fait diversAux États-Unis, les meurtriers homophobes peuvent plaider la "gay panic defense"

Par Julie Baret le 05/09/2017
gay panic defense panique homosexuelle illinois

Fin août, l'Illinois s'est officiellement débarrassé de la "gay panic defense" derrière laquelle peuvent encore se glisser les meurtriers homophobes et transphobes dans 48 États.

Dans trente États américains, l’orientation sexuelle d’une victime de meurtre peut constituer un caractère aggravant au crime; paradoxalement, c’est aussi une circonstance atténuante pour les coupables, sur la quasi-totalité du territoire.

Renvoyer la LGBTphobie au visage de la victime

En 2013, Islan Nettles (à droite sur la photo) a été frappée à coups de poings par un inconnu dans les rues de Harlem, jusqu'à être massacrée pendant qu’elle gisait, inconsciente, sur le trottoir. Quelques jours plus tard, son agresseur, James Dixon (à gauche sur la photo) 22 ans, se rend à la police et reconnaît les faits.
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En dépit de ça, il plaide une “non-coupable” retentissant devant les juges, lorsqu’il est traîné en justice trois ans plus tard. Il raconte à la barre qu’il a été pris d’une rage folle lorsque ses amis se sont moqués de lui pour avoir flirté avec cette jeune femme trans. Profitant d'un accord des avocats, il change sa version et concède à se déclarer coupable d’un homicide involontaire à la place du meurtre; il écope de la peine clémente de 12 ans prison en 2016.
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Cette vile ligne de défense, les meurtriers américains la brandissent depuis plus d'un demi-siècle. Une soirée de septembre 1965, Joseph Rodriguez sort uriner dans une ruelle lorsqu'il est abordé par surprise par un vieil homme; selon sa défense, sa "panique homosexuelle" fut telle qu'il cogna sa victime jusqu'à la mort, à l'aide d'une matraque improvisée.
Cette pathologie fumeuse établie au début du XXe siècle - et qui ne frapperait bien évidemment que les individus mâles hétérosexuels - est depuis convoquée dans la cadre de la "gay panic defense" qui permet à un accusé pour meurtre de prétendre que les avances homosexuelles d'autrui, mais aussi la simple connaissance de son orientation sexuelle voire de son identité de genre, étaient tellement terrifiantes que cela l'a emporté dans un "état psychotique temporaire" s'exprimant par une violence incontrôlable.

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Condamnée et pourtant convoquée

Vieux retors des tribunaux américains, cette logique propulse non seulement l'homosexualité ou la transidentité d'une victime comme la raison de son agression, mais surtout, en excuse l'auteur. Comprenez : il est possible de tuer quelqu'un car il est gay ou trans puis d'utiliser ce fait pour justifier ce crime. Cette logique engraine l'idée que les personnes LGBT constituent une menace pour la société et justifie par la même occasion les violences contre la communauté. "Certes, je l'ai tué. Mais il est homo/bi/trans", peuvent sans honte plaider les accusés, établissant par la même occasion une hiérarchie morbide - et aux relents historiques nauséabonds - entre la vie de personnes LGBT et celle de leurs homologues hétéros ou cisgenres.
Une théorie encore plus malsaine à la connaissance des derniers chiffres sur les violences LGBTphobes outre-Atlantique : selon la Commission nationale de programmes anti-violence (NCAVP), une personnes trans ou homo est assassinée tous les six jours dans le pays de Donald Trump.

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L'abolition de cette jurisprudence et l'interdiction de cette ligne de défense est promue depuis de nombreuses années par l'American Bar Association réunissant plusieurs membres du barreau effarés de constater sa mobilisation dans des meurtres homophobes et transphobes, en particulier lorsque la culpabilité du meurtrier ne fait aucun doute.

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Veillée en mémoire de Matthew Shepard (2012)

La "gay panic defense" en Une

L'assassinat de Matthew Shepard, dont les funérailles accueillirent la première "Angel Action" contre les élans homophobes de la Westboro Baptist Church, en est un exemple parmi d'autres. Dépouillé, torturé et laissé pour mort, le corps attaché à une barrière dans le Wyoming, cet étudiant de 21 ans est décédé le 12 octobre 1998. Au tribunal, ses assassins clament que l'homosexualité de Matthew Shepard leur avait fait perdre leur maîtrise d'eux-même ; plus tard ils arguent que le meurtre n’était autre qu’une tentative de vol pour drogue qui avait mal tourné. Ils furent toutefois condamnés à la perpétuité.

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L’argument avait été brandi quatre ans plus tôt dans une autre bruyante affaire : invité sur le plateau de “The Jenny Jones show”, célèbre talk-show des années 90, Scott Amedure révèle son crush pour son voisin, Jonathan Schmitz. Trois jours après le tournage (l’émission ne sera jamais diffusée), ce dernier lui tire deux balles dans le corps; la “panique homosexuelle” n’est, là encore, pas retenue et l’accusé est condamné pour homicide volontaire non-prémédité. Car jamais cette défense juridique n'est en effet parvenue à acquitter pleinement les accusés. La "gay panic defense" s'inscrit au côté de la folie ou de la légitime défense pour amoindrir les peines de prison.

En vigueur dans 48 États américain, mais pas seulement...

La Californie fut le premier État à y mettre un stop. En 2014, le gouverneur Jerry Brown signe un projet de loi qui établit que la découverte de l'identité de genre ou de l'orientation sexuelle réelle ou supposée d'une personnes ne constitue pas une provocation suffisante pour justifier de la violence à son encontre. L’État de la côte ouest est suivi trois ans plus tard par son voisin du nord du pays, l'Illinois. Une lente progression que connaissent aussi d’autres pays anglo-saxons, à l'instar de la Nouvelle Zélande qui s'est débarrassé de cette tirade en 2009, ou de certains États australiens.
En 2008, Richard Meerdink et Jason Pearce frappent jusqu'à la mort Wayne Robert Ruks, homme invalide âgé de 45 ans, dans la cour d'une église du Queensland. Les deux agresseurs défendent que, ivres, la victime leur a fait des avances, et le meurtre est requalifié en homicide involontaire. L'État australien a finalement aboli ce discours en 2017, soit quatorze ans après que la Tasmanie montre l'exemple, mais a conservé une clause qui la permet "en cas de circonstance exceptionnelle" dont le motif et les contours sont laissées à la libre-appréciation d'un magistrat…

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En Illinois, une abolition assortie de droits pour les trans

Adoptée à l’unanimité par les deux chambres du Parlement de l'Illinois au début de l'été, le projet de loi abolissant le "gay panic defense" et la “trans panic defense” dans le "Prairie State" a finalement été transformé en loi par la signature du gouverneur à la veille de la rentrée.
Celui-ci a également apposé son nom sur un autre texte de loi, cette fois-ci un amendement, favorable aux droits des LGBTI : les personnes trans et intersexe de l'Illinois ne sont plus forcées de prouver une opération chirurgicale de réassignation sexuelle pour changer leur genre sur leur certificat de naissance, mais doivent encore présenter l'avis d'un professionnel de santé attestant qu'elle suivent un "traitement clinique approprié", comme par un exemple un traitement hormonal, à leur transition.

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Couverture : manifestation de la Westboro Baptist Church