Derrière Broken Back, Jérôme, musicien breton

Par Julie Baret le 21/11/2016
Broken Back Jérôme Fagnet

Vendredi sortait le tout premier album éponyme de Broken Back, alias Jérôme Fagnet, auteur-compositeur originaire de Saint-Malo.

Qui n'a jamais entendu "Halcyon Birds", "Young Souls" ou "Happiness Man on Earth" ? Derrière cette électro-folk entraînante et lumineuse ne se cache pas un éternel duo anglo saxon, mais bien un jeune artiste français qui s'est fait connaître grâce aux plateformes de musique en ligne.
Jérôme Fagnet gère déjà plusieurs start-up quand il se déplace une vertèbre en 2012 et se voit donc contraint de lever le pied. De cette convalescence forcée, il décide de faire mauvaise fortune bon coeur : il sort sa vieille guitare nylon du placard et maquette ses premières démos dans sa chambre. Très vite, une fan-base se constitue puis s'agrandit autour des compositions du Malouin. Repéré par les influents du milieu, Jérôme collabore avec des Djs de renom, tels que Synapson, Klingande, Kygo ou encore Thomas Jack.
Premier EP sorti il y a un an et demi, il sillonne depuis les routes de France et d'Europe avec son inséparable instrument pour rencontrer son public aux côtés de Sam, son batteur, et d'Akemi, musicienne multi-talent. Nous l'avons rencontré avant son départ pour le froid nordique de la mer Baltique.
Broken Back Jérôme Fagnet
 
Bonjour Jérôme ! Alors dis nous, c'est qui le Jérôme derrière Broken Back ?

C'est un jeune homme qui avait 24 ans au moment où il s'est brocké le back ! (rires) Mon truc c'était entrepreneuriat et je me suis bloqué le dos. Vraiment, je me suis déplacé un vertèbre. Et en étant bloqué comme ça pendant un an, j'ai ressorti ma vieille guitare du placard. J'ai commencé à écrire des chansons. Je suis tombé amoureux de ça et j'ai voulu en faire mon métier. J'ai monté mon label et j'ai avancé en indépendant, dans ma chambre. Aujourd'hui je fais à temps plein de l'écriture, de la composition, et je passe aussi beaucoup de temps sur les routes pour ma tournée.

Pas de référence à Broken Back Mountain alors ?

On me pose souvent la question ! (rires) Surtout en tournée, à chaque fois on pense que je suis gay à cause du film. Mais non, rien à voir avec les cow-boys...

T'étais diplômé, t'avais une brillante carrière en perspective. Est-ce que tu regrettes ce choix ?

Non, non, non. C'était une vraie question au moment de me lancer. Et en fait j'ai pas vraiment hésité. Je me suis dis "c'est maintenant ou c'est jamais" et je le regrette pas du tout.

Si j'ai bien compris, tu t'es donc cassé le back parce que tu étais surmené... Un petit peu hyperactif. Est-ce que tu es aussi acharné dans la musique que tu l'étais dans le travail ?

C'est pareil oui ! Mais la différence maintenant c'est que j'ai un super ostéo qui peut me remettre bien le dos assez rapidement ! (rires)

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Un peu comme Milky Chance ou d'autres artistes du même genre, Broken Back c'est surtout une voix qu'on reconnaît entre toutes. Est-ce que t'as travaillé pour avoir ce timbre ?

Oui en effet. La voix c'est un peu un instrument. Moi je ne savais pas chanter il y a quatre ans et j'ai appris... Je pense que la voix elle se forme en fonction de ce qu'écoutes, de ce que t'aime bien écouter, et moi j'écoutais beaucoup de Cat Stevens. Beaucoup de choses comme Ben Harper ou des voix un peu comme ça. Ou très folk comme dans des choses récentes : Mumfords & Sons, Of Monsters and Men, etc. Et naturellement j'ai travaillé ma voix dans un sens folk, puisque j'écrivais et je faisais de la folk. Mais je pense qu'une voix peut prendre beaucoup de forme et par exemple quand je parle je n'ai pas du tout cette voix-là. C'est un travail, c'est un instrument, et c'est ça qui est beau : on peut vraiment l'amener là où on veut.

Dans tes chansons on retrouve souvent ce sentiment d'évasion, de vivre sa vie. Est-ce que c'est quelque chose qui t'as inspiré dans la composition ?

