Christiane TaubiraJulien Doré : "La Manif pour tous, c'est des petits défilés terrorisés par le présent"

Par Julie Baret le 14/11/2016
Julien Doré & interview

Du haut de ses 34 printemps, Julien Doré compte presque dix années de carrière musicale mais n'a rien perdu de son Sublime & de sa Poésie. La preuve en chanson avec son 4ème album sorti le mois dernier.

"Je deviens sauvage,
Mon torse se décharne,
Pour que Paris s'enflamme,
De nos retrouvailles."

Il y a déjà trois ans, Julien Doré sortait l'étourdissant album "LØVE". Cent soixante dix concerts, quatre disques de platine et une Victoire de la musique plus tard, le voici prêt à re-croquer la scène française avec un quatrième album : "&", sorti le 14 octobre.

"Je voudrais que l’on plonge dans mon univers dont le & est un fil."

L'histoire de ce nouvel opus débute en 2015. Suite à des années de tournée et aux tragiques événements que l'on commémorait hier, Julien Doré ressent le besoin de s'isoler loin de la capitale. Direction son chalet d'enfance dans l'arrière pays niçois qu'il sillonnera à bord de sa mini moto. Là-bas, avec ses musiciens, il restera près d'un an à écrire et composer entre la Mer & les Montagnes les quatorze titres qui composent cet album doux et romantique, fabuleusement accompli, parmi lesquels "Sublime & Silence", "Le Lac", "Porto-Vecchio" ou "Coco Câline" font déjà danser les ondes FM.
En 2009, il enlevait le haut pour la couverture du magazine TÊTU et nous expliquait son rapport à la musique, au genre et à la sexualité. Cette fois-ci il nous a parlé des femmes et d'amour de l'autre.
Rencontre avec un poète.

Julien Doré & interview
© Goledzinowski

Ton précédent album parlait de rupture amoureuse. Tu reviens en cette fin d'année avec un &. C'est une réconciliation ?

Ce qu'on appelle malheureusement le "et commercial" est un prolongement de l'alphabet. L'esperluette est un signe qui date du Moyen-Âge et qui n'est donc pas simplement utilisé entre deux mots d'une marque. C'est un signe visible qui laisse la place à des idées et à une ouverture. C'est aussi un lien avec le précédent album. Mais moi j'ai jamais vu LØVE comme un album de rupture. Imprégné d'une histoire d'amour qui s'arrête certes, mais c'étaient des chansons d'amour. Vraiment aimantes.
Je pense que cet album & est un prolongement de ma façon d'écrire et de décrire le sentiment amoureux. La réconciliation dans ce disque elle est ailleurs : une réconciliation après avoir eu besoin d'une retraite. D'une retraite en altitude. D'une distance au-dessus de la brume. En me situant dans ce chalet un petit peu plus haut j'essayais d'observer ce que je craignais, la réconciliation elle s'est faite avec l'humain et les gens que j'ai rencontrés là-haut, avec qui j'ai passé quasiment un an. Et c'est la réconciliation aussi avec le fait de vouloir remonter sur scène, qui a un autre sens aujourd'hui par rapport à l'année précédente. Donc la réconciliation elle ne se situe pas sur un plan intime et amoureux, mais sur l'amour des autres. Et sur le fait de croire encore en mon espèce.

Julien Doré & interview
Instagram/jdoreofficiel - © Goledzinowski

Tu avais produit LØVE en quelques semaines. Cette fois-ci tu as passé plus d'un an à Saint-Martin-Vésubie, dans l'arrière-pays niçois. Est-ce qu'en sortant cet album tu étais donc plus confiant dans tes choix musicaux, ou au contraire plus stressé de présenter tes chansons au public ?

