état civilLa journaliste Hélène Hazera en conflit avec la Sécu, un exemple criant de discrimination envers les trans

Par Ambre Philouze-Rousseau le 20/10/2017
trans,existrans,Hélène Hazera

Hélène Hazera est la première journaliste trans à être entrée dans une rédaction au début des années 70. Elle qui fut ensuite productrice à France Culture vient de prendre sa retraite et se voit confrontée à une énième discrimination.

"Quand vous avez 65 ans et quand vous avez fait votre transition en 1973, vous savez que d'une minute à l'autre il y a quelque chose qui peut vous arriver sur le coin de la figure". Le savoir n'a pas réduit la colère ressentie par Hélène Hazera lorsque sa retraite décidée et son poste de productrice à France Culture quitté, son téléphone a sonné. Une employée de la Sécurité sociale lui annonce alors que sa retraite sera minorée. « C'est le bouquet final, je suis devenue très en colère mais je n'ai pas été grossière, je leur ai simplement dit que leur manière de traiter les gens était inhumaine », fulmine-t-elle avant de se parer d'une ironie mordante et de lâcher :

Qu'est-ce qu'ils vont faire autour de mon cercueil ?

"On ne peut pas parce qu'on ne peut pas"

Lorsqu'elle entre au journal Libération en 1978, Hélène Hazera se déclare avec le numéro de Sécurité sociale qui lui a été attribué pour ses études et qui débute par un 1 (soit le numéro attribué aux hommes par l'organisme). Dans les années 90, lorsqu'elle devient pigiste pour Radio France, elle décide de se déclarer avec un numéro qui débute par 2 (soit le numéro attribué aux femmes). « Quand j'ai commencé à travailler à Radio France, j'avais envie d'être plus discrète », confie-t-elle. À ce moment-là, elle écrit à la Sécurité sociale : « Je leur envoie une lettre pour leur signaler ce changement et, sans aucune réponse de leur part, je pense alors qu'il n'y a aucun problème ».
Quelques années auparavant, elle leur avait demandé d'adresser leurs courriers à "Madame Hazera" et non à "Monsieur". Ils lui avaient répondu : « On ne peut pas parce qu'on ne peut pas ». La réponse est la même lorsqu'elle tente de les raisonner concernant sa retraite. « C'est quand même ahurissant et absurde, s'emporte-t-elle. Vous avez deux fiches de paie avec le même nom, le même prénom, la même adresse, la même date de naissance, la seule différence c'est que l'une comporte le numéro 1 et l'autre le numéro 2. » La Sécurité sociale décide donc de prendre uniquement en considération la période travaillée avec le numéro 1, « alors que pendant toutes les années travaillées avec le numéro 2, je cotisais », avance Hélène. La seule solution proposée par l'organisme est la suivante : accepter la situation actuelle, toucher une retraite minorée, protester et attendre d'obtenir gain de cause, sans aucune garantie sur le temps que cela pourrait prendre.

"On touche à la vie quotidienne des gens"

Pour l'instant, Hélène ne touche rien car elle n'a pas voulu accepter cette solution. Une amie l'a contactée pour lui faire part d'un vécu semblable. « Même si cela a mis du temps, elle a pu toucher toute la retraite qui lui était due, affirme-t-elle. Selon la CGT de Radio France qui m'aide dans mes démarches, je ne suis en effet pas la première à faire face à cette situation. » Pour Hélène, le constat est amer :

On touche à la vie quotidienne. Faciliter un peu la vie des gens ne coûterait pas cher à la Sécurité sociale. Or, ils sont encore plus flic que les flics, ce sont eux qui bloquent.

Si Hélène évoque une certaine volonté « d'emmerder les gens pour rien » c'est que les situations divergent en fonction des territoires et des administrations. L'employée de la Sécurité sociale avec laquelle elle est en contact se cache derrière la loi, mais celle-ci n'est pas appliquée de la même manière partout.
Hélène, qui a changé de prénom au début des années 80, se rappelle notamment des années qui ont précédé la loi sur le changement d’état civil. « Certains et certaines se voyaient refuser leur changement dans une région quand d'autres voyaient leur demande acceptée ailleurs», affirme-t-elle. « On m'avait même proposé de venir m'installer en Bretagne car il y avait une ville où le procureur était cool et où j'aurais pu obtenir un changement d’état civil sans avoir été opérée», note-t-elle avant d'asséner : « Et on parle d'égalité devant la loi.»
 
À LIRE AUSSI

 
En attendant que la situation puisse se régulariser, Hélène évoque des « ami·e·s qui proposent de faire une manif ». Le regard rieur, elle glisse : « Je n'ose pas leur dire oui car qu'est ce que l'on pourrait m'offrir de mieux qu'une manif ? C'est un très très beau cadeau. » Hélène aimerait d'ailleurs que ce conflit avec la Sécurité sociale puisse faire jurisprudence, « que cela puisse aider les autres, les suivant·e·s ».

