Quelle communauté LGBT voulons-nous après Orlando ?

Par Cy Lecerf-Maulpoix le 24/06/2016
Quelle communauté après Orlando

Après les hommages, panser les blessures laissées par l'attaque du Pulse pourrait devenir l'occasion de repenser et de renforcer la communauté LGBT.

Le 13 novembre dernier, de nouvelles attaques terroristes ont frappé Paris, parfois même notre quartier. Elles ont aussi parfois touché des connaissances ou plus tragiquement des êtres chers. Notre famille, nos proches, nous avons été toutes et tous affecté.e.s différemment. Et si digérer la douleur est un processus long et intime, il y avait néanmoins du réconfort à pouvoir vivre un deuil collectif, à en parler ensemble et à pouvoir, avec plus ou moins de visibilité et de succès, retourner dans la rue, dans les cafés, dans les clubs pour continuer à vivre malgré tout.
Qu’en sera t’il cependant de ce qui restera sans doute comme la pire fusillade sur le territoire des Etats-Unis depuis plus d’un demi-siècle et pour ceux qui prennent la peine de le mentionner, là-bas comme en France, comme la pire attaque portée à l’encontre de la population LGBT depuis bien longtemps ?
Il y a quelque chose d’autrement plus déchirant que de faire l’expérience, même à distance, d’une violence extrême adressée à celles et ceux que, au sein de ce que nous aimons aujourd’hui définir comme une communauté, nous pourrions qualifier comme nos frères et soeurs. Des frères et soeurs que nous pouvons aimer autant que rejeter, qui nous sont étrangers et familiers à la fois.
En l’occurrence ici étrangers car nécessairement autres du fait de leur origine et de leurs parcours, de leurs désirs et de leur exposition à la violence et pourtant familiers car construits dans la conscience commune d’une différence nous exposant aux discriminations, au rejet mais aussi à des parcours d’acceptation de ce que nous sommes intimement. Cette sensibilité tisse entre nous, je le crois, un lien suffisamment puissant pour dessiner les contours d’une famille.
Or les deuils familiaux ouvrent souvent des brèches, ils sont parfois l’occasion de dépasser de vieilles rancoeurs, ils sont aussi des moments importants pour réévaluer la teneur de nos liens. Aujourd’hui, à en croire les réseaux sociaux, les grands rassemblements à Londres, New York ou Paris, l’envie de se rassembler comme de retisser le lien communautaire est profonde, et je l’espère pour le moment, bien plus profonde que de celle de se diviser, d’exciter la haine et le rejet.
Cependant la mémoire est défaillante et les émotions s’atténuent. Les précédents attentats parisiens nous l’ont montré : la volonté de se rassembler lorsqu’elle cède à la peur de l’autre devient alors le meilleur terreau du nationalisme et de diverses formes de radicalisme. Que pouvons-nous faire pour éviter cet écueil, que pouvons-nous faire pour éviter que notre communauté se replie et se crispe ?
La communauté LGBT et les territoires qu’elle occupe aujourd’hui ne sont pas des éco-systèmes naturellement fertiles où nous pourrions aller consommer seulement ce que nous désirons dans l’espoir qu’ils se maintiennent. Leur équilibre et leur existence sont fragiles. La violence insoutenable de l’attaque du Pulse mais également le traitement déplorable de l’information par de nombreux grands médias, la dureté et les maladresses de certain.e.s personnalités politiques nous démontrent que nous ne nous résisterons pas seulement à la violence en retournant danser et en nous embrassant en club ou en public (quand bien même cela s’avèrerait déjà précieux et revendicatif).
Nous sommes plus divers.e.s et plus nombreu.s.e.s que nous le croyons. Ces quarante-neufs LGBT qui ont perdu la vie un samedi soir nous le démontraient. Cette multiplicité incluait des différences de sexe, de genre, de sexualités mais aussi de couleur et de religion.
Les espaces de transmission et de visibilité de cette diversité qu’incarnent à défaut les clubs mais que peuvent ou pouvaient être les bars, les centres culturels et/ou de prévention en sont des exemples. La presse, les arts, les manifestations, les espaces associatifs et les événements culturels en sont d’autres. Les espaces de mémoire et d’archivage également.
Notre passé et notre présent regorgent d’initiatives permettant non seulement de nous rendre visible mais également de nous reconstruire collectivement dans des moments de crise.
Nous avons le privilège d’être une minorité forte d’une grande diversité dont nous ne mesurons pas pleinement le pouvoir de guérison, de résilience et d’invention. Il ne tient donc qu’à nous de nous attaquer non seulement de manière plus globale aux causes des discriminations, à la violence à laquelle nous faisons face aujourd’hui mais aussi également à l’indifférence vis-à-vis des différents enjeux qui nous animent les un.e.s les autres, indifférence qui continue de fragiliser de l’intérieur l’existence même de ce que nous aimerions voir exister comme notre communauté.
Non pas une communauté fermée sur elle-même, inconsciente de ses possibles et de ses énergies vives, mais au contraire ouverte, compréhensive et fière d’une richesse qui pourrait véritablement faire sa force.