Christiane TaubiraFrançois de Rugy : "J'autoriserai une GPA éthique en France"

Par Julie Baret le 20/01/2017
François de Rugy GPA

La France a de nouveau été condamnée pour son refus de reconnaître les enfants nés par GPA à l'étranger. Rencontre avec le seul candidat à la primaire de la gauche favorable à une GPA éthique : l'écologiste François de Rugy.

Déjà condamnée à quatre reprises par la Cour européenne des Droits de l'Homme pour son refus de transcrire à l'état civil des actes de naissance d'enfants nés par gestation pour autrui (GPA) à l'étranger, la France a récidivé. Hier, l'Etat a été reconnu coupable de violation du droit au respect de la vie privée et familiale et condamné à verser 25.000 euros aux époux Karine et Fabrice Laborie qui attendent depuis plus de quatre ans la reconnaissance juridique de leur lien de filiation avec leur jumeaux nés en Ukraine, refusée par le Procureur de la République de Nantes. Face à l'obstination de la France à l'encontre des décisions juridiques de la CEDH et des conventions de protection de l'enfance, l'Association des Familles Homoparentales dénonce un "tri des enfants en fonction de leur mode de conception" qui rappelle des "années sombres de notre histoire". Nous avons rencontré François de Rugy, seul candidat à la primaire de la gauche qui s'engage pour une GPA encadrée sans transaction commerciale.
 
TÊTU : Quelle est votre réaction face à cette nouvelle condamnation de la France par la Cour européenne des Droits de l'Homme ?
François de Rugy : Cela montre bien qu'on ne peut pas continuer comme ça. Moi je propose d'aller au bout de la logique, c'est-à-dire vers une autorisation encadrée en France. Mais même si on ne souhaite pas aller jusque-là, je considère qu'il faut absolument supprimer cette aberration qui veut que l'on refuse la transcription sur les livrets de famille les états civils d'enfants français nés de parents français. Je vois bien que ceux qui le refusent, y compris l'autorité judiciaire, utilisent les ambiguïtés actuelles et le manque de clarté politique pour procurer des tracasseries à l'égard des parents et donc directement à l’égard de leurs enfants. Non seulement la France a été condamnée, mais aussi condamnée à verser une amende, c'est quand même un comble. Tout ça parce qu'on ne veut pas clarifier les choses. Nous sommes nombreux à protester contre cela depuis plusieurs années, et nous sommes assez surpris de constater que ce type de procédures soient encore engagées pour empêcher des parents de faire valoir leur droit de transcription à l'état civil. Alors même que la fameuse circulaire Taubira était censée régler le problème, c'est d'autant plus insupportable et cela montre sans doute qu'il faudra prendre des mesures législatives. Mais on sait bien qu'il y a des gens notamment à droite qui s'y opposent avec la plus grande force et qui sont prêts, pour des raisons idéologiques, à sacrifier l'intérêt de l'enfant alors qu'ils prétendent par ailleurs le défendre.
À droite, mais aussi à gauche, car au sein de la primaire, mise à part Sylvia Pinel qui s'engage elle aussi contre la non-reconnaissance des enfants nés par GPA à l'étranger, vous êtes le seul à vous engager pour une GPA encadrée et sans transaction commerciale. Qu'est-ce qui vous a motivé à vous engager sur cette question ?
