Tom DaleyInterview exclusive : Dustin Lance Black (et son mari Tom Daley) à Paris !

Par Romain Burrel le 11/05/2017
Interview exclusive : Dustin Lance Black (et son mari Tom Daley) à Paris !

C'était juste avant leur mariage surprise, le 8 mai dernier : TÊTU rencontrait le réalisateur Dustin Lance Black et son fiancé, le plongeur Tom Daley.

Dustin Lance Black était l’invité surprise du festival Séries Mania à Paris. Le cinéaste, oscarisé en 2008 pour le scénario du film Harvey Milk, était venu défendre When We Rise, sa mini-série retraçant 40 ans de militantisme LGBT aux États-Unis, du début des années 70 à nos jours. À cette occasion, TÊTU a rencontré en exclusivité le cinéaste de 42 ans pour évoquer sa série, bien sûr, mais aussi l’avenir du militantisme et ses prochains projets. Tandis qu’à ses côtés, son mari, le plongeur olympique anglais Tom Daley, veillait au grain…
Interview exclusive : Dustin Lance Black (et son mari Tom Daley) à Paris !
TÊTU : Votre série When We Rise s’adresse plutôt à un public qui ne connaît rien au mouvement LGBT qu’aux homosexuels, non ?

Dustin Lance Black : Aux deux ! Le show a été conçu pour un large public mais les membres de la communauté LGBTQ connaissent mal leur propre histoire ! C’est pour ça que j’ai dit oui à ABC. Ces dernières années, j’avais reçu plusieurs propositions d’autres networks pour travailler sur des projets similaires. On aurait sûrement eu plus d’argent, plus de temps, mais au final nous aurions prêché des convertis ! On se serait adressé à un public déjà sensibilisé. Pour ABC, il a fallu construire une série que des personnes qui ne sont pas issues de la communauté LGBT soient en mesure de comprendre. C’est pour ça que When We Rise ne commence pas avec l’activisme LGBT mais avec des jeunes gens qui militent dans les mouvements féministes, pour la paix ou les droits civiques…

Vous ne craigniez pas qu’ABC, chaîne du groupe Disney, édulcore la série ?

DLB : Je voulais travailler avec eux ! J’ai entendu une rumeur qui laissait entendre qu’ils cherchaient à développer un projet autour des questions LGBT. J’ai demandé à rencontrer les dirigeants de la chaîne pour voir s’ils étaient sérieux. Quand j’ai compris qu’ils l’étaient, je leur ai dit "je vais avoir besoin d’une année de recherches", ce qui est très long pour eux. Ils m’ont répondu "sans problème". C’était inspirant car ABC était la seule chaîne que j’avais le droit de regarder quand j’étais gosse. J’ai grandi dans une famille du sud : conservatrice, militaire et mormone. ABC était la seule chaîne que ma mère me laissait regarder car c’est un network familial. Ce show, c’est l’opportunité de toucher des enfants qui, comme moi plus jeune, se sentent peut-être seuls au monde. C’est même la seule raison de le faire ! Vous savez, personne ne fait de fric avec ce genre de projet. Si vous faites ce job pour les gros chèques, allez écrire des films où les mecs portent des capes !

Vous avez commencé à travailler sur When We Rise bien avant l’élection de Donald Trump et pourtant, la série résonne terriblement avec ce qui se passe aujourd’hui aux États-Unis. Ou avec ce qui pourrait se produire en France…

DLB : Ou au Royaume-Uni avec le Brexit ! (Il se retourne vers Tom Daley) C’est de ta faute Tom, vous avez commencé ces conneries !
Tom Daley : Je sais ! (rires)
DLB : Plus sérieusement, j’ai commencé à écrire la série il y a quatre ans. À ce moment-là, nous vivions une période très progressive et excitante aux Etats-Unis en matière d’évolution des droits LGBT. Et déjà à l’époque, j’avais peur. Peur car nous autres, les personnes issues de la diversité, avions perdu notre connexion les uns aux autres. Pourtant, il y a eu un temps où nous étions tous solidaires. Pas seulement les LGBTQ, mais aussi les gens qui prient pour un autre dieu, les gens venant d’autres pays, ceux dont la couleur de peau était différente, les travailleurs… Mais nous avons fini par nous diviser. Obnubilés par nos propres luttes. On a oublié que nous devions aussi nous battre pour nos frères, pour nos voisins, autant que pour nous. Dire cela, ça n’est pas être politiquement correct. C’est être malin ! Si les minorités ne travaillent pas ensemble alors nous serons facilement vaincus ! Ma série avance plusieurs idées mais l’une des plus importante est que chacun d’entre nous sur cette planète, dans votre pays comme dans le mien, nous faisons partie d’une minorité. Cela dépend seulement de comment on divise le gâteau. Ce qu’on peut arracher à votre voisin, on peut vous l’arracher demain. Personne n’est une majorité. Voilà de quoi parle When We Rise, certes vu par le prisme LGBTQ aux Etats-Unis, mais on peut aussi faire une comparaison avec les luttes de la diversité ici en France ou en Angleterre.