Oui c'est un mantra, c'est quelque chose qui me tient beaucoup à cœur. La première philosophie - l'état d'esprit - dans laquelle j'ai composé toutes les chansons de l'album c'est vraiment ça : dans tout malheur qui peut arriver, il y a une part de bonheur collatéral qui peut ensuite en découler. Plus ou moins important si tu embrasses ou non cette conception là. Et c'est ce que j'ai fait à bras le corps. Je me suis dit "je suis bloqué, comment je peux en tirer le meilleur parti possible ?" Et je me suis mis à écrire plein de chansons, à faire plein de musique, et j'ai découvert ce qui me faisait vraiment vibrer sur cette terre : écrire, composer et chanter.
Et ça se retrouve dans les chansons aussi. Quand on les écoute, il y a une petite part de nostalgie. C'est pas complètement joyeux, c'est pas complètement triste. C'est la somme du paradoxe "happy-triste". Il y a aussi la notion de plaisir et d'addiction et qui reflète l'état d'esprit dans lequel j'étais quand je commençais à écrire : entre la convalescence, et le fait d'être accro à ça.

Broken Back Jérôme Fagnet
 
C'est aussi un message que tu adresses à ceux qui t'écoutent ?

Un message d'optimisme oui. Moi c'est mon mécanisme de défense quand quelque chose va mal, donc je le conseille fortement. Parce que ça peut créer des opportunités, ça peut créer des choses alors qu'on ne s'y attend pas parce qu'on est focalisé sur l'instant présent.

Quel serait le thème sur lequel tu pourrais ne jamais te lasser de créer ?

Je ne sais pas si c'est un thème mais c'est sous-jacent, c'est l'émotion. C'est un terrain de jeu qui est complètement infini. C'est ce qui me guide le plus quand j'écris des chansons. Et je dirais même que les textes viennent souvent après. Dans 99% des cas je commence par la musique, par les émotions, sans vraiment réfléchir à ce que pourrait dire la chanson. Je crée tout l'environnement sonore et assez naturellement ensuite le texte en découle. Car je me rend compte que cette composition renvoie à un univers émotionnel, et ce texte qui en découle se prête bien. L'environnement est parfait pour tisser cette histoire.

Les chansons de ton album elles nous parlent de quoi ?

C'est complètement varié. Ça peut être des choses autobiographiques, des choses pas autobiographiques, des choses qui viennent du quotidien, des histoires inventées de toute pièce comme des choses que j'ai pu ressentir.
"Young Souls" par exemple parle de l'enfance.  Elle parle du paradoxe qu'on peut ressentir  à vouloir grandir. Moi quand j'étais enfant j'avais vraiment hâte de devenir un adulte, et maintenant que j'en suis un je regrette ce que j'avais de plus précieux sur terre : l'insouciance. Cette chose qu'on troque pour devenir une grande personne.
A l'inverse, "Got to go" et "Better Run" sont deux titres qui s'enchaînent et qui parlent d'un bon samaritain veut devenir un bad boy. Alors il descend aux enfers pour passer un pacte avec le diable. Et dans la deuxième chanson, il remonte mais il n'a pas vraiment changer et ça devient donc un peu burlesque. C'est là une histoire inventée de toute pièce sur laquelle j'avais envie de m'amuser.

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La plus connue de tes chansons reste "Halcyon Birds". C'est quoi cette fois-ci ?

"Halcyon Birds" c'est autobiographique. C'est une chanson qui parle de la seconde chance dans une relation. C'est un thème sur lequel beaucoup d'encre a coulé déjà, et j'ai trouvé mon angle en tombant sur un mythe grec : la légende d'Halcyon qui parle de la puissance de l'amour entre deux personnes qui meurent et où les dieux, pris de pitié, les ressuscite sous une forme charnelle pour qu'ils puissent s'aimer à nouveau. Et donc le refrain c'est ça : est-ce que nous aussi on renaîtra comme deux oiseaux Halcyon ?

Dans ton identité visuelle et musicale, il y a toujours ce basculement entre le numérique et l'authentique. Comment tu définirais ton univers ?

Je dirais que c'est de l'électro-folk parce que c'est un peu ce mélange entre l'homme et la machine. L'auteur-compositeur-interprète versus le producteur en studio, avec tous mes micros. C'est à ce moment là de la production que la chanson revêt vraiment un habit électro. La cover de l'album emblématise justement ce concept d'une partie du visage qui se chimérise dans la photographie pour montrer cette dualité, ce côté paradoxal.

D'autant que dans ton cas, tu t'es fait connaître sur le web. Quel regard tu portes sur l'impact d'internet dans la carrière musicale d'un artiste ?

