Interview : Montmartre : "Tant qu'il y a de l'amour allons-y, feu !"

Par Julie Baret le 08/05/2016
Montmartre interview

TÊTU a rencontré le groupe Montmartre pour la sortie de son 1er album Hope, une expérience musicale lumineuse et éclectique composée depuis les collines parisiennes.

À 27 et 28 ans, Hugo Lab et Alex Enki n’ont rien à envier aux plus grands noms. Après des remixes remarqués et un premier EP – Inside Of Me enivrant, les deux Français dévoilent un album d’house-pop aux virages inattendus, qui assemble à merveilles leurs univers respectifs : la recherche du beat chez l’un et la formation classique de l’autre. Une alliance libératrice qui livre la combinaison parfaite du rock et de l’électro, du rap et de la house, le tout traversé par une énergie pop fédératrice.
Pour réaliser leur premier disque, les deux artistes ont également convié la voix envoûtante de Pauline Lopez de Ayora et le flow du rappeur Beat Assailant qui bousculent les titres "White Fields" et "Bring It Back". Un mélange des genres unique qui se savoure les oreilles grandes ouvertes. Interview.
TÊTU : Question bête, vous venez de Montmartre ?

Hugo : On ne vient pas de Montmartre, nous avons colonisé Montmartre ! On a beaucoup trainé là après notre majorité parce qu'on aime bien le quartier et l'ambiance, et du coup on a monté notre studio ici dans le XVIIIème arrondissement.

TÊTU : Comment vous vous êtes rencontrés ?

Alex : Alors ça c'est beaucoup plus vieux. En fait on s'est rencontré tout bêtement à la fac. Et puis petit à petit on est devenu amis. Montmartre ne s'est pas fait toute de suite : on a mis du temps, on avait chacun notre univers, puis on a commencé à faire des essais, on s'est fait tripper et ça marchait bien.

TÊTU : Vous vous rappelez de la première chanson sur laquelle vous avez bossez ensemble ?

Alex : Oui je me souviens. On avait fait un essai, c’était un truc électro-club-commercial un peu bizarre. De manière très brute, avec une voix très pop et un truc très DJ. On est allé jusqu'au bout pour le finir mais on s'est rendu compte qu'il manquait quelque chose.
Hugo : C'était un peu le début où nos deux univers étaient juste collés. Petit à petit on a essayé de mélanger tout ça.

TÊTU : Quels sont les artistes qui vous ont marqués ?

Hugo : Oh un millier, un milliard ! Moi j'ai fait énormément de classique, donc déjà tous les compositeurs classiques que j'ai mangé durant ma jeunesse comme Tchaïkovski et Debussy. Après mon frère m’a fait écouter du rap, IAM, NTM... Et puis derrière, les Beatles, les Rolling Stones, les Pink Floyd... Toutes ces choses-là jusqu'aux trucs plus récents comme Phoenix, Cassius, ce genre d'artistes un peu électroniques.
Alex : Je rejoins Hugo avec Phoenix et surtout Daft Punk quand j'étais plus petit, car j'aimais le côté pop de la musique électronique. Je n’ai pas du tout de culture rock à la base, j'ai tout découvert assez récemment. Moi j'aimais beaucoup plus les musiques rythmées quel que soit le style : le rap, le zouk, la funk, la techno. Tout ce qui était dansant.

TÊTU : Justement en parlant de Daft Punk, les médias ont tendances à vous comparer à eux. Qu'est-ce que vous pensez de cette comparaison ?

Hugo : On est contents d’être comparés à eux, ce sont des artistes phares et incontournables dont on a été très fan. Surtout de l’époque Discovery qui a apporté quelque chose de nouveau à la scène musicale.
Alex : Pour moi c’est une fierté parce que c'est un peu le modèle de carrière rêvée où tu fais ce que tu veux, tout le temps, et tout le monde adore. Au début nous on a pris le risque de ne pas aller dans un seul style même si c’est pas forcément aisé pour l'identification. Surtout en France où il a beaucoup de cases.

Montmartre interview
Crédit photo Richard Selha

TÊTU : C'est vrai que dans l'album Hope on retrouve des sons très électro comme "White Fields", un refrain presque pop-rock dans "Inside of Me", des côtés disco et hip-hop dans "Bring It Back"... Pourquoi un album aussi éclectique ?

Hugo : Parce qu'on l'est tout simplement. On a écouté des milliers de choses et nous ce qu'on retient de la musique, c'est ce qu'elle nous fait ressentir. Ce sont les émotions qu'on en tire. Je pense qu'il faut arrêter de mettre des barrières aux styles. À mon avis, les gens ont besoin de cette ouverture. Et j'ai l'impression qu'en faisant ce genre de démarche, on peut leur faire remarquer qu’on peut aller dans tous les styles sans que ce soit gênant.
Alex : On n’a pas fait de bossa nova encore mais pourquoi pas. Finalement quand on fait plusieurs fois la même chose - la même esthétique avec les mêmes éléments - on se lasse. À chaque fois on veut changer quelque chose, rajouter un truc. Et on va aussi beaucoup dans les choses qu'on ne connaît pas trop. On n’est pas forcément des producteurs de rap ou des rockeurs - même si Hugo est un vrai de vrai - à la base. Moi j'étais DJ, mais ça ne veut pas dire que je savais faire de la dubstep ou de la trap. On aime aller souvent dans l'inconnu.
Hugo : D’autant qu’on évolue tous les jours, quand on écoute des trucs différents. Il y a tellement de choses puissantes, dans le classique par exemple, que tu ne peux pas retrouver dans d'autres musiques. D’après moi, tant que c'est mélodieux, harmonique et agréable, tout se mélange.

