coming outAnna Calvi fait son coming-out queer avec son troisième album « Hunter »

Par Marion Chatelin le 23/08/2018
Anna Calvi

De retour après cinq ans d'absence, Anna Calvi frappe fort avec « Hunter », un troisième album enragé et envoûtant, dont la sortie en France est prévue le 31 août 2018. Dans un long texte publié récemment sur son site, l'artiste a fait son coming-out queer. Un cri du coeur contre les stéréotypes de genre, doublé d'une réflexion autour de la masculinité et de la féminité. À quelques heures de sa participation au festival Rock en Seine, samedi 26 août 2018, TÊTU a rencontré cette rockeuse passionnante.

Dès les premières secondes de « As a Man », premier morceau de son nouvel album, « Hunter », la voix haletante et caverneuse d'Anna Calvi brouille les pistes :

« If I was a man in all but my body, if I was walking and talking as a man », chante-t-elle (littéralement : « Si j'étais un homme dans tout sauf dans mon corps, si je marchais et je parlais comme un homme »).

Il aura fallu attendre cinq longues années, s'il on omet son EP « Strange Weather », sorti en 2014, avant de retrouver le rock âpre et les mélodies piégeuses de la Britannique. Entre temps, la musicienne, que la presse rock avait hâtivement affublée du titre de « nouvelle PJ Harvey », a pris du recul. Notamment sur elle-même.

Dans un texte intitulé Manifesto récemment publié sur son site internet, Anna a fait son coming-out queer : « Je veux aller au-delà des genres. Je ne veux pas avoir à choisir entre ma part de féminité et mon côté masculin. Je me bats contre le sentiment d’être une outsider et j’essaye de trouver un endroit qui me ferait me sentir chez moi », lâche-t-elle. Ce n'est donc pas un hasard si les 10 morceaux de ce nouvel album explorent tous la notion de genre.

Anna Calvi fait son coming-out queer avec son troisième album « Hunter »
Crédit Photo : Maisie Cousins.

TÊTU : Quelle est la genèse de ce troisième album, « Hunter » ?

Anna Calvi : J'ai commencé à penser cet album juste après avoir fini « One Breath » (son deuxième album, ndr) mais j'ai démarré son écriture en 2014. Tout est parti d'un ressenti, celui que les femmes sont constamment dépeintes comme des proies : que ce soit dans les médias, dans les films et dans bien d'autres branches de nos sociétés. Moi, j'ai voulu explorer d'autres pistes. D'abord, montrer que les femmes n'ont pas peur d'être désirées ou de rechercher le plaisir, sans ressentir aucune forme de honte. Mais aussi qu'elles peuvent être aussi bien la chasseuse que la proie. J'ai vraiment cette désagréable impression que tout ce qui fait de nous ce que nous sommes est, d'une manière ou d'une autre, automatiquement genré. J'étais curieuse de voir ce qu'il se passerait si on s'abstrayait de cette notion de genre. Et c'est ce que j'ai voulu explorer avec cet album.

Musicalement, quelles ont été tes sources d'inspiration pour cet album ?

Je voulais que l'album soit puissant mais aussi intime. J'ai surtout essayé de m'écouter et de ressentir. Les guitares, lancinantes parfois, tranchantes lors de certains solos, représentent le côté un peu sauvage de l'album. J'ai voulu les mixer avec ma voix qui représente les sens. Tout a été très bien arrangé par les musiciens qui m'entourent. L'équipe n'a d'ailleurs presque pas changée par rapport à mon deuxième album, « One Breath ». J'ai demandé à Adrian Utley de Portishead, de jouer les claviers pour le côté planant de certains morceaux, mais également à Martyn Casey des Bad Seeds à la basse, qui lui, donne une couleur plus rock. Les deux musiciens ont réellement apporté une jolie profondeur à l'album.

Dans la chanson « Don't Beat The Girl Out Of My Boy » tu chantes « You're so fine with your heavy diamond eyes », à qui t'adresses-tu ?

Dans cette chanson, je parle à la personne que j'aime et que je protègerai et défendrai envers et contre tout. Ma source d'inspiration pour ce morceau a été mon expérience d'être avec quelqu'un et d'être complètement moi-même. Je m'adresse à ma petite amie. 

Cela a été un long cheminement pour enfin faire ton coming out queer ?

J'ai fait mon coming-out lesbien quand j'avais 16 ans. À cette époque, je sortais avec ma toute première petite-amie. Mais je n'ai jamais voulu être rangée dans une case. Je n'avais pas trouvé le mot qui résonnait dans tout mon être. Je me suis toujours définie en tant que lesbienne, mais je me sentais d'une certaine façon enfermée dans une coquille qui n'était pas vraiment moi.

Lorsque j'ai découvert le mot « queer », j'ai su que c'était exactement la manière dont je me suis toujours définie. L'ouverture, la fluidité entre les genres, considérer qu'on a une part de féminité et de masculinité, c'était exactement ce que je vis ! Mais surtout, le mot « queer » ne se résume pas à une sexualité, comme les mots « lesbienne » ou « bisexuelle ». Il représente un spectre beaucoup plus large. Ça m'a véritablement libérée.

Tu dis explorer les notions de genre, de masculinité et de féminité, à travers cet album. Ta musique est-elle dénuée de toute identité de genre ?

J'ai toujours trouvé que la musique est le meilleur moyen pour moi d'explorer mon identité de genre. De repousser les frontières de la masculinité et de la féminité. Et d'ailleurs, je ne sais toujours pas ce que signifie être « masculine » ou être « féminine », je m'interroge en permanence à ce sujet. Parfois, je ressens des énergies différentes, tirant plus vers la masculinité, ou vers la féminité, mais j'ai du mal à le verbaliser. C'est précisément là-dessus que j'articule mon travail. Cette identité queer a toujours accompagné ma musique, y compris pour mes deux premiers albums.

Selon moi, ma musique est complètement agenrée. Je le ressens lorsque j'écris les paroles, notamment avec l'utilisation du pronom « you » (« tu » ou « vous », ndlr) qui est très rarement genré. Je le ressens aussi sur scène, dans la façon dont je m'habille. J'aime m'affranchir des codes et m'inscrire dans cette fluidité.

« Il n'y a jamais de mauvais moment pour faire son coming-out !  Je dirais même que c'est toujours le bon moment pour se sentir réellement libre ! » 

C'était le bon moment pour le faire ?

Il n'y a jamais de mauvais moment pour faire faire son coming-out !  Je dirais même que c'est toujours le bon moment pour se sentir réellement libre ! Je me suis sentie prête à être directe et claire. Aussi parce que les problématiques liées au genre ont revêtu au fil des années une importance toute particulière pour moi. Cet album est particulièrement intime, puisqu'il représente le fruit de mes réflexions durant ces cinq dernières années, et j'ai voulu être tout à fait transparente pour le public. Ne plus me cacher.

C'est vrai aussi que le monde est plus ouvert qu'avant. Le public est prêt à entendre et comprendre un coming-out queer. Et cela a certainement facilité les choses...

Anna Calvi sera en concert samedi 26 août 2018 de 17h50 à 18h40 sur la scène de la Cascade au festival Rock en Seine.

Crédit Photo : Maisie Cousins.