photographiePhotographie : Hannibal Volkoff explore le "communisme sexuel", la société et le désir

Par Julie Baret le 29/11/2017
Hannibal Volkoff communisme sexuel

Les œuvres de ce photographe parisien originaire de Nantes fonctionnent comme un manifeste politico-érotique sur la façon de voir le monde, d'affronter la norme, et de baiser.

 
“Je me suis lancé dans la série Garçon Sauvage à 20 ans, comme on défait sa braguette”, écrivait-il sur son site. Hannibal Volkoff en a presque 10 de plus que ça, mais il continue à photographier, entre autres des jeunes hommes. Des twinks “qui ont jusqu'à 25 ans”, nous dit-il , “parce qu'on n'est pas encore vraiment adulte à cet âge-là”.
L'insouciance, les fêtes, les excès... Le photographe s'acharne à capter les modes d'expression qu’offre la jeunesse en réponse aux normes sociétales.
 

 
“Lorsqu'une photo est parfaite, j'ai l'impression qu'une vie se perd. J'ai besoin de quelque chose d'un peu sale”, affirme sans pudeur celui qui rechigne à se présenter comme un “photographe professionnel” parce qu'il déteste la technique, à laquelle il préfère nettement les erreurs et imperfections d'un objectif. “J'appelle ça l'inconscient d'un appareil photo”.
 

Polémiques

Hannibal nous sert le thé dans un appartement baroque, parlant drogues de synthèse et soirées queer sur un fond de jazz. “Ça me rappelle cette période où j'étais un peu mondain”. L'homme a la fibre catholique, et il admet que s'il aime provoquer, c'est peut-être un peu pour ça. Provoquer des réactions pour se construire soi-même. “Je fais partie de ces gens qui aiment les polémiques”.
 

 
Sur son site internet, une note d'humour : “Les images que vous souhaitez consulter comportent des éléments susceptibles de pervertir les âmes prudes.” Conscient de son potentiel subversif de ses photos ? “Maintenant qu'on assiste à un retour du puritanisme, oui. Dans ce contexte de surveillance globalisé, photographier la jeunesse dans son rapport au contrôle de la société a quelque chose de profondément subversif”. Par ses sorties nocturnes, il a voulu “raconter ce qu’il se passait à Paris pendant les années 2010”, non pas dans une dynamique documentaire, mais plutôt comme un conte, “avec sa faune, avec sa dramaturgie, ses craintes et surtout ses désirs”.
 

 
Un livre, Nous naissons de partout, publié l’année dernière aux Éditions Les Presses littéraires, rassemble et étudie ces rituels adolescents, ou plutôt ces “gestes cons”, “cette bêtise gratuite propre à l'adolescence”. Plan à trois, copine hétéro qui déflore un pote homo, pipi sauvage en pleine manif, ami bourré qui essaie de rentrer tout nu dans le tiroir d'une commode... “J'aime cette inutilité à un âge où on nous forme à avoir un corps performant, qui doit rentrer dans les normes, celles des études puis du travail... chercher à ne pas être à sa place”. Et le cracher au monde. Car “tout le monde baise, mais le fait d'accepter de se montrer dans des actes intimes, c'est ça - d'après ce qu'on m'a dit - qui questionne le plus. On me demande si c'est simulé, si les gens ne sont pas gênés... C'est cette idée d'affirmation qui m'importe, le fait de se montrer dans la société”. L'envie de dire aussi “nous construisons notre propre réalité”.
 

 

Corps à corps

De ces photos sexuelles, Hannibal Volkoff a évolué vers les photos de manifestations. Un prolongement logique, sur “comment utiliser son corps comme zone de résistance”. Il a d’ailleurs le souvenir d’un slogan aperçu lors d’une manif LGBT : “Nos corps sont des ZAD [zones à défendre, ndlr].” En quête de cette même énergie collective qui l'avait nourri aux soirées Flash Cocotte ou Club Sandwich, qui mêlaient dandys, bébés rockeurs, steampunks, néo kitschs, et queer en tout genres... et qu'il trouve essoufflée.
 

 
Dans toute cette spontanéité, Hannibal admet malgré tout une part de calcul : “Je voulais me positionner parmi les artistes homoérotiques. Je ne voulais pas appartenir à ce courant qui offre aux jeunes ce qui les conforte, les rassure. Moi je veux qu'on sente la sueur.” Et au-delà la portée sociale de son œuvre.

Mon premier c'est désir, mon deuxième du plaisir

Je pense qu'il existe une véritable lutte des classes sexuelles, dans laquelle on est tous perdants car on finira tous par vieillir : à ne plus rentrer dans le cadre du marché sexuel. Sans compter les handicapés, les obèses, certaines minorités ethniques... Il y a 10 000 critères pour être frustré sexuellement.
Comment développer une société où il n'y aurait pas de perdants ? Contre la notion de désir, qui est toujours selon moi influencée par la société ou liée au consumérisme, je défend l'idée d'expérience, de se confronter à son plaisir, au-delà du désir : ce n'est pas parce que je ne désire pas une femme que je ne peux pas éprouver du plaisir à coucher avec elle. En mai 68, la notion de désir était le mot d'ordre révolutionnaire, mais de plus en plus on a entendu ce mot pour se censurer : "non je ne désire pas coucher avec un homme", "je n'aime pas le sado-masochisme car ce n'est pas mon désir"... Le harcèlement de rue montre encore comme le désir est devenu oppressif. Je pense qu'il faut vraiment questionner le rapport de la société au désir. C'est ça le communisme sexuel.

 

 
Focalisé sur la jeunesse parce qu’elle serait plus apte à plonger dans l’inconnu, et sur le corps homosexuel qu’il croyait seul à remettre en cause les normes qui l’entourent, Hannibal Volkoff s’interroge désormais sur la réalité des orientations sexuelles au profit d’un univers qui envoie voler en éclat ces discours. Le sujet de photographie a mûri lui aussi : l'artiste se déplace vers la tranche des trentenaires, dans le but de créer un univers représentant tous les âges de la vie. Plusieurs photographies des soirées de Mocchia di Coggiola aussi, et leurs look radicaux et sophistiqués tout droit inspirés des toilettes des années folles, qui seront réunies dans un prochain ouvrage, en préparation pour l'année prochaine.
Retrouvez le travail de Hannibal Volkoff sur son site officiel ou sur Instagram.
 

 
Couverture : Rémi s'allumant une cigarette, 2011 ©Hannibal Volkoff
 
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