TÊTU : Est-ce que ça veut dire que vous allez partir dans une direction totalement différente après Hope ?

Hugo : Ah nous ne sommes pas à l'abri d'un tournant...
Alex : On ne sait même pas encore. Ce qui est sûr c'est que ça ne sera pas du tout le même album, ni les mêmes genres qui vont se mélanger.
Hugo : On sera différents demain, on aura des envies différentes. On est très à l'écoute de ce qui se fait. L'évolution de la musique, c'est quelque chose de génial. On s'enrichit tous les jours, qui sait ce qu'on écoutera dans deux mois et ce qu'on aura envie de faire dans trois mois.

TÊTU : Vous-mêmes vous avez des approches similaires ou plutôt complémentaires ?

Hugo : J'ai envie de dire complémentaires et similaires à la fois.
Alex : Et en même temps complètement différentes ! On est aussi proches qu'éloignés. C'est ça qui est marrant. On est très différents mais, quand on fait de la musique, on se retrouve dans cette espèce de terrain de jeu qu'on a appelé Montmartre.

TÊTU : Comment vous définissez votre musique aujourd'hui ?

Hugo : Comme assez universelle finalement. Ça reste de la musique "pop" au sens de "populaire", donc accessible à quiconque. On n’est pas dans une envie de niche ou de truc très indépendant.
Alex : Ni très commercial. On est satisfait quand on apporte quelque chose. On ne peut pas vraiment définir de style. On pourrait dire électro-pop, pourquoi pas, si les gens comprennent mieux comme ça. Mais là par exemple, on a fait une session acoustique et c'est complètement de la pop. Même si le côté dansant reste là. Au final, un style se définit par les instruments qui le composent, et nous on en change tout le temps.
Hugo : Et on s'amuse avec ça. Dans notre album il y a des percussions, de la batterie, du clavier, il y a de la basse, du violoncelle, de la mandoline, de la guitare... On ne se satisfait pas des choses très simples.

Montmartre interview
Crédit photo Richard Selha

TÊTU : Vous avez fait de super remixes, comme "Is This Love" de Bob Marley. Aujourd'hui vous sortez votre premier album, c'est quoi l'histoire que vous racontez avec votre propre son ?

Hugo : Ce sont les émotions que l'on ressent tous les jours, toi, moi, nous, vous, ils. J'ai l'impression que c'est un ensemble de ressentis, des choses de la vie, de ce qui peut arriver dans le monde. On a un peu tous les mêmes sensations finalement, que ça soit de la mélancolie, de la joie, de la haine, du bonheur, de l'amour, beaucoup d'amour surtout. Nous on cultive l'amour parce que l'amour nous élève. Même dans les textes, et la musique accompagne ça. La musique parle déjà d'elle-même et nous on rajoute les mots et la forme pour appuyer le propos. Même la dernière chanson "Earth" qui, sans paroles, raconte la puissance de cette planète sur laquelle on vit avec quelque chose de lourd et de puissant à la fois. La musique est un vecteur puissant.
Alex : Et c'est pour ça qu'on a appelé notre album Hope du nom d’un des morceaux, parce que finalement tous nos textes, tout ce qu'on dit, les émotions ressentis par les accords ou autre, c'est vraiment cette sensation de réconfort.
Hugo : Même quand ça ne va pas, c’est se dire "j'écoute ça, je ferme les yeux et ça va mieux". Tout le monde se plaindra toujours de sa situation - c'est propre à l'humain - et nous on veut apporter une réflexion positive, une construction. Moi je n'ai pas envie que les gens, en écoutant notre musique, se confortent dans leur spleen. Nous on veut voir le sourire des gens.
Alex : On aime bien aussi le côté rock'n'roll, quand ça envoie. Quand j'étais DJ avant c'était ça le concept : l'énergie, le groove, la rythmique.
Hugo : Mais par exemple, si t’écoute le premier morceau "Hope" dans ta voiture, je ne suis pas sûr que tu iras insulter ton voisin qui vient de te doubler ou de te piquer la priorité.

TÊTU : Dans votre musique il y a aussi quelque chose de très lumineux, comme chez MGMT ou The Empire Of The Sun. Ce sont des groupes qui vous inspirent aussi ?

