et c'est un cû que les Grâces ont fait / Ce n'est que dans cet unique objet / Qu'on eut les voir toutes ensemble. (page 166)

Jupiter demande à voir, et, convaincu, résout de proposer aux autres dieux de promouvoir ce joli cû en astre. Le beau Ganymède en rougit :

Et lui-même d'abord se récusa pour cause / Mais il donna tout son crédit / Pour faire réussir la chose. (page 166)

La discussion qui s'engage permet aux dieux de "laver leur linge sale en famille". Cybèle, Apollon, Diane, Bacchus, Hébé, Mars, Minerve, Cupidon, Vénus, Vulcain, se reprochent leurs "histoires de cû". Parmi les joyeusetés qu'ils se renvoient, ce rappel hargneux de Junon à Jupiter :

Ne vous souvient-il plus quelle fut ma vengeance / Que je pris autrefois du berger phrygien (Ganymède) / Pour avoir eu seulement de la complaisance / Pour un autre cû que le mien. (page 171)

Jupiter répond alors :

Pourquoi me reprocher des fautes pardonnées (...) / Et l'on sait que, depuis plus de deux mille années / Je n'ai plus fait parler de moi (...) / Et mes débauches véritables / Sont si vieilles - hélas ! - que tout ce qu'on en dit / Ne passe plus que pour des fables.  (page 171)

Dans les contes du monde entier

L’homosexualité et d'autres thèmes comme le changement de sexe ou la bisexualité sont présents dans la littérature depuis les origines. Évidemment, tous les contes mythologiques regorgent d’histoires d’amour ou de personnages homo/bi/pansexuel ou ayant des relations avec des personnes de même sexe. Même dans la Bible, avec David et Jonathan.
Les contes des « 1001 nuits » font aussi des références à l’homosexualité de certains derviches ou cheikhs, mais jamais de façon très élogieuse…

Et depuis ?

La littérature, même de jeunesse, regorge de personnages homos ou cryto-homos – mais peu de princes. Il suffit de bien vouloir les voir... Dans les contes de fées modernes, voire hypermodernes, il faut quand même se rappeler les 3 tomes cinématographiques de Shreck : le barman travesti dans le Schrek N°2 (qui en pince pour « Charmant », le Prince), mais aussi Pinocchio dans Shrek 1, apparemment très gay ! Dans les autres Disney, version contemporaine des contes de Perrault on trouve un personnage gay secondaire dans Pocahontas, un autre dans la Belle et la Bête (2 secondes au début) et aussi un travesti dans Anastasia… D’autres ont voulu voir dans les Schtroumpfs un village de gays obnubilés par les champignons… Allons bon, mais pourquoi pas, d’ailleurs ? (Et ceux qui serait amoureux de la belle Shtroumpfette, des bis, donc).
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En 1999, les éditions H&O publiaient Princes charmés : contes gays, des textes inspirés entre autres des classiques de Perrault, Grimm et Andersen (lui-même gay assumé d’ailleurs !). Dans un style humoristique, on retrouvait des "parodies" des contes connus : Le beau et la bête, Le vilain petit canard, Le pêcheur et son amant... Puis en 2000, la suite Princes radieux : nouveaux contes gays.
Plus moderne encore : dans la pièce Cendrillon, ce macho (de Sébastien Ministru, avec Laurence Bibot et l'équipe de Chez Maman à Bruxelles), on se demandait « Et si Cendrillon était un homme ? ». Son Prince charmant en serait un aussi, dans la première version gay du mythe ! Qui écrira ces contes gays que nous aurions tant aimé lire dans notre enfance ?
 
À LIRE : 
Les contes de Perrault - Éditions Flammarion, introduction de Marc Soriano, GF, 1991.
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Illustration de couverture : Rodolfo Loaiza