ParisEn 2018, l'homophobie court encore les rues, y compris à Paris, y compris à TÊTU

Par Marion Chatelin le 06/09/2018
homophobie

L'homophobie, nous en parlons chaque semaine sur le site de TÊTU, malgré nous. Jusqu'au jour où elle nous frappe directement, violemment. La goutte d'eau qui fait déborder un verre déjà bien trop plein. Le 22 août dernier, notre journaliste Marion Chatelin a été victime d'une agression. Elle a décidé de le raconter, et nous, de la soutenir et de relayer son témoignage. Son coup de gueule, aussi : en 2018, cinq ans après la légalisation du mariage pour tous, les LGBTphobies hantent toujours nos quotidiens, y compris à Paris.

Pour la première fois de ma vie j’ai été agressée verbalement et physiquement pour ce que je suis : une femme, lesbienne. Ça n’a pas eu lieu dans une rue de Bordeaux, devant la sortie d’un club gay à Lyon, ou dans un bois à Toulouse. Mais à Paris. Au beau milieu du 19e arrondissement. À 10 minutes à pied seulement de mon appartement. Dans un quartier, mon quartier, que je fréquente tous les jours. Un arrondissement à la fois familial, jeune, et populaire où je me suis toujours sentie chez moi. Mais aujourd’hui, la situation est différente.

« Ne faites pas ça devant les enfants ! »

C’est donc une soirée normale, pour un mercredi 22 août. Je dîne avec ma petite-amie dans un restaurant à côté de la station de métro Jaurès. En sortant, nous nous embrassons, quand au même moment, nous entendons une remarque venant d’un homme attablé en terrasse avec sa femme et ses deux enfants. « Ne faites pas ça devant les enfants ! Allez ailleurs, il y a l’hôtel pour ça, mais pas devant les enfants ! », nous lance-t-il. Choquées, nous lui rétorquons que c’est à lui d’aller ailleurs s’il n’est pas content de ce qu’il voit. Les choses s'enveniment, l’homme se lève et se rapproche de nous tout en nous insultant copieusement.

Florilège d’insultes

« Vous êtes dégueulasses ! Sérieusement allez ailleurs », « sales lesbiennes », « allez vous faire soigner »… Un florilège d’insultes, prononcées en terrasse, devant sa femme et ses enfants. Je crois rêver. Plusieurs individus qui « rôdent » dans les parages arrivent au niveau de la devanture du restaurant, probablement attirés par le déversement d'insultes. Le père de famille leur explique la situation et tous nous insultent de concert.  

Un couple d’hétérosexuels - que je pourrais reconnaître dans la rue aujourd’hui, et que je tiens à remercier en espérant qu’ils lisent ces lignes - est aussi attablé à cette terrasse. Scandalisés par ce qu’ils entendent, ils se lèvent et vont voir l’homme en question. Ils s'embrassent d'abord, copieusement. Une « galoche », une vraie. Avant de lâcher : « Toi t’es un tocard, tu n’as rien compris à la vie, tu n’as rien compris à l’amour ! ». La punchline restera gravée dans ma mémoire, tout comme leur attitude, qui m’a profondément émue. Une jeune femme qui passe par là en vélo monte elle aussi au créneau, en demandant à l'individu de se taire et de nous laisser tranquilles. Merci à elle, merci à eux. 

Une gifle et un coup de poing au visage

Nous décidons de traverser la rue, complètement sonnées par ce qu’on a entendu. Nous nous prenons dans les bras et nous réalisons que nous venons de nous faire insulter. Des propos haineux, qui résonnent, bouleversent, tétanisent. Les yeux fermés, je respire profondément. Je les ouvre et je vois l’individu sur le trottoir d’en face, entouré des mêmes hommes. Il crie et crache en notre direction. Cette fois-ci, mon sang ne fait qu’un tour. Je brandis un doigt d’honneur.

Tous courent dans notre direction en criant, tandis que sa femme et ses enfants restent attablés. Le père de famille, ivre de colère, menace de me violer : « Tu vas voir, je vais te violer, tu vas comprendre ce que c’est ! », beugle-t-il. Il me gifle dans la foulée. Un des jeunes hommes essaye de le retenir de me frapper, mais il se débat violemment et m’assène un coup de poing au visage. Je vacille. Ma petite-amie hurle et se précipite sur lui. Je reprends mes esprits et essaye de l’en empêcher.

Je ne saurais expliquer comment tous se sont dispersés, mais nous nous sommes retrouvées plantées là, seules devant l’écluse de Jaurès, complètement sous le choc. La police est arrivée très rapidement, appelée certainement par un témoin au restaurant. Nous avons porté plainte le lendemain matin. 

L'homophobie court les rues

Vient ensuite le temps de réaliser. D'intégrer le fait que j'ai presque « eu de la chance ». Rien de cassé, pas d'hôpital, ni de points de sutures. Jordan, Aurélie, Nathanaël, Damien, et tous les autres ont eu, eux, au minimum trois points de suture. Certains ont été violés, d'autres ont été aspergés d'eau de javel, ou ligotés et abandonnés dans une forêt. Une personne transgenre est morte.

Depuis la fin juin 2018 - date de mon arrivée à TÊTU - j'écris sur des agressions homophobes au minimum une fois par semaine, parfois trois, voire quatre. Au moment où j'écris ces lignes, ça recommence : une série d'agressions homophobes à Besançon. Certaines victimes ont des traumatismes physiques importants. Je suis lasse. Et profondément en colère.

C'est un fait : en France en 2018, l'homophobie court les rues. Selon le rapport annuel de l'association SOS Homophobie, les agressions homophobes physiques ont augmenté de 15 % en 2017. Les actes homophobes dans leur globalité ont augmenté de 4,8% par rapport à 2016. Jamais je n'aurais pensé que je raconterais ici ma propre histoire. Jamais je n'aurais pensé que je serais, moi aussi, un chiffre à comptabiliser.

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Crédit photo : Flickr/doubichlou14/CreativeCommons.