Alex : Ah oui évidemment.
Hugo : Autant The Empire Of The Sun c'est vraiment "Walking On A Dream" qui apporté quelque chose de nouveau, même si le reste de l'album n’a malheureusement pas tiré le truc jusqu'au bout. Autant MGMT, tout le premier album oui. Ce truc lourd et en même temps très épuré, très simple, et qui te fais rêver. C'est clairement une de nos grosses influences.

TÊTU : Ça n'est pas un peu paradoxal par rapport à l'identité visuelle de l'album, assez lunaire ?

Hugo : C'est vrai qu'on est plein de contradictions, comme tout à chacun. La question est délicate !
Alex : Oui mais c'est pas mal parce que c'est aussi une question de point de vue. Le côté lunaire je vois oui, parce que c'est très vide, plus proche du noir et blanc… Mais ça c’était aussi un choix pour éviter le côté trop coloré ou patchwork, dans des trucs très contrastés et flashy qu’on faisait avant.
Hugo : Et surtout pas trop acide. Parce qu'on est quand même des grands fans de nature. Passer du temps hors de Paris, loin des villes, dans la nature, dans tel ou tel pays... c'est nous, on vient de là. On a besoin de respirer à plein poumons pour ressentir la base de la vie. On a toujours eu cet univers de nature et de peace full dans les montagnes.

[embedyt] http://www.youtube.com/watch?v=qEdeGEQgHmg[/embedyt]
TÊTU : Vous parliez d'amour et de réflexion positive. Comment vous vous positionner par rapport aux questions LGBT ?

Hugo : Tant qu'il y a de l'amour allons-y, feu ! Sérieusement, il y a trop de gens qui portent de la haine par rapport à ce genre de choses, et ces gens-là n'ont rien compris à la vie. Ils sont à côté. Nous évidemment qu'on va dans le sens de la tolérance.

TÊTU : Vous produisez une musique qui convient bien aux clubs et vous êtes beaux garçons. Vous vous attendez à drainer un public gay ?

Hugo : C'est déjà le cas.
Alex : Mais on ne s'en rend pas forcément compte. On a des potes gays mais ils ne vont pas nécessairement que dans des soirées gays. Après on est des mecs sensibles, donc peut-être que notre musique touche pas mal d'âmes sensibles aussi. J'ai quand même l'impression que le public gay aime les choses plus underground, mais je ne sais pas… c'est peut-être un cliché. J'ai quand même l'impression qu'ils sont plus éduqués devant la culture et qu'ils vont plus loin dans la découverte. N'oublions pas que c'est eux qui ont apporté la house et ce genre de sons. Même David Guetta lorsqu'il est arrivé en France, heureusement que le public gay était là, sinon il n'y aurait pas eu de house. Il faisait des soirées gays, et c'est parce que les gays aimaient sa musique que ça a commencé à prendre et que d'autres gens sont venus.

TÊTU : Aujourd'hui on se rencontre à deux pas de vos studios. Vous travaillez sur quoi en ce moment ?

Hugo : On bosse sur des productions pour d'autres gens, on fait de la réalisation et on compose pour d'autres artistes de manière un petit peu cachée, un peu plus dans l'ombre.
Alex : On joue le rôle de producteurs, c'est une grosse partie de notre travail. Même pour Montmartre on est producteurs. On fait tout tout seul et comme on a notre studio on vend ce savoir-faire. Et ça nous plaît de collaborer avec d'autres gens, de partager...
Hugo : On a besoin de voir d'autres univers, d'autres façons de penser la musique, de l'exprimer.

TÊTU : Quels artistes vous nous conseillerez de suivre ?

Hugo : On peut mettre un petit mot pour J.A.C.K. qui est un super artiste.
Alex : C'est même devenu un pote maintenant. On s'est rencontré sur un concours de remix de C2C, lui a fini 1er et nous 3ème. Je pense également à des mecs comme Best Nine, des petits jeunes qui ont du talent et qui cherchent comme nous à tout mélanger. Et les Part Time Friends aussi, le groupe de Pauline qui chante sur "White Fields". Après il y a plein de gens, mais eux ce sont ceux qui sont proches de nous, qui sont bons et qui commencent à monter... Tu sens qu'il se passe un truc.

TÊTU : Qu'est-ce que vous diriez à un public potentiel ?

Alex : S'ils ont envie de voyager, voici une invitation au voyage, une évasion.
Hugo : Et s'ils ont l'impression d'avoir perdu 46 minutes de leur temps, qu'ils nous envoient un petit mail ! On en discutera ou on leur fera un petit cadeau.

Après avoir fait salle comble aux Bains Douches le 20 avril, le groupe Montmartre s'envolera pour la Suisse le temps du Grillentanz Festival, puis reviendra agiter la scène parisienne le 3 juillet lors du Hamac Festival.
Pour apprécier leur musique, ça se passe ici ou sur leur compte Soundcloud.
[embedyt] http://www.youtube.com/watch?v=ExIZ8fVkymg[/embedyt]
[embedyt] http://www.youtube.com/watch?v=xpR6Nnt-njg[/embedyt]
 
Crédit photo couverture Richard Selha