"Pour pouvoir adopter mon fils, je dois mentir, divorcer ou attaquer la France"

Par Julie Baret le 23/10/2017
"Pour pouvoir adopter mon fils, je dois mentir, divorcer ou attaquer la France"

“S'il m'arrive quoi que ce soit demain, mon enfant ne sera pas reconnu comme mon fils en France.” C'est avec une légère angoisse, masquée sous le flegme anglais adopté après des années de vie londonienne, que François nous explique sa situation ubuesque, à un bras de mer de distance.

Français de nationalité, François Souyri vit à Londres avec Leandro, son époux. Il a découvert la ville en échange Erasmus et y a élu domicile pour vivre avec son compagnon depuis treize ans, “ce qui est beaucoup en années gay !”, ironise-t-il en laissant traîner deci delà un accent anglo-saxon.
En 2008, les deux hommes ont conclu en Angleterre un civil partnership, partenariat civil qui, à l'inverse du Pacs français, octroit les mêmes droits et devoirs aux homos qu'aux couples hétéros mariés. Celui d'adopter en prime. “On s'est rendu en mairie et on a demandé à rentrer dans le système d'adoption”, synthétise François. Le couple franchit avec succès toutes les étapes du processus d'adoption anglais, et accueille un petit garçon de deux ans en 2012. La simplicité surprend quand on a en tête le parcours du combattant que doivent franchir les candidats à l’adoption en France, éligibles mais recalés par les Conseils de famille qui choisissent le foyer des pupilles de l’État, et boudés par les circuits à l’international, à tel point que les associations de familles homoparentales, comme l’ADFH et l’APGL, sont tentées de dénoncer un droit fictif. “Ici, on ne pose aucune question sur la sexualité”, spécifie François.
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Depuis cinq ans, les deux hommes sont deux heureux papas, mais sur le sol français, la famille n’a pas d’existence légale. Bien qu'il n'ait pas l'intention de retourner vivre dans l’Hexagone, François a ressenti l'instabilité de cette situation il y a deux ans, alors qu'un décès dans sa famille l'a poussé à se questionner sur les questions d'héritage. “Aujourd'hui, ma famille n'a pas légalement l'usufruit de mon héritage. S'il m'arrive quelque chose, ce sera à ma sœur de s'assurer que mon fils et mon mari auront quelque chose. Et avec le Brexit, ça complexifie encore plus les choses : est-ce qu'on va se retrouver à faire la queue séparés, avec les Européens et moi d'un côté, et mon mari et mon fils sur l'autre file dédiée aux Anglais ?”

Chicane pour les couples homos

En 2015, le couple se rend donc auprès du Consulat français pour régulariser son livret. On leur indique qu'ils peuvent convertir leur partenariat civil en mariage, en vertu de la loi britannique qui l’a autorisé deux ans plus tôt, ce qui facilitera la conversion de l’adoption plénière sur le sol français. Ils s’exécutent, et le gouvernement réédite l'acte de partnership en mariage, conservant la date initiale de l’union. Mais lorsque François et Leandro regagnent le bureau du Consulat français, ils se retrouvent dans une impasse. On leur indique que la transcription de leur acte de mariage est impossible car celui-ci ne remplit pas les cases de la loi française, comme la présence de témoins et la nécessité d’une cérémonie publique, et est daté d’avant la loi du mariage pour tous, laquelle n’a pas d’effet rétroactif. “Ils nous ont induit en erreur, mais en même temps ils ne savaient pas comment le gouvernement anglais allait convertir notre union”, temporise François malgré le cul-de-sac administratif dans lequel son mari et lui se retrouvent. Car sans reconnaissance du mariage, ils ne peuvent faire reconnaître leur acte de paternité. Or ils ne peuvent pas non plus se marier en France, car la loi interdit de telles unions pour un couple déjà marié à l’étranger…
“C'est franchement bizarre que nous n'ayons pas encore de législation européenne sur la reconnaissance du mariage entre les États membres, s'étonne l'avocat britannique Colin Rogerson cité par le site d’information juridique Above The Law. Ce n'est malheureusement pas un cas isolé, même entre deux pays qui autorisent le mariage homosexuel.” François et Leandro ne tardent d’ailleurs pas à trouver d’autres couples homos dans le même bourbier, réunis dans un groupe de conversation Facebook. Dans une communication officielle, ils se font appeler les “Indésirables”. “C'était un peu fort, conçoit François, mais c'était pour marquer le fait qu'on n'est pas voulus en Angleterre, et pas les bienvenus en Europe non plus.” Ils sont six couples à chercher une solution par messages interposés, mais le nombre réel de personnes impactées par cette absurdité administrative pourrait être bien plus élevé, car elle concerne tous les couples bi-européens qui ont converti leur partenariat civil en mariage, soit uniquement des couples de même sexe, le civil partnership n’étant pas ouvert aux couples hétéros outre-Manche.
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"Le divorce ? C'est non ! On passera par la voie légale"

Du côté français, on ne leur propose pas d’autre solution que de dissoudre leur union britannique afin de pouvoir se remarier en France. “Or en Angleterre, il faut prouver qu'on ne vit plus ensemble depuis deux ans... Et surtout nous on a un enfant au milieu. C'est non !, assène François. On nous oblige de passer par un biais qui est certes légal mais qui n'est pas normal.” Coincé entre deux administrations, le couple envisage même de se marier à Las Vegas pour court-circuiter le processus, “mais si on fait cela, il est clair que l'on va appeler la presse pour dénoncer ces lacunes légales !” Autre option plus ou moins dans les clous, cocher "non" sur le formulaire de mariage à la case : “Êtes-vous déjà marié à l'étranger ?” et préciser leur situation en commentaire. “Mais ça serait jouer avec la légalité”, refuse François. Surtout, pour pouvoir se marier en France, le couple doit justifier d'y être domicilié, “ça veut dire quoi ? Louer un Airbnb pendant deux mois et trouver un maire sympa pour jouer la combine ?”
François préfère passer par la voie légale. Sur le courrier officiel type que lui a adressé, à lui comme à chaque “Indésirable”, le gouvernement français, une mention en gras : “Si vous entendez contester cette décision, il vous appartient d'assigner le Parquet de Nantes devant le Tribunal de Grande instance.” L'option est répétée par téléphone, à l'adresse d’un autre couple, qui entend au bout du fil : “Soit vous divorcez, soit vous nous attaquez”. “On a tous pris le même avocat auquel on doit chacun payer les frais, continue François. Et on va devoir répéter ça pour l'acte de paternité, ce qui est aberrant car si nos frais de justice nous sont remboursés, ça va coûter de l’argent au gouvernement français.” Une considération pécuniaire que les deux hommes espèrent, par leur action, éviter aussi aux prochains couples qui rencontreront cet obstacle. “On sait qu'on va gagner, mais on sait que ça peut prendre du temps. Or aujourd'hui mon fils a déjà 7 ans... Je ne vais pas attendre 10 ans.”
La première audience est fixée au mardi 7 novembre, afin d'entendre la conclusion du Procureur de la République sur cet imbroglio administratif. En l'absence de conclusion, le tribunal fixera la date d'une audience ultérieure “lors de laquelle l'affaire sera jugée quoiqu'il en soit”, certifie leur avocat.
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Couverture : Courtesy of François Souyri