Je pars d'un raisonnement humain et des parents qui veulent avoir un enfant. Le désir d’enfant est un projet qu’aucune loi ne pourra réprimer et qu’aucune loi ne pourra empêcher. A cause de ma position, je fais l'objet d'une campagne d'insultes de la part des milieux liés à la Manif pour tous, qui disent qu'avec ce raisonnement-là il faudrait légaliser le viol... La différence c'est que dans un cas c'est un beau projet que tout le monde partage - tout le monde n'est pas obligé d'avoir des enfants mais tout le monde considère que vouloir fonder une famille et avoir des enfants est une belle chose - et dans un autre cas un désir criminel que personne, bien-sûr, ne propose de légaliser. C'est pour vous dire le contexte de violence des propos qu'il y a autour de ces questions ! La gestation pour autrui est une possibilité qui existe, qui peut être encadrée et fondée sur le volontariat. Personne ne sera jamais forcé à porter l'enfant d'un autre, jamais. Le droit des femmes à disposer de leur corps, c'est une revendication féministe de longue date. A partir de ce moment-là, et sachant que cette possibilité existe, je préfère que cela puisse se faire en France, de manière encadrée et contrôlée. Pour que les couples hétérosexuels comme homosexuels - et statistiquement davantage hétérosexuels - ne soient pas obligés de se rendre dans des pays lointains et dans lesquels l’encadrement législatif est différent et donc éviter les situations aujourd’hui condamnées par la Cour européenne des droits de l’homme. Cela me paraît être une démarche humaine et de bon sens mais je vois bien que ça déchaîne des passions. A gauche, je suis un petit peu plus étonné du refus de cette question alors qu'il y a quelques années c'était envisagé par un certain nombre de personnalités. Comme par exemple Najat Vallaud-Belkacem si j'ai bonne mémoire, qui avait signé une tribune avant 2012. Et je vois bien que d'une manière générale il y a un recul de la gauche - et d'ailleurs pendant le mandat de François Hollande cela s'est concrétisé par l'arrêt de toute réforme dite "de société" après le mariage pour tous - parce que la Manif pour tous peut se targuer d'avoir fait reculer la majorité sur tous les autres sujets. Et il n'est pas acceptable que la gauche abdique sa volonté de réforme et de progrès au motif qu'il y a une minorité très bruyante et très militante qui manifeste pour s'y opposer.
La Manif pour tous serait selon vous la raison de cette frilosité de la gauche ?
Je ne vois pas d'autres raisons. Je sais aussi qu'il y a la peur de rouvrir des controverses et je le redis : sur l'histoire de la GPA, il y a une forme de terrorisme intellectuel et politique, bien relayé par un certain nombre de média d'ailleurs, qui nous fait passer pour des esclavagistes. Moi-même, je suis traité d'esclavagiste. Je suis Nantais, je sais ce que ça veut dire, et il faut quand même que les mots aient un sens. Je suis pour le débat d'idée. Je comprends tout à fait qu'il y ait des gens qui soient pour et des gens qui soient contre. Je sais aussi que le sujet fait débat chez les féministes mais pas seulement. Nous avons par exemple reçu un questionnaire de l'Inter-LGBT comme tout candidat à la primaire, or il ne comportait aucune question sur la gestation pour autrui si ce n’est sur la transcription à l’état civil. J'ai demandé à mon interlocuteur quelle en était la raison, et on m’a répondu qu’il n’y avait pas de position officielle de l’Inter-LGBT sur cette question. Je suis conscient d'être minoritaire dans la primaire de la gauche sur ce sujet. Mais je constate, et je l'ai d’ailleurs dit dans l’un des débats, que la société française est souvent bien plus en avance que la classe politique. Moi je propose que sur ce type de sujets, qui sont en effet des sujets délicats parce qu'ils touchent à des choses intimes, nous fassions des lois avec un bilan obligatoire et un débat au parlement sur l'application au bout de cinq ans : qu’on décide à ce moment-là si on poursuit ou si on abroge la loi parce qu’on préfère retourner à la situation antérieure. Car oui, il y a des craintes qui peuvent se comprendre, mais peut-être que si on met en application une réforme de ce type-là on parviendra à désamorcer le cataclysme promis par certains. Et à ce moment-là, on portera le sujet sur la réalité, et non plus sur des craintes qui relèvent parfois du fantasmes. Comme lorsqu’on apprend qu'en Inde, en Roumanie ou en Ukraine il y a telle ou telle pratique. J'ai déjà vu un député de droite agiter à l'Assemblée Nationale des publicités de sites internet, qui font référence à ces pays... Mais ça, c'est pour les polémiques. Si justement on légalisait une GPA encadrée en France, on pourrait juger sur pièce.
En parlant de ces situations, de quel modèle de gestation pour autrui encadrée souhaitez-vous vous inspirer ? Plutôt un modèle à l'anglaise de “GPA altruiste” ?