"C'est une mise en danger"

Cette situation met en lumière les nombreux écueils provoqués par la difficulté de changer d'état civil ou de prénom. Lorsqu'elle évoque ce conflit avec la Sécurité sociale, Hélène pense immédiatement aux mineurs qui ne peuvent changer facilement de prénom. « C'est une mise en danger, s'hérisse-t-elle. Envoyer des enfants à l'école avec leur mauvais prénom leur fait courir un grand danger. Et dire que la Manif pour tous et Sens Commun viennent mettre leurs pattes graisseuses là-dessus... »
Hélène évoque le récit d'un jeune garçon trans de 12 ans qu'elle connaît. Il lui a raconté que dans son école, il a eu la chance de pouvoir utiliser le prénom qu'il voulait. Ses copains ne le savaient pas trans. « Il m'a dit un jour que même s'il était discret il aurait bien aimé sortir son drapeau dans la cour de récrée », se souvient-elle. Lors d'une conversation sur le sujet des trans, lancée par ses copains qui en avaient entendu parler dans leur petit écran la veille, il glisse : « Si un trans arrive vers vous qu'est ce que vous faites ? » « Ils ont répondu 'on le crame et on verra après' ; il n'en a pas raconté davantage, c'est terrifiant », conclut Hélène.
 
À LIRE AUSSI

 

"Connaissez-vous la différence entre un pédé queer et une trans ?"

De nombreux trans font face à un parcours du combattant dans leur scolarité. Dans le cadre des études supérieures, le nombre d'abandon de personnes trans serait trois fois supérieur à celui des personnes cisgenres (personnes dont le sexe attribué à la naissance correspond à l'identité de genre vécue). Si l'époque n'est évidemment pas la même, Hélène se souvient parfaitement des raisons qui l'ont poussée à arrêter ses études. « Quand j'avais 20 ans j'ai été virée d'une école. Je préparais l'Idhec et le directeur a dit qu'il ne pouvait pas me prendre car cela ferait trop de scandale. Trois mois après, j'étais au tapin. Je considère que c'est lui qui m'y a envoyée. » Invitée à la "Queer Week" de Science Po, Hélène raconte avoir soumis aux étudiant·e·s organisateur·trice·s une énigme limpide : « Connaissez-vous la différence entre un pédé queer et une trans ? » La réponse est cinglante : « C'est que la trans elle n'entre pas à Sciences Po. »
Cette discrimination à l'égard des études a notamment des conséquences sur le monde de la recherche. Encore aujourd'hui, il y a peu de chercheur.se.s trans. Pour Hélène, « cela nous condamne à subir les analyses des autres sur nous-mêmes, qui regorgent de fantasmes. »

"Être la trans de service, non merci !"

Un constat semblable peut être dressé pour le monde médiatique. À son arrivée à Libération, Hélène Hazera était la première trans à entrer dans une rédaction. Plus de 40 ans après, les trans dans les médias se font toujours très rares. Et le peu de représentations médiatiques existantes est loin de satisfaire Hélène Hazera : « Si c'est pour être la trans de service qui fait glousser l'assemblée en parlant de poulet aux hormones, non merci. » Elle poursuit, remontée :

À une époque j'aurais pu être cette trans de service. Il aurait fallu que je mette un décolleté, que je remonte mes seins et que je glousse à chaque insulte dégueulasse, et bien non. J'étais bien mieux à France Culture.

 

"L'Existrans, c'est mon Noël"

Nombre de ces constats de discrimination seront sûrement dans les têtes de celles et ceux qui prendront part à la 21ème Existrans samedi 21 octobre 2017, la marche des personnes trans et intersexes et de celles qui les soutiennent. Pour Hélène, ce sera la 20ème. 20 ans qu'elle se rend chaque année à ce qu'elle appelle « [son] Noël ». Large sourire pendu aux lèvres, elle s'amuse :

L'Existrans, c'est mon Noël. Tout d'un coup, on n'est plus seul.e.s, on est nombreux·ses, ça fait un bien fou ! Il y a quelque chose de très joyeux à se retrouver entre nous après tout ce que l'on subit au cours d'une année.

 
À ECOUTER AUSSI
Pour celles et ceux qui souhaiteraient en connaître davantage sur le parcours tumultueux, la vie passionnée et les aventures militantes d'Hélène Hazera, sachez que France Culture lui a consacré un "À voix nue" en cinq épisodes à retrouver ici !
 
Photo de couverture : George Scott