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Marche des fiertésDroits LGBT+ : mais où est passée la gauche française ?

Par Marie-Pierre Bourgeois le 12/02/2021
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Depuis l'arrivée de la majorité LREM à l'Assemblée nationale en 2017, la gauche paraît discrète sur les sujets de l'égalité des droits. Démobilisation, absence de figures fortes, sujets moins consensuels à défendre... Tentative d'explications.

Il n’y a pas d’amour, il n’y a que des preuves d’amour. Dépénalisation de l’homosexualité, PACS, mariage pour tous et adoption… A ce compte-là, le Parti socialiste a tout gagné. Du moins, jusqu’en 2017 et la victoire d’Emmanuel Macron. Car depuis, c’est morne plaine. Certes, la gauche n’est plus au pouvoir mais on peine à voir dans l’opposition l’ombre du début d’une proposition sur les questions LGBT+. 

J’essaie bien de voir le verre à moitié plein, de me dire qu’on est toujours du bon côté de l’Histoire et qu’on reprendra à nouveau le flambeau de nos luttes le jour où nous reviendrons au pouvoir. Mais honnêtement, c’est dur d’y croire encore. Au PS, ils sont passés à autre chose” soupire un collaborateur parlementaire à l’Assemblée nationale.

En effet, force est de constater que la PMA pour toutes ou encore la lutte contre les "thérapies de conversion" sont portés par des élus LREM. Après le suicide d'Avril, jeune lycéenne transgenre qui s'est donnée la mort début janvier à Lille, c'est une députée Modem qui a fait une proposition pour une meilleure reconnaissance des personnes trans. 

Une impression "fausse" ?

Pourtant, cette impression tenace que la gauche ne s'empare pas des sujets LGBT+, serait fausse, juge-t-on sur les bancs des ténors de l’opposition. “Non, nous n’avons en rien renoncé à notre volonté de lutter contre les injustices” avance ainsi le porte-parole du groupe socialiste Boris Vallaud. Et de citer un exemple : celui de son collègue Hervé Saulignac dans l’hémicycle.  Ce dernier s’est battu sur le don du sang lors du projet de loi bioéthique. Le député de l’Ardèche est ainsi parvenu à faire supprimer la condition d’abstinence sexuelle de quatre mois pour les homosexuels qui souhaitent donner leur sang. 

Sans surprise, le PS a aussi voté à l’unanimité en faveur de la PMA, une promesse de campagne de François Hollande puis d’Emmanuel Macron. Ce qui n’a pas empêché une quinzaine de députés LaRem de voter contre son adoption, à l’instar de la grande majorité des députés LR. “Nous continuons nous-même à porter ces combats, notamment quand cette majorité autoproclamée progressiste se retrouve avec la droite dure” ne manque évidemment pas de souligner Boris Vallaud.

Un groupe d'étude à l'Assemblée

Le constat laisse de marbre Bastien Lachaud, député France insoumise de Seine-Saint-Denis. “On cherche un peu les socialistes sur les sujets LBGT+” juge-t-il. Tout juste élu parlementaire, ce professeur d’histoire, lui-même ancien membre du PS, décide de s’emparer du sujet à l’Assemblée nationale en 2017. “Quand je suis arrivée, j’ai constaté qu’aucun groupe d’étude n’existait sur les questions LGBT. On en trouve pourtant qui portent sur la chasse ou le vin” fait remarquer l’élu. “ Je me suis dit qu’il fallait combler ce vide. La France insoumise avait un travail programmatique important sur ces questions pendant la présidentielle. J’ai eu envie de continuer.”

En presque quatre ans de mandature, le groupe d’étude “discriminations et LGBTQI-phobies dans le monde” a planché sur la situation des personnes LGBT en Tchétchénie ou encore les mutilations subies par les personnes intersexuées. Des sujets importants qui ne semblent guère passionner les députés socialistes. Le groupe a beau compter sur ses bancs des élus LaRem ou LR, nulle trace à l’horizon du parti à la rose.

