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cinémaAlex Ross Perry, réalisateur de Her Smell : "La scène grunge était très queerfriendly"

Par Romain Burrel le 17/07/2019
Alex Ross Perry

Dans "Her Smell", Alex Ross Perry filme un groupe de grunge féminin en pleine déroute dans les années 90. Toute ressemblance avec une certaine Courtney Love n'est pas fortuite. Quoi qu'en dise son réalisateur...

Pour raconter le grunge au féminin, le réalisateur new-yorkais Alex Ross Perry a inventé She Something, groupe siphonné des années 90 en pleine descente de speed et au bord de l'implosion. 

Dans le rôle principal de ce faux biopic, Elisabeth Moss, campe une sorte de Courtney Love hors de contrôle, junky et parano. L’actrice, décidément passionnante (la star de la série « The Handmaid's Tale : La Servante écarlate », c’est elle), livre ici une performance furieuse et anti-glamour.

En arrière plan, le film est peuplé de personnages de musiciennes lesbiennes. Rencontre avec le cinéaste qui livre en passant quelques clés sur ce film fiévreux.

TÊTU : Quel groupe aviez-vous en tête quand vous avez écrit ce film ?

Plusieurs, en vérité. Pour qu’on y croit, il fallait répondre à plusieurs questions : combien de disques ont-elles vendu ? Sont-elles reconnues ou sont-elles des superstars ? Depuis combien de temps sont-elles dans le groupe ? En tant que groupe de filles à cette époque, sont-elles politiques ? De quoi parlent leurs chansons ? On a du réfléchir à tout ça.

Et puis il a fallu leur imaginer un son, un son qui lorsqu’on l’entend, doit lui aussi nous raconter une histoire. She Something est une sorte de croisement entre les Breeders, Elastica, avec une petite touche de Veronica Salt. C’est-à-dire des groupes qui ont eu un énorme hit. Mais à part les Breeders, la plupart de ces formations sont parties en torche et se sont séparées après un tube ou un album à succès.

Vous avez fait vos devoirs ? Vous avez étudié cette période ?

J’ai grandi à cette époque donc je n’ai pas eu beaucoup de devoirs à faire (rires) Mon éternel désir d’apprendre m’a amené à vouloir en savoir plus. Il y a tellement de groupes dont je n’avais jamais entendu parler ! Alors j’ai lu des livres sur cette époque. Et ça a été vraiment enrichissant car dans un bouquin, on ne parle plus de musique, on raconte une histoire. Et l’histoire d’un groupe, ce n’est plus trois disques mais trois personnalités.

« Il existe très peu de bons biopics... »

La performance d’ Elisabeth Moss semble très inspirée par Courtney Love, l’ex-chanteuse du groupe Hole. Mais vous ne la citez pas dans vos inspirations…

25 ans plus tard, c’est probablement le seul nom dont les gens se souviennent. La plupart des gens connaissent à peine les noms des membres de Breeders. Aucune de ces musiciennes n'est devenue une célébrité comme Courtney Love et son attitude est certainement devenue la plus emblématique de cette période. Dans l’écriture et la réalisation du film, j’étais totalement libre. Elisabeth aussi. A-t-elle a voulu apporter cette touche à son personnage ? C’est à elle qu’il faudrait la question ! Les groupes que j’avais en tête étaient bien moins connus que Hole dont l’histoire est très spécifique. Il y a tellement de gens qui sont morts au sein et autour de ce groupe… Si j’avais voulu raconter ça, ça aurait été un tout autre film.

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Justement, pourquoi ne pas avoir écrit un biopic ? Rocketman, Bohemian Rhapsody… c’est un format très à la mode en ce moment...

Parce que je ne vois pas l’intérêt ! Il n'y a personne dont la vie soit plus intéressante que ce que je peux écrire… (rires) Et puis je pense qu’il existe très peu de bons biopics. A part Lisztomania de Ken Russell : un biopic sur un compositeur mort il y a 300 ans mais dont tu fais une oeuvre totalement contemporaine et sexuelle. C’est une grande idée. Mais sinon, la plupart des cinéastes ne parviendront jamais à prendre autant de liberté vis-à-vis de leur matériel de base.

Le fait qu’il s’agisse d’un groupe de filles implique-t-il selon vous une dynamique particulière ?