Il n'y a pas vraiment d'histoires parallèles dans un ressenti au moment d'une sortie. Ce & vient effectivement après LØVE. Donc c'est un point d'ancrage, une suite, et en même temps j'ai aucune envie de comparer les deux car ils sont radicalement différents à partir du moment où celui-ci est nettement meilleur musicalement. Et aussi au niveau des textes. C'est un prolongement des choses. Mais ce & là, au moment de sa sortie, j'étais impatient. Et bizarrement c'était pas un stress lié au disque mais au fait de savoir si ce que j'aimais tant et ce que j'avais tant soigné allait être partagé. Peut-être aussi que pendant un an, je suis tombé encore plus amoureux de ces chansons.

Julien Doré & interview
C'est ton quatrième album. Quatre mots pour le décrire?

(Après mûre réflexion)
L'enfance,
Demain,
L'humain,
Et le solaire.

En parlant de solaire, tu t'es entouré de Pamela Anderson pour le clip du "Lac". Tu as expliqué que tu avais été choqué de la voir confrontée au "pire du masculin" lors de son passage à l'Assemblée nationale. Est-ce que tu peux nous raconter cette rencontre ?

Parfois, qu'on écrive des chansons ou pas d'ailleurs, il y a des êtres très très connus - des icônes quoi - qui traversent votre vie en parallèle. Mais d'une façon silencieuse parce que vous ne vous connaissez pas ; je n'avais jamais rencontré cette femme, mais elle faisait partie de ma vie. Et c'est mon rapport à l'image de cette femme, entre mon enfance et aujourd'hui : j'avais l'impression qu'à son âge et au mien aujourd'hui, on avait des mots similaires. Bien qu'on soit à des milliers de kilomètres et qu'on ne parle pas la même langue.

"Avec Pamela Anderson, je me suis dit que la connexion pourrait être douce et surprenante"

Ça a renforcé mon idée de recherche d'un symbole. Parce que je voulais une présence féminine dans le clip, mais je ne voulais pas que ce soit ma fiancée. Je voulais qu'elle incarne quelque chose de l'ordre des profondeurs. Comme si elle était sortie de ce lac là pour me dire quelque chose ou m'envelopper, m'envelopper comme ce que peut décrire le refrain. Et au moment où j'étais dans cette recherche, j'ai pensé à elle. Je me suis dit que peut-être la connexion pourrait être douce et surprenante. Surprenante dans le sens de forte.

Julien Doré & interview
Instagram/jdoreofficiel :
Ô Pamela
Sublime icône écorchée des reflets de mon Lac, sensuelle, maternelle, révoltée.
Protectrice de la nature & des hommes, de la planète & des animaux, de mon enfance & de mes souvenirs.
Pourvu que les hommes nous regardent, amoureux de l’ombre & du pire.
« Aimons-nous vivants » © F.Valéry
💙
Julien

J'avais évidemment conscience que quand elle a accepté, on n'allait pas immédiatement voir l'évidence que je décris là. Je savais aussi ce que ça allait susciter, et qu'il y aurait aussi pile les raisons pour lesquelle j'ai décidé de la choisir. Parce que le regard des hommes sur cette femme a du mal à se poser sur ses mots et donc sur sa bouche. C'était pour moi le reflet du monde dans lequel je vis. C'est-à-dire la façon dont les hommes orchestrent leur vision des femmes avec, soi-disant, un rapport parfaitement réglé, équilibré et une parité remarquable... Et effectivement, ce moment où elle est dans ce lieu important qu'est l'Assemblée nationale, eh bien j'hallucine. Pour illustrer ce que je dis, j'ai la chance qu'on ressorte les extraits des interviews de ces hommes politiques là sur cette femme. Je ne pense qu'on ne peut que trouver ça hallucinant, à moins d'avoir certaines choses à régler avec un psychanalyste. Ce qu'elle injecte dans l'inconscient fantasmé des hommes, des hommes de cet âge-là, des hommes de pouvoir... C'est assez malsain. Pour moi, le choix de cette femme dans ce clip c'est devenu une évidence. Et dans ce que ça soulève comme réaction, ça devient aussi les raisons de ce choix-là.

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On parle là de masculin et de féminin. C'est quoi pour toi la masculinité en 2016 ?

