Tchétchénie"J'ai rencontré ceux qui ont fui la Tchétchénie" par Elena Volochine

Par têtu· le 25/07/2017
Novaya Gazeta,Tchétchénie

Le 1er avril 2017, le quotidien russe Novaya Gazeta révélait une campagne d'arrestations et de torture des homosexuels en Tchétchénie. En Russie, la correspondante de France 24, Elena Volochine, a pu suivre plusieurs victimes. Pour TÊTU, elle décrypte ces événements terribles, survenus dans une région qu'elle connaît bien.

Par Elena Volochine, correspondante de France 24 en Russie. 
"J'ai rencontré ceux qui ont fui la Tchétchénie" par Elena Volochine
Mon premier voyage en Tchétchénie remonte à 2012. Je découvrais alors cette société ultra codifiée, régie par des us et coutumes d'un autre temps. Chacun semblait y tenir un rôle ; hommes et femmes, jeunes et vieux, faibles et forts évoluaient selon des schémas bien établis. D'une discussion à l'autre, d'une rencontre à une autre, d'un foyer à un autre, les mêmes expressions, les mêmes gestes, les mêmes regards trahissaient le fait que malgré leur hospitalité, les Tchétchènes resteraient imperméables à toute tentative de pénétrer leur univers. Et puis il y avait la peur : ancrée, omniprésente, du régime de Ramzan Kadyrov. « Ici, c'est la Corée du Nord version mouchoir de poche », me disaient souvent mes interlocuteurs.

"Ils disent aux parents de tuer leurs enfants. "Soit vous le faites vous-mêmes, soit on s'en charge.""

 
Il y avait Aslan*, 38 ans. Arrêté fin mars à un checkpoint à Grozny, emmené dans une unité des forces de sécurité, laissé tout nu dans une pièce sous la surveillance d'un officier, Aslan a pu s'en aller car ce dernier l'a pris en pitié. « J'aimerais un jour pouvoir le remercier de m'avoir sauvé la vie », m'a confié Aslan. Hassan*, lui, fut victime d'une pratique répandue avant même les purges de ce début d'année. Piégé par une fausse rencontre sur les réseaux sociaux à l'automne dernier, il est passé à tabac par quatre agents, qui filment la scène. Sous la menace de voir la vidéo publiée sur Internet, il a deux mois pour leur verser un pot-de-vin de 3 000 euros. Hassan finit par payer. Début avril, il apprend qu'un de ses amis gays a disparu. Il décide alors de fuir. « Après mon départ, ils sont venus chez ma mère, m’explique Hassan. Ils lui ont tout raconté. Que je suis gay. Qu'il faut m'attraper, et me tuer [...] Ils disent aux parents de tuer leurs enfants. "Soit vous le faites vous-mêmes, soit on s'en charge." Cela s'appelle : laver l'honneur par le sang. » Âgé de 20 ans à peine, assis dos à moi pendant que ma caméra tourne, Hassan tente d'étouffer ses sanglots dans un soupir, mais je l'entends qui pleure doucement. Alors, on s'interrompt. On parle musique, cinéma. Moi qui viens de France, je lui promets que la vie est plus belle ailleurs. Hassan me croit, mais il attend un visa, et pour lui, cette attente est interminable.

"Je me sens toujours coupable de ne pas être comme tout le monde."

 
Et puis il y avait Zurab*. Marié, un enfant : « Lorsque j'ai compris que j'aimais les garçons, je me suis vite marié. Je pensais que cela passerait. Mais cela ne passait pas [...] Peut-être est-ce une erreur de la nature, ou une maladie [...] Je me sens toujours coupable de ne pas être comme tout le monde. Parce que c'est ce qu'on m'a inculqué toute ma vie. Si tu es gay, tu es en-dessous de tout. » Dénoncé par deux connaissances, Zurab est détenu une semaine, affamé et torturé à l'électricité. « La faim et les humiliations morales, c'était pire que la torture, me disait Zurab. Aussi, d'entendre les hurlements des autres qui se font torturer ». À la fin de l'interview, Zurab est épuisé. Je le laisse seul car il doit faire sa prière. Contrairement aux autres, je ne le revis plus de tout l'après-midi.

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*Les prénoms ont été modifiés

Crédit photos : Elena Volochine/France 24