politiqueFace à la drogue, le docteur Véran tente d'agir malgré le flic Darmanin

Par Nicolas Scheffer le 24/06/2021
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Deux lignes face à la drogue s'opposent au gouvernement. Pendant que le ministre de l'Intérieur Gérald Darmanin mène sa guerre au trafic sur l'air de "la drogue, c'est de la merde", son collègue de la Santé Olivier Véran prône, dans une interview accordée à TÊTU, une politique axée sur la réduction des risques.

Le ministre le reconnaît lui même. Avec le chemsex, "il y a des morts". "Les indicateurs sont extrêmement inquiétants. 10 à 15% des HSH (hommes qui ont des relations sexuelles avec d'autres hommes, ndlr) disent avoir pratiqué le sexe sous l'emprise de stupéfiants", poursuit-il. Alors que les associations alertent sur un phénomène grandissant, qui rappelle à certains militants le début de l'épidémie de VIH-sida, Olivier Véran plaide dans une longue interview qu'il a accordée à TÊTU pour notre numéro de l'été 2021, pour une politique de réduction des risques. Une position qui tranche avec les coups de butoir sécuritaires de son collègue de droite, le ministre de l'Intérieur, Gérald Darmanin, sur le sujet des drogues.

>> L'interview complète du ministre est à lire ici et dans le TÊTU de l'été <<

Au détour d'une question sur le chemsex, le ministre de la Santé rappelle ainsi que "la réduction des risques, c’est la seule méthode de santé qui vaille", ajoutant : "Plus les gens sont éloignés du système de soin, plus il faut redoubler d’efforts." S'il ne contredit pas ouvertement Gérald Darmanin, il est aisé de lire entre les lignes quand Olivier Véran explique : "On attend de l’État qu’il apporte des solutions à des pratiques illégales et souterraines, mais ça se saurait s’il suffisait de dire “arrêtez” aux usagers de drogue. Ça ne fonctionne pas comme ça". Et de remarquer : "Dans les pays où la peine de mort est appliquée pour les usages de stupéfiants, il y a toujours des consommateurs". En clair, la répression même absolue est inefficace, CQFD.

Salles de conso vs "guerre totale"

Du côté des actes, le ministre de la Santé vante le développement des salles de consommation à moindre risque (les malnommées "salles de shoot") à Lille, Bordeaux ou Marseille. Sur le chemsex, le ministère a financé une étude en 2019, un livret d'information a été édité et un appel à projets a été lancé à Marseille, Bordeaux et Paris.

"La drogue ne doit pas être accompagnée mais combattue"

Une approche à l'inverse de celle de Gérald Darmanin, qui n'aborde le sujet que sous l'angle du trafic. Depuis quelques mois, le ministre de l'Intérieur ne cesse ainsi de répéter sur les plateaux télé le slogan d'un spot anti-drogue des années 80 : "La drogue, c'est de la merde". Dans un courrier daté du 21 juin et dévoilé par 20minutes via l'AFP, le ministre, candidat aux élections départementales dans le Nord, fait part au préfet du Nord de sa "ferme opposition" à l’ouverture prochaine d’une salle de consommation à moindre risque (SCMR) à Lille. Il y prévient le préfet que l’État n’accordera aucun soutien au projet de la maire socialiste, assénant : "La drogue ne doit pas être accompagnée mais combattue".

"La guerre que nous menons contre les trafics est totale. Pour la première fois, nous nous attaquons aux deux bouts de la chaîne. Aux dealers bien sûr, avec plus de 6.000 trafiquants arrêtés depuis le début de l'année. Mais aussi en nous attaquant aux consommateurs, avec plus de 70.000 amendes forfaitaires délictuelles dressées depuis le 1er septembre", plastronnait encore, début mai, Gérald Darmanin dans Le Figaro.

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Pourtant, les associations n'ont de cesse de répéter que la logique répressive éloigne les usagers de drogue des parcours de soin. Olivier Véran lui-même, dès 2015, soulignait dans une tribune à Libération que "des années 60 aux années 90, cette politique, uniquement répressive, a eu des effets désastreux en matière de santé publique". Et de déplorer : "Le simple usage des drogues relève encore du pénal, et fait toujours de l’usager un délinquant." Aujourd'hui en position de mettre en oeuvre une politique de santé efficace face à la drogue, il doit le faire aux côtés d'un flic anti-drogue calquant directement sa politique sur celle des années 80. Encore ce fameux "en même temps"…

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L'association Aides a mis en place un numéro d'urgence lié au chemsex : le 01.77.93.97.77. Elle est également joignable par SMS sur WhatsApp au 07.62.93.22.29.

>> L'interview d'Olivier Véran est à lire en intégralité dans le numéro été 2021 de TÊTU. Pour savoir où trouver votre numéro, vous pouvez suivre ce lien.

Crédit photo : capture d'écran LCI