Pour ma génération et celle à venir, j'espère que c'est une prise de conscience sur le rapport avec le féminin. Une prise de conscience saine, logique. Mais je crois que c'est encore très très loin d'être le cas. Dans de nombreuses zones du monde évidemment, mais aussi en France. Ce qui est encore plus vicieux c'est que c'est faussement masqué d'un non-problème ici. Et si on s'amuse à regarder France 3 qui retransmet les débats à l'Assemblée nationale, encore très récemment, n'importe quelle femme qui viendrait s'exprimer avec une jupe, on entend des choses... C'est hallucinant. Des hommes adultes qui ont fait beaucoup d'études et qui représentent un certain nombre de Français font des bruits de poule quand une collègue va s'exprimer à l'Assemblée. Ou certains d'entre eux sont chopés sur le vif pour du harcèlement, des mains au culs, des choses comme ça... Et ça se prolonge en traversant l'Océan, il n'y a qu'à voir le rapport de Trump au féminin par exemple.

"Les hommes sont terrorisés par les femmes"

Mais je pense que tout ça vient d'une peur. Les hommes sont terrorisés par les femmes. Depuis toujours je pense. Cette peur de voir chez elles la capacité à donner la vie, à prolonger la vie, et ce sentiment de suprématie du masculin qui se rend bien compte qu'il ne peut pas tout faire. D'avoir la mainmise sur tout. Mais c'est une peur vicieuse qui est liée à plein de choses et qui peut vite déborder. C'est quelque chose d'enfoui, de lié au sexuel, aux pulsions, au fantasme... C'est assez flippant. Le masculin a besoin de s'entendre prononcer sa force. Encore et toujours aujourd'hui, et c'est loin d'être réglé.

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En 2009 t'as faisait la couverture du magazine TÊTU...

Oui, avec des chats. Je m'en souviens très bien.

Tu te disais déjà favorable à l'ouverture du mariage et de l'adoption pour les couples de même sexe. Il y a quelques semaines, il y a eu une nouvelle manifestation contre cette avancée. Que penses-tu du contexte français trois ans après la loi Taubira ?

C'est le reflet d'une époque qui exalte le vide. C'est-à-dire on adore réveiller l'écho, c'est une grande passion. On s'entend tous sur le fait qu'il y a des choses extrêmement importantes à régler très très vite, et qu'il est préférable de voir le tableau en plan large avant de zoomer sur les choses qui nous arrangent ou qui arrangent certaines personnes. Et en même temps, il y a une perte de temps permanente à revenir sur les choses. A décider que "non non non, ce n'est pas fini, ce n'est pas acté."

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Puis les images... Je suis assez attaché aux images et aux témoignages de ceux qui descendent dans la rue encore aujourd'hui pour essayer de renverser l'idée que deux hommes ou deux femmes puissent se marier. C'est assez hallucinant. Et quelqu'un comme Christiane Taubira avait une façon très jolie de s'exprimer. Moi ça m'avait beaucoup touché, justement à l'Assemblée nationale, quand elle avait prononcé son discours extrêmement fort et extrêmement assumé.

"Je hais la nostalgie. Je la hais profondément"

Qu'est-ce que j'en pense ? Je dirais que ça me touche autant qu'un défilé de voitures de collection de Paris. C'est une métaphore évidemment. C'est assez déprimant en fait. Mais c'est le symbole du refuge, du "c'était mieux avant". Dans une époque comme aujourd'hui où tout est malheureusement - et parfois même dramatiquement - surprenant, on ne s'attend pas aux choses qui peuvent nous arriver et on nous baigne en permanence dans l'idée d'un grand pessimisme. Eh bien dans cette période là d'un grand pessimisme, évidemment qu'il doit être fort agréable d'aller se réfugier dans le "c'était mieux avant" et dans une grande nostalgie d'un soi-disant équilibre du passé. Mais c'est aussi pour ça que je hais la nostalgie. Je la hais profondément. C'est une caresse vicieuse. C'est un miel dégueulasse. Elle vous tire et elle vous endort. Elle vous enferme, seul avec vous-même et avec l'avant. J'ai très peur de ça.