Autre fait d’arme de la France insoumise à l’Assemblée nationale : une “mission flash” sur les thérapies de conversion, avec un objectif : mieux connaître l’ampleur de ces pratiques qui visent à transformer l’orientation sexuelle ou l’identité de genre d’une personne. Côté communiste (NDLR Il n’existe pas de groupe EELV à l’Assemblée nationale), aucune proposition de loi spécifique n'a été déposée sur ces sujets depuis l’élection d’Emmanuel Macron. 

L'effet "Hollande"

Difficile, à l’aune de ce maigre bilan, d’échapper au sentiment que les sujets LGBT sont laissés de côté par les gauches.  Premier mis en cause : François Hollande. “On paie un certain nombre de ratés sur le sujet, comme sa promesse non tenue d’ouvrir la PMA” aux couples de lesbiennes et aux femmes seules, déplore ainsi Boris Vallaud.

“Le vote du mariage pour tous a été considéré par certains comme un solde de tout compte. Nous n’avons plus l’entrain que nous possédions en 2012” reconnaît également, lucide, Lenny Nicollet, le président d’Homosexualité et Socialisme qui porte la voix des questions LGBT au PS. “Le mariage a été un aboutissement pour toute la gauche. C’était à la fois très clivant par rapport à la droite et profondément égalitaire. C’est vrai que ce récit, porteur politiquement, est derrière nous” continue-t-il.

Pas question pourtant d’y voir la main d’un quelconque désengagement sur les enjeux LGBT. Le Congrès du PS a beau avoir été annulé pour cause de Covid en décembre dernier, son premier secrétaire, Olivier Faure a signé le manifeste annuel d’Homosexualité et Socialisme. Ce texte, qui reconnaît que “les socialistes ont déçu”, appelle notamment à une plus grande lutte contre les discriminations et une meilleure prise en charge des personnes trans. Comme une preuve que la gauche n’a pas renoncé à faire avancer ces combats.

Des combats moins fédérateurs ?

“Réussir à faire signer cette motion, ça légitime forcément ce courant mais ça n’aboutit pas sur des avancées s’il n’y a pas de vraie volonté politique” nuance Hugo Bouvard, auteur d’une thèse sur la représentation des gays et des lesbiennes en politique en France et aux Etats-Unis. "Il ne faut pas oublier que la victoire du mariage pour tous, c’est dix ans de mobilisation du milieu associatif sur une cause qui met tout le monde d’accord. C’est ça qui pousse François Hollande à s’en emparer. Peut-être que le fond du problème est aujourd’hui que les causes LGBT sont moins mobilisatrices” analyse le sociologue et historien. 

Un point de vue que partage Jean-Luc Romero. “Il y a d’autres sujets qui vont arriver sur la table mais clairement, ils ne font pas consensus dans la communauté et encore moins dans les associations. Prenez la GPA. Personne n’est d’accord !” estime ainsi l’adjoint chargé des droits humains, de l’intégration et de la lutte contre les discriminations à la maire de Paris.

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“Je ne suis pas sûr que la question soit forcément celle de la mobilisation des associations” nuance Bastien Lachaud. “Les sujets qui restent à résoudre sont des questions de niche même si je n’aime pas beaucoup cette expression. Ils ne sont pas forcément grand public, beaucoup plus complexes à expliquer, comme la transidentité par exemple”.

Intersectionnalité des luttes

Mais on peut avancer très vite quand il y a une profonde ambition politique. Rédiger des manuels scolaires inclusifs pour lutter contre l’homophobie, former les professeurs de l’Education nationale à l’accueil des élèves transgenres, interdire les thérapies de conversion... Tout cela peut se faire en quelques années et changer profondément les choses” juge le parlementaire de Seine-Saint-Denis. “Regardez, j’ai réussi à faire reconnaître à l’un des rapporteurs du projet de loi bioéthique (NDLR Le député LAREM Jean-François Eliaou) qu’il existait des mutilations sur les enfants intersexes !” insiste-t-il.

Le porte-parole du PS, Boris Vallaud, lui, voit les choses en très grand. Il cite le film Pride, qui raconte l’histoire de militants LGBT qui vont soutenir des ouvriers en lutte contre la fermeture de leur mine dans l’Angleterre sinistrée de Margaret Thatcher. “Pride montre le choc de ces rencontres mais aussi une vraie solidarité dans la convergence des luttes. Et puis quelques années plus tard, ces anciens mineurs sont venus soutenir ces mêmes militants et leurs revendications lors de la Gay pride. La promesse d’égalité, de justice et d’émancipation, la gauche doit la porter pour tous.”. 