Condenser 40 ans d’histoire LGBT en 7 épisodes, c’est un véritable challenge…

DLB : Et encore, si on enlève les pubs, il reste seulement 6 heures de programme ! J’ai énormément de rushs, peut-être un jour ferais-je un director’s cut ! (rires) Mais il y a des astuces pour s’en sortir. La première est d’être très stratégique et très déterminé sur l’histoire qu’on veut raconter. L’enjeu n’est pas de raconter la vie de chaque personne du mouvement LGBT, seulement d’une petite poignée d’entre eux qui ont créé une famille à San Francisco pour survivre à l’homophobie. C’est leur histoire, leur perceptive. Il y a d’autres héros LGBTQ dont les vies n’ont pas encore été racontées, beaucoup de luttes qui n’ont jamais été décrites. J’ai entendu les frustrations de personnes LGBT me disant "vous n’avez pas parlé de cette personne ! De cet endroit ! De cette lutte !" Au lieu de m’agacer, ça m’a rendu très heureux. Je me suis dit : "ok, j’ai posé un cadre, à votre tour de raconter ces vies !" Les gens commencent à comprendre le pouvoir de l’histoire. C’est quelque chose que nous n’avons pas eu jusqu’à présent dans le mouvement LGBT : une histoire popularisée et facilement accessible.

Peut-on voir votre série comme une réponse à Stonewall, le film de Roland Emmerich, à qui beaucoup ont reproché de prendre trop de liberté avec la réalité des émeutes à New York ?

DLB : Laissez-moi vous dire une chose : Roland est mon ami. Il a donné énormément d’argent à de nombreuses causes notamment en faveur des jeunes LGBTQ à Los Angeles. Il a sauvé des tas de vies et je l’adore. Alors je ne suis peut-être pas la bonne personne à qui poser cette question… Il m’a fait lire une version de son script et je lui ai dit ce que j’en pensais. Quand je faisais des recherches pour When We Rise, j’avais mené des entretiens avec des survivants de Stonewall. Deux sont morts depuis. Je lui ai envoyé les enregistrements en lui disant : "Ces interviews sont à toi. Tu peux en faire ce que tu veux." D’une certaine façon, je vois en quoi il s’est rapproché de ce que je lui ai envoyé mais je vois aussi en quoi il s’en est éloigné… Mais au final, c’est son film. Je dis souvent à mes étudiants en cinéma, lorsqu’il s’agit d’écrire sur une histoire vraie : chaque cinéaste doit décider à quel point il veut tordre la vérité avant de filmer. Moi, je veux la tordre le moins possible.

C’est pour cela que vous teniez à ce que les activistes dont vous dépeignez les vies soient consultants sur la série ?

DLB : J’essaie, autant que faire se peut, d’interviewer moi-même les gens qui ont vécu les choses que je veux raconter. Je n’aime pas m’appuyer sur des livres ou des interviews. Les entrevues sont souvent éditées et un livre est toujours le point de vue de son auteur. Lorsque j’écris, je veux m’approcher au plus près de la vérité pour créer une histoire essentielle. Car les opposants à l’égalité essayeront toujours de dire: "Rien de tout ça n’est arrivé !" et je refuse de leur donner ce pouvoir. Avant même que la série ne soit diffusée, des ultra-conservateurs américains étaient déjà en train de dire "tout ça est faux !" J’ai pu leur répondre: "les personnes qui ont vécu ces événements sont là pour vous dire que tout est vrai. Vous ne nous arracherez pas notre histoire !"

Vous avez écrit Harvey Milk, J. Edgar, la pièce 8, maintenant When We Rise… Êtes-vous l’homme d’un seul sujet : l’histoire LGBT ?

DLB : J’ai démarré en tant que scénariste pour des séries comme Big Love, où je parlais surtout de mon éducation mormone. C’est sûrement mon travail le plus considérable : 6 ans sur HBO avec Bill Paxton, Chloë Sevigny, Ginnifer Goodwin… J’ai aussi produit, Prophet's Prey, un documentaire sur l’Eglise mormone et je vais bientôt commencer une mini série avec Ron Howard, Under the banner of Heaven. C’est un autre versant de moi, qui n’a rien à voir avec mon homosexualité mais ça reste lié à mon expérience. Être un artiste, c’est être doté d’une histoire. Plus elle est compliquée, mieux c’est ! (rires) Et plus on met de soi dans un récit, plus il devient universel. Par exemple, en ce moment, j’écris une comédie romantique sur un Américain tombant amoureux d’un Britannique … (il se tourne vers Tom Daley)

Pourquoi regardez-vous Tom ?

DLB : Parce que Tom est le symbole de la romance ! (il sourit)
TD : Et que je suis la star de son film !
DLB : Ne dis pas ça, ça va faire la une de tous les tabloïds anglais ! J’aimerais réaliser ce film l’automne prochain. Et je travaille aussi sur un biopic de Byron Rustin (un proche conseiller de Martin Luther King), qui lui aussi était gay, pour HBO. Il reste tant de choses à raconter car l’histoire LGBT a été enterrée pendant si longtemps. Les mouvements des femmes ou pour l’égalité raciale ont eu le droit à des films ! Et ça donne de l’inspiration aux gens. Grâce à eux, ils se sentent moins isolés. Tout ce travail n’a pas eu lieu sur l’histoire LGBT. Il y a 40 ans, aux Etats-Unis, vous risquiez un traitement aux électrochocs, la lobotomie ou la prison simplement pour avoir écrit cette histoire. On a perdu du temps car à l’époque, pour faire ce que je fais aujourd’hui, le prix à payer était trop élevé. Et si ma mission est de rectifier cela, alors j’en suis fier.

Les épisodes de When We Rise sont disponibles sur Canal Plus Séries
 
Les photos du mariage de Lance et Tom, le 8 mai dernier, sont issues de leurs comptes Instagram respectifs.