pornoRussie : "les personnes LGBT et le préservatif seraient responsables de l'épidémie de Sida"

Par Jérémie Lacroix le 02/06/2016
Russie VIH manque de moyens désinformation

Un rapport russe incrimine la montée du sida dans le pays à l'Occident, opposant les moeurs dissolues de l'Ouest à celles, plus vertueuses, de la Russie. Les personnes LGBT et le préservatif sont notamment dans la ligne de mire des rapporteurs.

En janvier 2016, la Fédération de Russie dénombrait un million de séropositifs, un véritable fléau national d'après Vadim Pokrovski, le directeur du Centre fédéral de lutte contre le sida. Ces données inquiétantes ont poussé la Douma - l'Assemblée législative russe - à mandater l'Institut de recherche stratégique de Russie (RISI) afin de se pencher sur la question, qui lui a remis ses conclusions le 30 mai. Comme c'est malheureusement souvent le cas en Russie, le rapport cherche à trouver des coupables extérieurs et à manipuler l'information au point d'en devenir criminel.

Les personnes LGBT propageraient le VIH/sida...

En effet, le comité d'expert à l'origine de ce rapport sur la situation sanitaire du pays n'est composé d'aucun scientifique, et encore moins de spécialistes du VIH/sida. Ainsi, pour Tatiana Gouzenkova - la directrice adjointe du RISI - le "problème du VIH/sida est instrumentalisé dans le cadre d’une guerre de l’information menée contre la Russie". Le coupable est tout désigné : l'Occident, lequel se base sur "un contenu idéologique néolibéral, insensible aux spécificités nationales et à l’absolutisation des droits des groupes à risque, les toxicomanes et les LGBT". En somme, en Russie, on est resté bloqués à l'époque où le sida n'était qu'une maladie d'homosexuels, c'est dernier le propageant de plus en plus grâce aux droits qu'on leur accorde à travers le monde. Pourtant, un graphique illustrant le rapport montre clairement qu'à Moscou le virus se propage plus fortement chez les hétérosexuels que chez les homosexuels ou les toxicomanes. L'information semble avoir été passée sous silence par les rapporteurs...
À l'inverse, et toujours selon la directrice adjointe du RISI, la Russie se fonde quant à elle sur "une idéologie conservatrice et des valeurs traditionnelles" et prend en compte "les particularités culturelles, historiques et psychologiques de la population russe". Pour les experts, il faut donc promouvoir "la famille monogame, hétérosexuelle, et fidèle" comme seul remède à l'épidémie, raison de plus pour justifier l'homophobie d'État n'en doutons pas.

...mais ce serait également la faute du préservatif

Au-delà de l'instrumentalisation politique et géopolitique qui est faite de la question du sida dans le pays, le rapport entretient une désinformation éhontée, aux répercutions criminelles. En effet, pour les experts, l'un des grands responsables de l'épidémie n'est autre que... le préservatif. Ainsi, Igor Beloborodov - sociologue ayant participé au rapport - le lobby des fabricants de préservatifs incitent les jeunes russes à entretenir des relations sexuelles de plus en plus tôt pour vendre un maximum de produits. Pis encore, "cinq contacts avec protection, à l’adolescence, sont équivalents à un contact non-protégé", explique le sociologue. On nage en plein délire !
En outre, le porno et les sextoys - perversion originaire de l'Occident - sont trop présents en Russie. Ils seraient encore une fois le fait de lobbyistes dont le but est de dépraver la population russe.

Un manque d'accès aux soins

Bien évidement, le rapport ne s'intéresse pas au manque criant d'accès aux soins de la population russe. De fait, seuls 20% des personnes contaminées ont accès à un trithérapie, comme le rappelle le médecin infectionniste Dimitri Trochtchanski :

Aujourd’hui, seulement 20% des séropositifs peuvent se payer les médicaments qui restent beaucoup trop chers, même si l’apparition des génériques à légèrement amélioré la situation. Mais la priorité de l’État est clairement ailleurs.

Le médecin met également en garde contre la portée aveuglante et dangereuse de ce rapport :

Il faut être réaliste, on ne va pas régler le problème à coup de valeurs traditionnelles. (Ce rapport) risque d’être utilisé comme base pour des décisions ultérieures des législateurs.

Si aucune mesure draconienne n'est prise pour enrayer rapidement l'épidémie, la Russie pourrait compter jusqu'à 6 millions de séropositifs en 2020.
Crédits photo : Emil Lendof/The Daily Beast