Homophobie d'État : la Tunisie promet d'arrêter les examens anaux forcés

Par Julie Baret le 22/09/2017
examens anaux forcés Tunisie

Le pays a assuré devant l'ONU qu'il cesserait ces test humiliants mais se refuse à supprimer la pénalisation du sexe entre hommes, héritée du protectorat français sur la Tunisie...

"Un policier a retiré mon pantalon et m'a mis sur le bureau pendant qu'un autre me tenait par les bras. Le médecin a d'abord inséré le doigt et m'a ensuite pénétré avec un appareil. C'était comme une paille."

Dali, Tunisien, interviewé par Human Right Watch en 2016.

Hier, la Tunisie était entendue par le Conseil des droits de l'homme des Nations Unies qui siège à Genève. C'était un examen important, tenu dans la capitale de la diplomatie internationale; le troisième d'une série portant sur le bilan du pays en matière de droits humains. D'après CNN, les autorités tunisiennes y ont accepté 189 des 248 recommandations onusiennes. Parmi elles : l'arrêt immédiat des examens anaux forcés, dont la Tunisie est un des rares pays à se rendre encore coupable en 2017.
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Examinant la tonicité du sphincter et la forme de l'anus des hommes cisgenres et des femmes transgenres, ces tests dégradants, reposant sur des théories vieilles de 150 ans, ont été maintes fois invalidés par les experts. "On ne peut pas prouver qu'une personne est gay par aucun de ces examens", jugeait un médecin légiste cité par Human Right Watch en 2016 et qui dénonçait là "le plus grand mensonge jamais fabriqué par l'histoire de la médecine". Leur pratique ne figure pas dans les procédures du Code pénal tunisien, mais les autorités tunisiennes l'emploient systématiquement contre les homosexuels présumés du pays, qui risquent jusqu’à trois ans de prison en vertu de l’article 230 dudit code édité sous le protectorat français.
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Et pourtant ce "test" est absurde

Le Conseil de l'ordre national des médecins de Tunisie réclame depuis peu le consentement des accusés pour sa réalisation, mais les autorités jouent de cette ambiguïté : ils assurent aux prévenus qu'un refus renforcera leur culpabilité devant le tribunal; ce scénario s'est récemment confirmé pour un enseignant au Kef et un arbitre de football, qui ont été reconnus coupables d'homosexualité après avoir refusé de se prêter à ce "test de la honte", comme il est parfois qualifié dans les médias.
Les Nations Unies classe ces examens comme des actes de torture; pour un groupe indépendant d'experts en médecine légale, il s'agit très clairement d'un viol caractérisé par la pénétration anale forcée et traumatisante. "Et s'il n'y a pas d'aveux et que l'examen proctologique est négatif, ils croupissent quand même en préventive, et par 200 [personnes] en cellules, en attendant de passer devant les tribunaux" révèle encore Samir, un ancien détenu, à Stop homophobie.
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La dépénalisation encore refusée

Hypocrisie criante parmi ces résolutions, la Tunisie s'est également engagée devant le Conseil des droits de l'homme à "garantir la protection des personnes LGBTI de toutes formes de stigmatisation, de discrimination et de violence", nous renseigne Amnesty International, mais maintient les spécificités pénales liées à l'homosexualité : la Tunisie a rejeté hier 14 recommandations relatives à la dépénalisation des relations homosexuelles par l'abrogation de l'article 230 du Code pénal tunisien.
Le ministre tunisien chargé des Relations avec les instances constitutionnelles et la société civile et des droits de l'homme, Mehdi Ben Gharbia, prétend qu'il "reste encore un dialogue sociétal à mener pour décriminaliser certains comportements" et que "les autorités sont conscientes qu'elles auront besoin de temps pour faire évoluer les mentalités."
Un paradoxe parmi d'autres : alors que la Tunisie s'engage devant l'ONU à stopper l'impunité des forces de sécurité, elle défend devant le Parlement un projet de loi offrant l'amnistie aux fonctionnaires accusés de corruption sous le régime de l'ancien président... Mais Amnesty International n'en démord pas. Si l'ONG admet que "les engagements pris par la Tunisie représentent une avancée positive", elle urge le gouvernement tunisien à "rapidement mettre en œuvres les réformes nécessaires à la réalisation des progrès promis en matière de droits humain."
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"Nous sommes traités comme des animaux"

La résolution de la Tunisie est ternie par une autre sonnette d'alarme tirée par les militants LGBT. Depuis 2013, "la Tunisie est devenue la championne au Maghreb" des condamnations d'homosexuels, hurle Stop homophobie dans un post révolté. D'après ses informations, la Tunisie a ainsi mené une cinquantaine d'arrestations pour homosexualité depuis le début de l'année 2017, "dont 10 pour le seul mois de septembre." Citant l'enquête d'un journaliste irakien, l'association dénonce la présence de 69 accusés dans la seule prison de Mornaguia située au sud-ouest de Tunis.
"Nous sommes traités comme des animaux, humiliés, affamés, rongés par la gale et les poux, avec une douche tous les 15 jours", signale encore Samir à Stop homophobie. "Si vous êtes de la 'haute', la police sera plus souple ou laisse passer. Et si votre entourage peut assumer les frais, vous bénéficiez d'un avocat pour vous défendre. Mais lorsque vous êtes d'en bas, et comme régulièrement, rejeté par votre famille qui considère que vous êtes un déchet, tout est plus grave." Au fil de son récit, celui qui a été enfermé en préventive pendant trois mois, donne l'ampleur du péril :

On vit dans la rue, ici et là, listé par les policiers qui en abusent, pour vous extorquer ou même vous violer. Et lorsque vous protestez, ils vous dénoncent.

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Couverture : UN Photo / Jean-Marc Ferré