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Mais on le voit, tous les cycles se répètent. C'est en permanence comme ça. Que ce soit en politique où sur certains sujets de société. Les choses se répètent, comme si elles n'avaient jamais existé auparavant, comme si "nan nan c'est un nouveau combat". Mais il y a tellement de choses dans cette urgence. L'urgence elle se situe pas là. Il y a tellement de choses à prendre en charge, à prendre en main, dans l'urgence du monde plus que dans notre toute petite société. Pour qu'on continue à se parler ou à avoir la liberté de choix. Pour qu'on ait encore cette chance-là dans les années à venir.

Mais j'ai l'impression que cette possibilité d'être en l'action dans l'instant présent, on la fuit. Parce qu'on a toujours l'espoir qu'on va décider à notre place ou qu'on va choisir. Et donc le fait de fuir ça... C'est des petits défilés teintés de nostalgie, terrorisés par le présent. Et quand on tourne en rond on se rend bien compte qu'on finit par ne pas avancer.

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En 2013, tu chantais "Ah si j'étais homosexuel je n'aurais pas tous ces problèmes avec toi." Tu penses la même chose aujourd'hui ?

Ah je ne sais pas... C'était une chanson qui était tellement à part dans ce deuxième album. Une chanson que m'avait écrite Philippe Katerine. Moi qui écrit justement des chansons d'amour, c'était drôle de m'adresser comme ça à une femme ou aux femmes - parce que c'est très épistolaire, je parles au "tu" - eh bien le fait de prendre cette distance, de dire "Je ne t'écrirais pas tous ces textes si j'étais homo"... Cette distance là était drôle pour moi qui suis ancré encore plus aujourd'hui dans le fait d'écrire une chanson d'amour à la femme que j'aime ou à la femme que je peux aimer... que je pourrais aimer. J'avais un peu oublié cette chanson.

"Le fait d'aimer l'autre nous dévore chaque jour"

Mais il y a le refrain de "Moonlight Serenade" dans ce nouvel album qui dit "Faut pas trop m'aimer sinon je panique", c'est encore cette volonté de distance prise par rapport à ce qui nous dévore. Ce qui nous dévore et ce qui en même temps nous tient debout. C'est-à-dire le fait d'aimer l'autre. Que ce soit un homme, un femme... Peu importe. Le fait d'aimer l'autre nous dévore chaque jour et en même temps nous passionne et nous porte. Sans ça, franchement... Je ne sais pas vraiment si on tiendrait droit. Mais le fait de s'aimer, de se regarder, de se respecter, dans la bouche d'un artiste ça soulève souvent le ricanement. Toujours aujourd'hui peut-être. Sauf qu'aujourd'hui je m'en fous du ricanement.

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Fort heureusement, et pas que dans les domaines artistiques, la notion de coeur, de rapport à l'autre revient au centre des choses aussi. Et ça c'est bien. C'est plus si cucul que ça. On se rend bien compte que c'est essentiel. Mais au fond l'acte d'amour - pas au sens du couple, mais de l'amour de l'autre - c'est aussi une guerre. C'est aussi un combat. C'est aussi une volonté. Décider d'aimer l'autre, c'est un acte. C'est urgent.

J'ai l'impression qu'aujourd'hui, de prononcer ces mots-là quand on fait des choses, quand on fait des chansons, quand on monte sur scène, quand on regarde dans les yeux les gens, ça a un sens, putain.
Moi j'aime bien ma solitude, mais uniquement parce que je sais que je vais vivre en montant sur scène ce regard là et ce sentiment d'utilité : de remplir quelque chose chez l'autre. Parce que lui en me regardant, en m'accompagnant ou en ressentant ce que je vais essayer d'exprimer, m'offre aussi beaucoup. Quelque chose dont j'ai viscéralement besoin pour tenir debout.

 
Julien Doré partira en tournée à partir du 23 février 2017. Retrouvez toutes les dates ici. Toutes les informations sur son site officiel.

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Pour en savoir plus :

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Couverture : © Goledzinowski