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élection présidentielleValérie Pécresse : "La libre détermination des personnes, c’est mon ADN"

Par Nicolas Scheffer le 18/02/2022
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Dix ans après avoir pris position contre le mariage pour tous, revoilà donc Valérie Pécresse en candidate de la droite LR (Les Républicains) pour l'élection présidentielle 2022. TÊTU avait quelques questions à lui poser… Entretien.

Valérie Pécresse est une femme qui a des comptes à nous rendre lorsqu’elle nous reçoit en visio dans son QG de campagne. Son opposition au mariage pour tous, sa participation à un meeting de Sens Commun, les freins de son camp politique à la PMA pour toutes ou encore à toute forme d’amélioration des conditions de vie des personnes transgenres.

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Mais la désormais candidate Les Républicains (LR) à l’élection présidentielle n’est pas prête à des excuses. Au contraire, elle affirme avoir toujours appartenu à “la frange progressiste” de la droite. Elle en veut notamment pour preuve qu’elle aurait toujours condamné les politiques LGBTphobes en Pologne ou en Hongrie. Si elle est élue en 2022, elle assure aussi vouloir ouvrir davantage les établissements scolaires aux associations qui luttent contre les LGBTphobies. Plus encore, elle promet que la libre détermination du genre fait partie de son ADN. 

Mais peut-on vraiment croire Valérie Pécresse ? Derrière certains diagnostics qu’elle partage avec TÊTU, il reste que la candidate ne part pas seule dans sa course à l'Élysée, mais avec une équipe rapprochée. Y figure le sénateur vendéen Bruno Retailleau, chargé des “grandes réformes du début du quinquennat”, qui a tout fait pour ralentir l’adoption de la PMA pour toutes. Ou encore François-Xavier Bellamy, chargé des relations avec le Parlement européen, qui fait des conférences avec Viktor Orbán quand il ne qualifie pas la PMA pour toutes de “malédiction”. Laurent Wauquiez, président de son comité de soutien, déclarait quant à lui devant les troupes de Sens commun que la loi bioéthique, “c’est de l’eugénisme”, invoquant “le nazisme“. Alors, c'est sûr, on avait quelques questions à poser à Valérie Pécresse.

Yannick Jadot a déclaré que vous étiez la candidate de la Manif pour tous. Selon vous, il s’agit d’une qualité ou d’un défaut ? 

Valérie Pécresse : Je n’ai jamais appartenu à la Manif pour tous.

Ah bon ? Vous étiez tout de même au premier rang des manifestations en 2012…

C’est inexact. Je n’étais pas au premier rang des manifs. J’étais une fois à une manifestation pour dialoguer avec les manifestants. Je défendais à l’époque l’union civile, ce qui me mettait dans une frange progressiste.

Le Pacs existait déjà depuis 1999…

Ce que je proposais, c’était un mariage sans filiation, au-delà du Pacs.

Vous avez ensuite proposé dans une interview qu’on “démarie” les couples homosexuels pour mettre en place cette union civile…

Je m'étais trompée dans la réponse, je n’avais pas écouté la question. À l’époque, je voulais défendre l’union civile, point final. Et quand la loi a été votée, j’ai déclaré qu’humainement, il n’est pas possible de revenir dessus. 

"Je ne veux pas qu’on fasse un pas vers la gestation pour autrui (GPA)."

Votre changement de discours sur le mariage est-il également valable sur la filiation ?

Le mariage va avec la filiation. Je suis favorable à la PMA dès lors que l’enfant peut accéder à ses origines à sa majorité. Deuxièmement, je ne veux pas qu’on fasse un pas vers la gestation pour autrui (GPA). Je suis contre la marchandisation du corps des femmes. 

La psychanalyste Elsa Cayat soulignait que cette interdiction absolue de la GPA est encore une fois un empiètement de la société sur la liberté des femmes à disposer de leur corps. Cela ne vous touche-t-il pas ?

C’est l’argument des ultra-libéraux pour qui tout s’achète et se vend. Le corps humain est inaliénable, c’est la valeur qu’on donne à la vie. Je ne crois pas qu’au nom des libertés, on puisse faire n’importe quoi. Est-on vraiment libre de vendre son rein, de pratiquer une GPA, lorsque l’on est totalement démunie ?

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Que dites-vous des “GPA de solidarité” où une personne de l’entourage peut porter l’enfant d’un couple sans transaction. Vous n’y croyez pas ?

Je fais partie d’une famille, la droite, qui prône le respect de la personne humaine et la liberté. Je ne me mêle pas de la vie privée des gens. Je pose des principes, l’un d’eux, c’est la non-marchandisation des corps humains mais je suis respectueuse de la liberté des personnes, et de ce qu’elles font, dans le cadre des lois et des règlements. Mais on ne bougera pas sur la GPA car je n’y crois pas. Je pense que cela aboutira nécessairement à une marchandisation des corps. 

Une fois que les enfants sont arrivés en France, doit-on faciliter leur accueil ? 

Il me semble que le sujet est déjà réglé : il faut faire primer l’intérêt de l’enfant. S’il y a une vie familiale autour de lui, il faut la reconnaître. Souvent, il y a au moins un parent légal en France. La famille, c’est l’affection, ce sont les solidarités et cet enfant en a besoin. S’il y a des cas de déni de justice, je m’en saisirai.

L’identité de genre semble être le nouveau cheval de bataille à droite. L’autodétermination des personnes transgenres ne correspond-elle pas à votre idéal de liberté ?

Si. On est dans un pays de liberté, je ne me pose même pas la question. 

