cinéma"Mademoiselle" aime sa servante dans un thriller puissant

Abo
Par Adrien Naselli le 02/11/2016
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Park Chan-wook,Mademoiselle

Le réalisateur coréen Park Chan-wook a produit un thriller lesbien palpitant dans lequel une héritière tombe amoureuse de sa servante dans un milieu opprimant, pervers et phallocratique.

Ce qu'on retiendra d'abord de Mademoiselle, c'est la beauté des images. Chaque minute de ce film-fleuve de 2h25 nous laisse bouche-bée devant un travelling, une idée de mise en scène, un plan fixe, la splendeur d'un visage. Park Chan-wook est maître dans l'art d'en mettre plein les yeux tout en tenant son public en haleine; le luxe de détails est envoûtant. Il en fallait au moins autant pour rendre hommage à Du Bout des doigts, le roman de l'auteure britannique Sarah Waters dont s'est (très) librement inspiré Park Chan-wook.
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Thriller sadien

"Rendormez-vous, vous n'êtes pas encore arrivée", dit le gardien du domaine à Sookee qui se présente de nuit au premier portail de la maison "du Jap" où elle devra servir une mystérieuse Mademoiselle. On suit sa voiture qui serpente alors de longues minutes dans la forêt jusqu'au somptueux manoir, "un mélange des styles japonais et anglais", comme le glisse nonchalamment l'intendante un peu flippante qui attend la jeune Coréenne pauvre à l'entrée. Il y a beaucoup d'humour dans le gigantisme presque fantastique que Park Chan-wook met à l'écran. Dès sa première nuit, Sookee est réveillée par Mademoiselle, qui se présente sous le nom d'Hideko. Elle faisait un cauchemar et lui glisse qu'elle est un peu folle parce que sa tante s'est pendue dans le jardin...

Alors qu'on redoute un peu l'arrivée des fantômes (comme le cinéma coréen sait en général bien le faire), le film nous embarque dans un tourbillon de manipulations entre Sookee, Hideko, le Comte (un arnaqueur qui convoite sa fortune) et l'oncle tyrannique, psychopathe et obsédé de Mademoiselle Hideko. La langue et les lèvres noircies par l'encre, ce colon japonais est présenté comme le plus riche collectionneur de livres et d'estampes érotiques. Ses nombreuses références au "sous-sol" du manoir font froid dans le dos - et on découvre bien assez tôt ce qu'il contient.
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Mademoiselle est une histoire d'amour entre deux femmes

Telles sont prises qui croyaient prendre : à mesure qu'on découvre à quel point les personnages sont engagés dans des complots complexes qui engagent la perte de l'autre, on se ronge les sangs en se demandant si l'érotisme omniprésent entre la pauvre receleuse et la riche héritière ne sera qu'un aspect de la machination, un simple maillon de l'engrenage, rien d'autre qu'un petit frisson lesbien pour Park Chan-wook - comme le laisse d'ailleurs présager la bande-annonce.

Se produit alors un phénomène assez rare pour ce genre de films qui se gargarisent de mêler une atmosphère perverse et sulfureuse à une esthétique lesbienne : l'histoire d'amour entre Sookee et Hideko se développe. Le réalisateur fait des pas de côté, laisse la place à des péripéties inattendues. Leur révolte contre l'oncle et le Comte, les deux représentants du patriarcat, s'exprime de plus en plus. Dès le début du film, les voix off dans l'esprit de Sookee nous font comprendre, dans une connivence drôle et touchante avec le spectateur, qu'elle tombe amoureuse. Et le dénouement, qu'on ne peut pas dévoiler ici tant il est radical, va au-delà des attentes.