musiqueAretha Franklin, mort d'une icône

Par Youen Tanguy le 16/08/2018
aretha franklin

On l'appelait Lady Soul ou la Reine de la Soul. Aretha Franklin, considérée comme la plus grande voix féminine de cette musique, est morte à l'âge de 76 ans des suites d'un cancer du pancréas. Retour sur la carrière grandiose de la chanteuse et ses rapports avec la communauté gay.

Aretha Franklin a définitivement quitté la scène. La chanteuse américaine est décédée jeudi 16 août à l'âge de 76 ans. La « Reine de la Soul », à qui les médecins avaient diagnostiqué un cancer en 2010, recevait depuis plus d'une semaine des soins palliatifs à son domicile de Detroit. Elle était sans conteste l'une des plus grandes voix américaines et une figure emblématique de la communauté noire.

Née le 25 mars 1942 à Memphis, dans l'Etat du Tennessee, d'une mère chanteuse de gospel et d'un père révérend, Aretha Franklin a appris le piano, seule, à l'oreille. Enfant, elle chante à l'église de Détroit dans la chorale de son père avec ses deux soeurs. Elle enregistre un premier titre studio à seulement 14 ans et sort dans la foulée son premier album, Songs of Faith, avec Columbia Records.

Premiers succès

Dans une carrière qui s'étalera sur sept décennies, Aretha récoltera pas moins de 18 Grammy Awards. La gloire pourtant s'est fait attendre. C'est avec son onzième album, I Never Loved a Man (The Way I Love You), paru en 1967, que la chanteuse conquiert une audience plus large et blanche.

L’album, qui restera son chef d'oeuvre le plus absolu, s’ouvre sur une reprise du « RESPECT » d'Otis Redding et se termine par une autre, sublime, de « A Change Is Gonna Come », la chanson de Sam Cooke, titre emblématique du mouvement des droits civiques. Car, comme son pasteur de père Clarence LaVaughn Franklin, Aretha sera toute sa vie une fervente militante de la cause noire aux Etats-Unis.

Très vite, sa version de « RESPECT » devient un hymne émancipateur pour toutes les minorités, qu’elles soient noires, latinos ou homosexuelles. Comme des tas d’autres divas afro-américaines — Patti Labelle, Diana Ross ou Tina Turner - Aretha Franklin est adulée par la communauté gay. Mais contrairement à ses rivales (réelles ou supposées), la Lady, elle, n’était pas un sex symbol mais une force de la nature.

Voilà ce qu'elle racontait au magazine Time en 1968 à propos de sa musique :

« Si une chanson parle de quelque chose que j'ai vécu ou qui aurait pu m'arriver, c'est bien. Mais si elle m'est étrangère, je ne pourrais rien lui prêter. Parce que c'est ça la soul, juste vivre et réussir à se débrouiller. »

Tandis que la star engrange les succès, la femme est marquée par les épreuves. Elle perd sa mère Barbara Franklin à 10 ans, accouche de son premier fils à 13 ans, du deuxième à 15. Elle les élève seule, aidée de sa grand-mère.

Ses deux mariages sont des échecs et elle connaît des problèmes d'alcoolisme. Son père, victime des balles d'un cambrioleur en 1979, tombe dans le coma et meurt plusieurs années plus tard. Elle passe une partie de sa vie recluse, traumatisée par la mort de ce père et sa peur de voler en avion. Mais la voix résiste et la diva continue la musique, entourée de ses quatre fils.

Renaissance au début des années 80

A la fin des années 70, la fièvre disco met à mal la carrière de la chanteuse. Franklin retrouve Curtis Mayfield, déjà responsable du succès de son album Sparkle, mais rien n'y fait. Leur disque Almighty Fire, est un échec. C’est un producteur de R&B, et homosexuel dans le placard, qui offrira un second souffle à la carrière Aretha Franklin en 1982 avec l'album Jump To It. Son nom : Luther Vandross, ex-choriste de Sister Sledge. En 1980, une apparition remarquée dans le film Les Blues Brothers participe à son retour sur le devant de la scène. 

En 1985, révérée par les Angleterre, Lady Soul accepte un duo surprenant avec les londoniens de Eurythmics (« Sisters Are Doin' It for Themselves »). Puis en 1986 sort Aretha. Un duo avec George Michael (« I Knew You Were Waiting For Me »)  et une pochette de l'album est signée Andy Warhol, en font de ce disque l'un de ses albums les plus queer. Aretha redevient hype.

Aretha Franklin, mort d'une icône

Quelques années plus tard, après avoir souvent repris ses chansons, la diva enregistre un premier duo avec Elton John publié sur un album, Through the Storm, où cohabite un autre tube : « It Isn't, It Wasn't, It Ain't Never Gonna Be » chanté en duo avec la jeune Whitney Houston.

Réputée pour son tempérament volcanique et ses crises de colère légendaires, la diva au 75 millions de disques vendus dans le monde tient à distance, et en respect, une bonne partie du showbiz. Mais cela ne l'empêche pas d'accompagner Céline Dion, Mariah Carey ou Mary J. Blige lors de concerts caritatifs entre "Divas".

Lorsqu'elle arrête de fumer, sa voix s'améliore. Mais Franklin doit faire face à des problèmes de poids contre lesquels elle prétend lutter à l'aide d'une combinaison de "Slim Fast et de jeunes hommes". La diva était doublée d'une chipie capable de tuer pour un bon mot.

Elle fait pleurer Obama

En 2005, elle reçoit du président George W. Bush la médaille de la Liberté, la plus haute distinction américaine pour un civil. Quatre ans plus tard, elle chante pour l'investiture de Barack Obama, impériale sous un chapeau gris, lors d'une cérémonie riche en émotions.

En 2015, elle fait pleurer ce même président des Etats-Unis, lors d'une soirée au Kennedy Center Honors de Washington rendant notamment hommage à la songwriter Carole King, créatrice de la chanson « (You Make Me Feel Like) A Natural Woman » :

https://www.youtube.com/watch?v=XHsnZT7Z2yQ

En 2010, Aretha Franklin apprend qu'elle souffre d'un cancer du pancréas. Sept ans plus tard, malgré de graves problèmes de santé, elle annonce l'enregistrement d'un dernier album avant de mettre un terme à sa carrière en studio.

« Je me sens très très satisfaite quand je vois où ma carrière a commencé et où j'en suis à présent. Mais je ne vais pas m'en aller et juste m'asseoir sans rien faire. Ce ne serait pas souhaitable non plus. »

Au printemps dernier, elle avait annulé une série de concerts, dont l'un prévu le jour de son anniversaire, pour des raisons de santé.

La dernière performance live d’Aretha Franklin's a eu lieu à la Cathedral of Saint John the Divine à New York lors d’un gala pour le 25e anniversaire de la fondation Elton John contre le sida, le 7 Novembre 2017. La Reine de la soul, c’était bien elle. Toutes les autres, n’étaient qu’au mieux, des archiduchesses.

Youen Tanguy et Romain Burrel

Crédit photo / AFP