Donc si vous êtes présidente, les personnes trans pourront changer d’état civil sur simple déclaration, sans avoir à passer par tout un processus visant à les décourager ?

La transition à l’état civil n’est pas une procédure anodine. Un changement irréversible de sexe n'étant déjà plus exigé, la question est de savoir s’il faut déjudiciariser cette procédure. Cela aurait pour conséquence de désengorger la justice, donc cela se regarde, mais changer d’état civil est une décision qui ne peut pas se faire d’un simple coup de fil. Quand je serai présidente de la République, on en discutera avec les associations pour que cela ne prenne pas un an. La libre détermination des personnes, c’est mon ADN.

L’utilisation de l’écriture inclusive vous effraie-t-elle ?

Quand je suis arrivée à la région, tous les actes étaient en écriture inclusive, qui est très difficile à comprendre. Je ne crois pas du tout à l'idée que cela permet plus d’égalité femme-homme. Il faut assumer qu’en français, le neutre est masculin. Quand on veut parler de quelqu’un qui n’est ni un homme ni une femme, on emploie le masculin. Il ne faut pas déconstruire la langue, je suis pour un féminisme du bon sens qui se prouve dans des actes concrets.

Justement, votre camp utilise l’expression “d’idéologie du genre” pour discréditer tout amendement qui faciliterait le quotidien des personnes transgenres… Si vous êtes élue, ces amendements seront-il votés ou non ?

Je ne vois pas aujourd’hui d’entrave à la liberté des personnes. Quels sont les freins qui existent ? J’ai le sentiment que l’on instrumentalise beaucoup ces personnes pour créer des clivages. 

"Que ce soit à propos de l’identité de genre ou de l’identité sexuelle, les gamins sont dans une immense détresse et ne peuvent pas toujours en parler à leur famille."

Quand les personnes trans sont sept fois plus nombreuses que les personnes cisgenres à se suicider, n’y a-t-il pas un problème ? 

Le suicide est un sujet que je veux prendre à bras le corps, comme lorsque j’ai lancé la première campagne d’affiches contre l’homophobie lorsque j’étais ministre des Universités. La santé mentale des jeunes est un immense souci : les familles n’ont pas accès à des psy. Or, que ce soit à propos de l’identité de genre ou de l’identité sexuelle, les gamins sont dans une immense détresse et ne peuvent pas toujours en parler à leur famille. Les collèges et lycées disposent de conseillers psychologues voués à l’orientation. Je veux que les entreprises s’occupent de l’orientation des élèves pour que, libérés de ce temps, les psychologues au collège et au lycée puissent être là pour les élèves. La santé mentale sera l’une de mes grandes causes.

Et pour les adultes ?

Il faut un choc de formation à propos de la santé mentale, d’une manière générale. Je reconnais qu’en l’espèce, le gouvernement à un peu avancé. Il faut un doublement des médecins formés.

Le harcèlement scolaire a encore fait plusieurs victimes récemment parmi les élèves LGBTQI+. Renforcerez-vous l'action des associations dans les écoles ?

Le problème, c’est que les professeurs n’y sont pas du tout formés. Ce n’est pas un élément de programme comme le français, les maths ou l’histoire, mais de vie scolaire. Ces sensibilisations doivent être portées par des associations formées, agréées qui savent en parler de manière délicate. La lutte contre le harcèlement doit être portée par toute la communauté éducative.

"Apprendre la vulnérabilité et le respect des différences, ça fait partie de l’éducation."

Vous vous inscrivez nettement en contre Éric Zemmour quand il dit que SOS homophobie n’a rien à faire à l’école. Vous continuerez à faire comme en Île-de-France ?

Quand j’entends Zemmour expliquer que l’inclusion est une question dangereuse, c’est tout le contraire. Apprendre la vulnérabilité et le respect des différences, ça fait partie de l’éducation. Il faut séparer la transmission des savoirs et la vie scolaire, qui doit être confiée aux collectivités locales avec des associations agréées. 

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Votre tête de liste en Seine-Saint-Denis pour les régionales, Bruno Beschizza, avait combattu des affiches de prévention du VIH arguant qu’elles risquaient de choquer les enfants. Quel est le vrai visage de votre droite ?

Celui qui est devant vous. Ce sera ma ligne lorsque je serai présidente de la République. 

Vous avez nommé dans votre équipe resserrée Bruno Retailleau, François-Xavier Bellamy, Christian Jacob qui sont de farouches opposants à nos droits…

Il y a une droite plus conservatrice et qui a une sensibilité qui n’est pas la mienne, je ne le nierai pas. Vous citez les trois présidents de groupe, au Sénat, au Parlement européen et à l’Assemblée. Ce sont évidemment les piliers de mon équipe, mais ils ne font pas ma ligne politique.

Un message que vous porterez devant la Hongrie et la Pologne, contrairement à monsieur Bellamy qui refuse de dénoncer l'homophobie d'Etat pratiquée par leurs gouvernants actuels ?

Au bureau politique des Républicains, j’avais été l’une de celles qui est montée au créneau pour demander la mise en œuvre d’une procédure d’infraction contre la Hongrie. Publiquement, je me suis exprimée pour que la participation du parti de Viktor Orbán au sein du PPE [le groupe de droite au parlement européen] soit posée. Et il a fini par être exclu. Par ailleurs, je suis favorable à ce que la France porte à l’ONU un vœu sur la dépénalisation universelle de l’homosexualité dans le monde.

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Crédit photo : Valérie Pécresse dans son QG de campagne (image fournie par son équipe)