Visite de l'exposition Mauvais genre en compagnie du réalisateur-collectionneur Sébastien Lifshitz. Après les Rencontres d'Arles cet été, elle est visible à la galerie du Jour agnès b. à Paris.
Derrière la vitrine de la petite rue Quincampoix, une grande vidéo de Bambi est projetée contre le mur - "une image mouvement" dixit Sébastien Lifshitz. Elle donne accès à la vie de Bambi, aux loges, à ses déambulations dans la rue avec ses amies. Des images qu'elles ont tournées elles-mêmes dans les années 1950-60.
Elles avaient acheté une caméra Super 8. C'était une manière, j'imagine, de mieux s'observer en mouvement et éventuellement de perfectionner leur gestuelle et leur maintien du corps. Depuis l'extérieur de la galerie, les gens sont saisis par l'allure qu'elles ont, leur glamour.
Le reste de l'exposition n'est constitué que de petites photos encadrées de blanc. Elle est chapitrée en plusieurs séquences. La première, "L'apparition des fées", regroupe des images dont certaines remontent aux années 1880. Exposées sur une ligne droite, elles sont strictement séparées par le même espace, comme sur une frise chronologique. Sébastien Lifshitz commente.
Ils ont des attitudes affirmées. S'agit-il de costumes ou d'autre chose ? L'affirmation d'une identité ou d'une sexualité ? Toutes ces images, je les ai trouvées sans source; aux puces, dans les vide-greniers. Maintenant, les gens savent que je cherche. Il arrive donc qu'on me contacte pour m'en proposer.
Cela fait 20 ans que le réalisateur collectionne les photos, un peu au hasard. Il y en a 450 dans la galerie agnès b., il y en avait 550 à Arles, et en tout il y en a beaucoup plus. Aucune image n'est sourcée; seule l'année et le pays peuvent être généralement retrouvés : "Ces images sont en quelque sort des énigmes. On peut en tout cas imaginer que ces personnes n'appartiennent généralement pas au prolétariat car le maquillage coûtait cher."
De la bourgeoise un peu réactionnaire à la drag queen, l'exposition présente un large panel de genres féminins et masculins : "Jusqu'à tard, la question du travestissement a été combattue par la police; chez les femmes c'est différent, car la mode a beaucoup évolué, et elles se sont mises à porter des pantalons." L'image choisie pour porter l'exposition est en réalité toute petite, la taille d'un timbre. Les couleurs sont d'origine : on utilisait alors souvent la technique du rehaut de couleur entre les années 1910 et 1940 sur des tirages en noir et blanc.
Une ligne chronologique est consacrée à Bambi; Lifshtitz la connaît bien pour lui avoir consacré un film...
On peut la raconter depuis le début jusqu'à aujourd'hui et l'histoire est saisissante. Elle est une femme absolument extraordinaire. On la voit enseigner. Elle me disait : "Il fallait que je sois discrète, indétectable, donc j'ai mis un bandeau d'indienne dans les cheveux". Tu parles... Toutes les filles de sa classe voulaient lui ressembler.
Entre les images de Bambi et celles des anonymes, le contraste est saisissant. L'impression de percer des secrets disparaît et laisse place à l'admiration.
Ces images sont privées, voire clandestines. La plupart du temps, elles ont été détruites car elles revêtaient un caractère immoral pour l'époque. Ce sont des images éparpillées à travers le monde. En les rassemblant, j'ai essayé de construire un grand récit et une mémoire.
Ce samedi 10 décembre, Bambi sera à la galerie du Jour agnès b. à partir de 17h avec Sébastien Lifshitz pour une lecture de son autobiographie. Ce sera l'occasion de retrouver les deux publications qui entourent l'exposition :
Ce mercedi 7 décembre, Sébastien Lifshitz présente ses films (dont Les Invisibles, Les Vies de Thérèse) dans une rencontre animée par Romain Charbon.