C'est vrai que je lui dois beaucoup au web. Pour mon projet ça a commencé avec les sites gratuits de musique. C'est là où les gens ont vraiment commencé à s'approprier les chansons. C'est évidemment une pierre angulaire pour n'importe quel artiste. Parce qu'aujourd'hui il y a une vraie démocratisation de l'accès à la musique et surtout c'est gratuit. C'est un média extrêmement important pour un artiste qui se lance. Finalement, la notion même se lancer n'a plus de sens. Ou même de succès. C'est quoi le succès ? Tout ce qui compte c'est l'épanouissement artistique. A partir du moment où mes trente potes pouvaient entendre mes chansons c'était déjà énorme pour moi à l'époque. Trente-deux avec mes parents ! (rires) C'était déjà en soi une énorme victoire et j'étais fier de ça. Cette notion de médiatisation est beaucoup plus lissée : avec internet, le projet a déjà commencé même si il y a cent personnes qui t'écoutent.

Broken Back Jérôme Fagnet
© Instagram/brokenbackmusic

Et de fait, le passage du numérique vers la scène est aussi très intéressant. Après avoir passé un an à voir ton projet à travers des statistiques YouTube ou Soundcloud, forcément t'as envie de passer à la réalité du live. Lors de cette bascule tu vois les gens qui chantent avec toi, qui claquent, tu sens l'énergie. C'est encore une autre sensation, c'est encore une autre émotion. Et c'est encore plus gratifiant. Et tout cela n'aurait pas forcément été possible sans internet.

Lors de ton tout premier concert, quel fut l'accueil du public justement ?

C'était à Lille à La Péniche, une petite salle de concert dans un bateau. J'étais surpris parce que j'avais encore rien sorti et c'était complet : il y a cent personnes transpirantes et dégoulinantes qui sautaient et dansaient avec moi et mon batteur. C'était très impressionnant. Tu sais pourquoi tu fais ça à ce moment-là.

Ces derniers temps on a vu une recrudescence de la Manif pour tous, plusieurs sujets de société agiter l'opinion. C'est quoi ta position par rapport à tout ça ?

Je pense qu'on a mis du temps à comprendre les choses en France. En Espagne ils étaient bien plus chauds là-dessus si je ne me trompe pas. La communauté LGBT a eu bien plus de droit et bien plus vite. Zapatero avait décrassé tous ces sujets-là et je m'étais dit "ça me paraît fou qu'en France on soit en retard à ce point-là". Et les débats ont éclaté il n'y a pas si longtemps finalement. C'est important de se battre et évidemment je soutiens à fond ces mouvements-là. Mais ça me parait fou que les débats ne se posent que maintenant.
La société aime beaucoup mettre les choses dans les cases et cetera. Et c'est vrai que la communauté LGBT en pâtit parce que c'est pas aux yeux d'une société elle ne représente pas nécessairement la majorité. Donc il faut se battre pour obtenir des droits. C'est un combat qui est nécessaire.

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Toi est-ce que tu es engagé dans une cause militante, politique ou associative ?

En dehors de l'indépendance de la Bretagne ?! (rires) Non pas encore. Je pense que oui c'est quelque chose qui demande du temps, et j'en ai assez peu ces dernières années. Mais je pense que dans une vie on a le temps de faire beaucoup de choses. Je choisirai mes combats quand j'aurai un petit peu plus de temps. Le suivant sera probablement l'écologie mais j'attend de pouvoir m'y livrer à fond.

Il faudrait que je commence par arrêter de manger autant de viande déjà ! Que je limite ma consommation de saucisson... J'en suis pas fier. C'est pas possible de continuer comme ça : on est en train de brûler toutes nos réserves. Un mouvement est amorcé mais ça met vachement parce qu'à l'échelle de la planète c'est compliqué mais si chaque personne prenait conscience de ce qu'il se passe, ça ferait plein de petits plus, puis une somme qui ferait vraiment avancer les choses.
Mais c'est pareil pour le combat LGBT. C'est une espèce de sensibilisation générale qui doit être importante. C'est là que les médias LGBT ont un grand rôle à jouer parce que c'est quelque chose qui est encore assez peu répandu en France. Même si je me rends compte que dans certains pays c'est encore plus mal engagés. Y a encore du taff !

Qu'est-ce que t'aimerais dire à nos lecteurs pour conclure ?

Venez faire la fête avec nous en concert ! Parce que le meilleur moment c'est le live. C'est là que toute la musique prend son sens, qu'elle vit au travers le corps qui est avec nous dans la salle. Même si le web prend une énorme place dans la consommation de musique, mais les gens viennent de plus en plus en concert. C'est les meilleurs moment. Là où on peut les rencontrer et s'éclater.

Broken Back Jérôme Fagnet
Broken Back sera demain invité sur le plateau du Quotidien de Yann Barthès. Du 14 au 17 décembre, il diffusera ses good vibes au public des pays scandinaves, avant de revenir faire le tour des scènes de France, de Belgique et de Suisse. Il sera en concert à l'Elysée Montmartre le 7 janvier. Retrouvez toutes ses dates ici.
Pour écouter ou acheter son premier album, rendez-vous sur cette page.
Plus d'informations sur son site officiel.

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