PrideMondial 2018 vs Pride : deux poids, deux mesures pour la "décadence"

Par Rozenn Le Carboulec le 14/07/2018
Mondial

Le 1er juillet 2018, lendemain de la Marche des fiertés, Nadine Morano s'est insurgée dans un tweet contre la « pauvre France décadente », en publiant une photo de deux hommes dénudés à une Pride. Des hommes nus, il y en avait également quelques-uns dans la rue le soir de la qualification de la France pour la finale de la Coupe du monde. Mais ceux-là n'ont pas été qualifiés de « décadents », bizarrement.

Le lendemain de la demi-finale de la Coupe du monde, et de cette belle qualification de la France face à la Belgique, on attendait un tweet de Nadine Morano. Pas un « Butttttt bravo Umtiti !!! », ni une photo d'elle arborant fièrement un tee-shirt avec un drapeau bleu-blanc-rouge à paillettes, non. Ceux-là, on les a eus. On espérait plutôt une remarque sur notre « pauvre France décadente », demandant un peu de « respect pour les citoyens qui n’ont pas à subir ces exhibitions ». Mais pas un mot. Rien du tout.

Alors on était plutôt déçu.e.s, parce que des exhibitions d'hommes, le soir de la victoire, on peut dire qu'il y en a eu quelques-unes.

« Ce 'monsieur tout nu' du soir de France-Belgique »

Le Parisien s'est fait un plaisir d'en immortaliser certaines. Il y avait cet homme « au guidon de sa moto, seulement vêtu d'un pantalon et d'un drapeau bleu-blanc-rouge », et surtout « un homme nu dansant devant ses copains hilares, avant de se jeter sur eux pour se faire porter dans la rue ».
En quelques minutes de trajet à vélo, j'ai moi-même eu la surprise de me retrouver face à plusieurs supporters dénudés, dont un jeune homme qui arrêtait toutes les voitures, puis baissait son pantalon pour leur montrer ses fesses (et plus si affinités).
Un internaute en a également filmé un autre, grimpant nu sur un véhicule de police, allant jusqu'à frotter son sexe sur le pare-brise.
Mondial 2018 vs Pride : deux poids, deux mesures pour la "décadence"
Des hommes gays dénudés, marchant pour plus d'acceptation et de tolérance, participent donc à la « décadence » de la France. Pas des hétéros célébrant la victoire des Bleus en exhibant leurs parties intimes en pleine rue. « Respect pour notre drapeau ! », madame Morano !
Surtout que, comme le rappelle très justement Le Monde, l'objet du blâme - tout comme un tas d'autres photos brandies hors contexte - ne date pas de la Marche des fiertés de 2018, mais de celle de 2012 : « L’hebdomadaire d’extrême droite Minute avait fait de ce cliché sa 'une', avant d’être condamné pour homophobie en 2014 », ajoute le journal. A la vue de ce tweet du 1er juillet dernier, plusieurs associations ont d'ailleurs porté plainte contre Nadine Morano pour injure homophobe et transphobe.
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Non content d'avoir pu immortaliser cette « scène folle » d'un supporter se jetant sur ses semblables les fesses à l'air, Le Parisien s'est même payé le luxe de retrouver « ce 'monsieur tout nu' du soir de France-Belgique », pour lui faire raconter « ce fait de gloire ». Depuis, le « monsieur-tout-nu » en question est appelé « le capitaine » par ses amis, rapporte le média (même s'il a toutefois préféré changer son prénom dans l'article, faut pas déconner).

« Un rituel qui permet d'affirmer son hétérosexualité »

Comment se retrouve-t-on à présenter ces fans de foot dénudés comme des héros, tandis que l'on stigmatise les homos pour des comportements similaires ?
« Qu'est-ce qui gêne dans la nudité ? Ce n'est pas la nudité en soi, c'est ce qu'on y projette : d'un côté, la 'décadence', de l'autre, l'effervescence collective », commente auprès de TÊTU Philippe Liotard, enseignant-chercheur à l'université Claude Bernard Lyon 1, qui travaille notamment sur les questions liées aux pratiques sportives, la construction du genre et la socialisation des corps. Il ajoute :

« L'exhibition fait partie du folklore masculin dans le sport. Celui qui s'exhibe fait rire le groupe, c'est quelqu'un qui ose. Et l'on est aussi dans un rituel qui permet d'affirmer son hétérosexualité, sa virilité. Quand j'étais étudiant en Staps (sciences et techniques des activités physiques et sportives), il y avait des étudiants hétéros à poil à chaque soirée ! »

Christophe Colera, docteur en sociologie et auteur de La nudité, pratiques et significations (éditions du Cygne), commente aussi ces comportements auprès de TÊTU : « Il faut bien voir que le sport est un espace de culte du corps jeune et en bonne santé. Les supporters y voient donc une occasion d'expression de la liberté corporelle à travers la nudité. Le phénomène des streakers allait aussi de pair avec cet imaginaire là ». Les streakers ? Mais si, vous savez, ces hommes qui gambadent nus en public, principalement lors d'événements sportifs.
Le sociologue y va également de sa petite mise en perspective historique :

« La communion aux fêtes païennes du foot sont surtout des occasions de célébrations de la virilité (les cris graves, la valorisation de la force, la consommation de bière). Or on sait que depuis les origines de l'homo sapiens, les mâles usent de la nudité pour l'affirmation de leur puissance. Le sport, de ce point de vue, est le prolongement de l'imaginaire viril du combat. »

Et si, ce dimanche 15 juillet, on affirmait toutes et tous notre homosexualité, notre transidentité, notre bisexualité, notre non-binarité, dans l'amour et la paix ? Amis hétéros, vous n'avez pas le monopole de la « gloire » ! Et si on pavoisait avec vous en cas de victoire, sans risquer, pour une fois, de se faire insulter ? Soyons, nous aussi, célébré.e.s dans des « scènes folles ». Nadine Morano, avec nous dans la « décadence » du football ?
 
Crédit photo : capture Le Parisien TV.