Un point de vue qu’est loin de partager Alice Coffin. “Au Parti socialiste, ils ont une vision très Troisième République, très excluante. Ils se disent que les discours sur les minorités mettent en danger la République, d’où cette vision qui vise à inclure les sujets LGBT+ dans un ensemble plus grand” estime l’élue EELV au Conseil de Paris.

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Pas de figure forte

“Ce que je vois, moi, c’est que les politiques sont un peu ignorants de ces questions. Et que les choses n’avancent que quand elles sont incarnées par quelqu’un qui les vit dans sa chair. Quand la député LaRem Laurence Vanceunebrock-Mialon se dit ouvertement lesbienne, c’est un levier de changement très puissant” continue l’autrice du Génie lesbien (Editions Grasset). Est-ce que c’est de cela que manquerait la gauche aujourd’hui, une personnalité forte pour porter les sujets LGBT+ ? 

L’argument en laisse certains sceptiques. “Bertrand Delanoë a toujours fait partie de ceux qui ont dit ‘je suis homosexuel mais je refuse d’en faire un étendard’. Il n’a jamais fait avancer aucun de nos sujets” juge Lenny Nicollet, le président d’Homosexualité et socialisme.

Jean-Luc Romero, le fondateur d’Elus locaux contre le sida, est encore plus cash : "ça n'apporterait strictement rien de plus.” Certains socialistes soulignent également que Christiane Taubira, icône du mariage pour tous, a porté le sujet en s’appuyant sur sa propre expérience de la discrimination raciale, elle qui n’avait pas d’expertise particulière sur les questions LGBT+ avant de porter la loi dans l’hémicycle.

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“Oui, c’est évidemment un atout d’avoir des personnalités de gauche qui portent ces sujets, il faut le reconnaître” insiste de son côté le député FI Bastien Lachaud. “”Mais il ne faut pas dédouaner les médias qui ne popularisent pas toujours le travail et les propositions que porte aujourd’hui une partie de la gauche sur ces sujets" tance-t-il. 

La présidentielle dans le viseur

A un an de la présidentielle, les militants politiques se mettent d’ailleurs en branle pour convaincre les états-majors de la mise à l’agenda de ces sujets sur les futurs programmes. Au PS, la priorité est très claire : la PMA, qui devrait pourtant être votée et publiée au Journal Officiel en 2021, selon le ministre de la Santé. “Même si je reste optimiste en pensant qu’elle sera bien votée pendant le quinquennat Macron, je doute qu’elle soit effective avant mai 2022. Et puis, ce texte n’est pas très bon, il laisse de côté les personnes trans” estime Lenny Nicollet, le patron d’Homosexualité et Socialisme.

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Sur les bancs de la France insoumise, on préfère insister sur le #Metoogay. “Nous voulons travailler sur des propositions pour une sexualité inclusive, bienveillante et éclairée pour sortir de la masculinité toxique. Et puis avancer sur le droit à disposer de son corps, tout particulièrement pour les personnes trans” explique Fabrice Torro, co-animateur de l’équipe droits nouveaux-LGBTI du mouvement de Jean-Luc Mélenchon.

Côté communiste, la priorité est claire : celle de la lutte contre toutes les précarités. “L’accès à l’emploi sans discrimination, pouvoir se soigner en s’appuyant sur un personnel de santé formé, éviter l’isolement matériel et psychologique… Tout cela sera clairement la priorité de nos réflexions” avance Gabriel Laumosne, responsable national au PC des droits des personnes LGBTI.

Enfin, EELV joue à l’attrape-tout en embrassant l’ensemble de ces propositions. “Nous souhaitons jouer sur tous les leviers pour améliorer la situation : cela passe évidemment par des mesures d’égalité, mais aussi par de la pédagogie” avance-t-on à la Commission LGBT du parti. Signe de temps, la GPA qui divise chaque parti en interne n’est pas sur l’établi des programmes. L’arc-en-ciel des gauches pourrait mal supporter les orages.

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