Beaucoup de ces filles devaient prouver qu’elles étaient aussi bonnes que la plupart des autres groupes de mecs : être une aussi bonne guitariste, être une aussi bonne bassiste ou compositrice…. Parce qu’on les mettait dans une case. Les critiques se disaient :  « Ce n’est pas du rock, c’est du rock de filles. » Dans le film, j’ai fait en sorte qu’à aucun moment cela soit abordé. On y fait mention qu’une seule fois dans tout le film.

Elles construisent un groupe, créent un momentum puis se séparent sous le poids de la pression et du succès. J’aurais pu raconter la même histoire en m’inspirant d’un groupe de garçons comme Jawbreaker, ça aurait été la même chose.

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On voit le groupe backstage, en studio ou sur scène. Il y a une très forte sensation de claustrophobie dans le film. C’était un sentiment voulu ?

Totalement. Je voulais que le film se ramasse sur quelques endroits très spécifique. Car pour raconter la vie d’un groupe de rock, il n’y a pas besoin de plus que ça : les coulisses, les studios… Dès qu’on s’écarte de ces lieux, on tombe dans les clichés du genre. Le tour bus ? Vu 100 fois au cinéma. La chambre d’hôtel ? Pareil. La séance d’autographes dehors avec les fans ? Je suis fatigué de voir ces scènes et je n’ai pas envie de tenter de les réinventer. Si elles fonctionnent pour les autres films, c’est génial.

Moi, j’ai choisi 4 endroits que j’ai voulu faire vivre à l’infini. Parce que selon moi, c’est plus réaliste ainsi. Dans le film, il y a une scène de 25 minutes en studio durant laquelle aucune musique ne naît mais où le groupe se sépare. J’aurais pu filmer une scène de trois minutes montrant l’enregistrement de leur plus grand hit comme le font tous les biopics. Mais c’est un mensonge. Les musiciens passent des mois en studio et la plupart du temps rien ne s'y passe. Montrer le contraire, c’est malhonnête. C’est un fantasme. Être en studio pendant deux mois, ça n’a rien de magique.

« Dans la plupart des groupes qui ont marché à l’époque, il y avait des tas de musiciennes lesbiennes. Si vous montiez un groupe de filles dans les 90s, il y avait forcément une ou deux musiciennes qui étaient queers. »

C’est votre troisième film avec Elisabeth Moss. Elle rencontre un énorme succès grâce à son rôle dans la série de Hulu "La Servante Ecarlate", est-ce que cela a changé vos rapports ?

Elle avait déjà joué dans de grands shows avant cela ("A La Maison Blanche", "Mad Men", ndr). Donc non, ça n’a pas affecté notre relation. Il y a beaucoup de confiance et de liberté de ma part. Je sais que je peux écrire les dialogues les plus dingues et qu’elle sera toujours à la hauteur. Et Elisabeth sait que je parviendrai toujours à créer pour elle un environnement sur le tournage qui lui permettra d’être libre.

C’est notre troisième film ensemble, ce qui veut dire que c’est aussi son troisième film avec le directeur de la photographie, la costumière, le maquilleur…  Le niveau de confort et de complicité n’implique pas qu’elle et moi mais toute une équipe. On se connait depuis des années. On peut allez plus loin que ce qu’on a déjà réussi ensemble.

Il y a plusieurs musiciennes lesbiennes dans votre film. C’est une façon de rendre hommage des personnes en particulier ? Patty Schemel, par exemple, la batteuse de Hole est lesbienne... 

Dans la plupart des groupes qui ont marché à l’époque, il y avait des tas de musiciennes lesbiennes. Si vous montiez un groupe de filles dans les 90s, il y avait forcément une ou deux musiciennes qui étaient queers. Et parfois même, des groupes plus underground étaient constitués à 100% de filles lesbiennes. Des groupes de la scène punk de la côte ouest ou de Washington DC.

Ces scènes étaient très queer friendly. C’est juste de l’honnêteté de ma part de montrer que ces filles existaient et de les dépeindre sans nécessairement mettre des mots sur leurs relations. Dans le film, on apprend que le personnage de Mary est dans une relation stable avec une femme sans en parler plus que ça. Parfois même, ces filles sortaient ensemble puis elles se séparaient. La dynamique que cela impliquait sur leur groupe était fascinante !

 

Her Smell d’Alex Ross Perry avec Elisabeth Moss. 2 h 14. Actuellement en salles.