Il faudrait étudier et construire notre propre législation mais oui, les Anglais ont eu une démarche assez pragmatique. A l’inverse de la France, ils ont décidé d’interdire la GPA aux non-résidents britanniques. C’est sans doute un moyen d’éviter certaines dérives. Et ça pourrait être pareil en France : l’autoriser pour les individus de nationalité française et pour ceux qui résident en France depuis un certain nombre d'années et à titre permanent.
Vous proposez donc des “conditions d’encadrement strict garantissant un choix éclairé de la femme porteuse (...) excluant toute transaction de nature commerciale”. On peut donc imaginer une sorte de sélection des candidats et des tests psychologiques vis-à-vis des mères porteuses ?
Absolument oui. Certains individus essaient de faire croire qu'on pourrait se lancer dans ce projet-là sur un coup de tête et faire ça du jour au lendemain. Mais comme c’est le cas pour la PMA [procréation médicalement assistée, ndlr], tout le monde sait très bien que c'est un processus très long. A chaque étape, il y a différents moyens d'évaluer la motivation des personnes. Il faut également rappeler qu’en France, chaque année, il y a des enfants non-désirés qui ne sont pas très bien accueillis dans la vie. Ceux qui polémiquent sur la GPA et la PMA ne veulent jamais parler de ça, mais il s’agit là aussi des droits de l’enfant qu’il convient de protéger. Et de parents qui doivent être accompagnés lorsqu’ils sont en souffrance car ceux qui ont des enfants sans le moindre processus de réflexion au préalable peuvent aussi avoir des difficultés à assumer l’enfant. Donc bien-sûr, il ne faut empêcher personne d'avoir des enfants, mais on ne peut pas être dans l’impossibilité de certains modes de conception d’un côté, et laisser faire tout et n’importe quoi de l’autre. Je pense qu’il faut poser un certain nombre de règles.
Justement dans votre programme, vous indiquez que vous êtes favorable à l'ouverture de la PMA pour "tous les couples, y compris pour les couples de femmes" mais vous ne parlez pas des femmes célibataires.
Oui mais j'y suis favorable également. D'ailleurs le professeur René Frydman - qu'on désignait à l'époque comme le "père du bébé éprouvette" - a récemment pris position pour dire qu’il est temps de donner un cadre légal à la PMA en France pour toutes les femmes, car aujourd'hui nous sommes face à des situations qui sont hypocrites et malsaines. Au sujet de la PMA, je suis très surpris qu’il y ait cette forme de régression en France alors même qu’on en est les inventeurs et qu’à l’époque tout le monde trouvait ça très bien ! C’était à la Une des journaux et tout le monde l’avait salué comme une avancée.
Ces deux mesures, l'ouverture de la PMA et la légalisation d'une GPA encadrée, sont très attendues par une partie des personnes LGBT. Est-ce que vous avez pensé à cette communauté en prenant parti sur ces questions ?
Je sais qu'il y a des gens qui m'accusent de faire ça par électoralisme. Mais franchement, si j'avais voulu faire de l'électoralisme, j'aurais fait comme beaucoup d'autres candidats : je me serais prudemment abstenu de toute prise de position. Ou bien j'aurais pu répondre à des questionnaires et ne rien mettre dans mon programme. J'ai souhaité agir et me positionner en toute transparence. Ce n'est pas une position que j'ai prise à la légère et je l'ai déjà affirmée il y a plusieurs années lors de débats médiatiques ou à l'Assemblée Nationale. Mon ex-collègue Barbara Pompili avait également pris cette position et elle avait aussi été critiquée parce que c'était encore un sujet controversé au sein des Verts. Mais on avait pris ces positions parce que nous en avions discuté et parce que nous avions réfléchi. Encore une fois, ce ne sont pas des sujets simples ni des prises de positions à l'emporte-pièce. Je pense au projet des parents. Certains affirment que le désir d'enfant n'est pas le droit à l'enfant. Oui, il n'y a pas de droit à l'enfant, mais de quel droit empêcherait-on les gens d'avoir des enfants ?