SantéPourquoi les homos ont le droit de donner leur plasma, leur moelle et leur sperme… mais pas leur sang ?

Par Jérémy Patinier le 14/06/2017
don du sang

C’est, selon de nombreuses personnes et associations, l’une des « dernières discriminations » en France : les homosexuels (ou plus précisément les HSH : hommes ayant des relations sexuelles avec des hommes) sont exclus du don du sang, sauf en cas d’abstinence d’un an (depuis juillet 2016). Autant dire qu’ils sont exclus de fait en grande majorité...  Mais le sujet est plus complexe et mérite quelques éclairages.

Mis à jour le 18/01/2018 à 18h04 : Depuis le 15 janvier 2018, les nouvelles dispositions relatives aux critères de sélection au don de moelle osseuse sont effectives : les hommes homos, bis et HSH seront reçus et inscrits aux mêmes conditions que les autres volontaires, a annoncé l’Agence de la biomédecine.  Alors que le don du sang leur est encore interdit – sauf dans le cas d’une abstinence sexuelle d’un an –, le don de moelle vient rejoindre le don de plasma et de sperme, d’organes et de tissus. C’est une conséquence directe de « l’ouverture » du don du sang aux hommes gays et bis obtenue grâce au lobbying associatif et à la spécificité du don de moelle, très sécurisé (trois entretiens médicaux, un dépistage avec les tests VIH, hépatite B et C les plus précis) et très précieux car rarement compatible.

 

Une avancée… ou presque.

4% des Français donnent régulièrement leur sang. En France, 150.000 personnes sont inscrites sur le fichier des donneurs. Parmi elles, 80.000 donnent régulièrement. Si vous déclarez, honnêtement, lors d'un don du sang, que vous avez eu des relations sexuelles avec des hommes, cela sera consigné.
Si l’on est passé d’une exclusion à vie « des personnes » depuis une circulaire de 1983, à une exclusion « des pratiques » (relations anales non protégées) puis à une exclusion « temporaire » grâce à Marisol Touraine en 2016, il existe des explications épidémiologiques qui l’expliquent : en France, sur 5.925 nouveaux cas de contamination au VIH en 2015, 43% sont des hommes homosexuels. Si le simple fait d’être homosexuel ou bisexuel n’est pas synonyme de comportement à risque, la potentialité des risques de contamination du sang par le VIH ou d’autres IST est plus forte dans cette population. Cette prévalence justifie, pour le milieu médical, un principe de précaution que beaucoup jugent malgré tout discriminatoire.
Le souci, c'est que l'Établissement du don du sang ne précise pas "relations non protégées", or aujourd'hui, même si l'on a des relations sexuelles avec des séropositifs bien traités et donc indétectables, on ne risque rien. L'ensemble des pratiques entre hommes est éliminatoire. Combien de litres de sang perdus en excluant les personnes homos en couples stables ? Ou au moins depuis 4 mois, comme cela est exigé pour les hétérosexuels ?
Cette exclusion est également appliquée dans d’autres pays, comme la Belgique. En Espagne, en Italie, en Pologne, en Lettonie, en Suède, au Mexique, en Colombie, en Argentine, au Chili, au Pérou, en Afrique du Sud et même en Russie, les hommes gays et bisexuels peuvent donner leur sang, sans restriction et sans délai.

Le 28 décembre dernier, le Conseil d’État a retoqué la demande d’un particulier et d’associations LGBT concernant l’ouverture du don du sang en France. Mousse, Stop homophobie, Idaho France et Élus locaux contre le sida avaient décidé de s’unir contre le refus du ministère de la Santé d’abroger la disposition de l’abstinence pour les HSH. Dans son communiqué, le Conseil d’État développait : « Le ministre des Affaires sociales et de la Santé s’est fondé non sur l’orientation sexuelle mais sur le comportement sexuel et n’a pas adopté une mesure discriminatoire illégale »
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Il n’y a pas que les homos qui sont exclus

Les homosexuels ne sont pas les seuls à être « exclus » : un dixième des donneur.se.s ne peut pas effectuer de don parce qu'il présente une contre-indication.
Par exemple, si vous êtes hétérosexuel-le, vous ne pouvez pas donner votre sang si vous avez eu :
- Une relation sexuelle avec plusieurs partenaires différents au cours des 4 derniers mois (cette contre-indication ne s’applique pas aux femmes ayant des relations sexuelles uniquement avec des femmes) ou une relation sexuelle avec un partenaire ayant lui-même eu plus d’un partenaire sexuel dans les 4 derniers mois;
- Des relations sexuelles en échange d’argent ou de drogue dans les 12 derniers mois;
- Une relation sexuelle avec un partenaire ayant une sérologie positive pour le VIH, l’hépatite virale B ou C, dans les 12 derniers mois. Même si vous êtes séronégatif-ve;
- Une relation sexuelle avec un partenaire ayant utilisé des drogues ou des substances dopantes ou ayant eu une relation sexuelle en échange d’argent ou de drogue dans les 12 derniers mois.
Dans tous les cas : Vous devrez peser plus de 50 kilos, attendre 4 mois après une intervention chirurgicale, un piercing, un tatouage ou si vous pratiquez l’acupuncture… Les personnes ayant séjourné au Royaume-Uni entre 1980 et 1986 sont elles aussi exclues pour parer au risque de contamination par la maladie de la vache folle. L'interdiction de donner son sang est également stricte pour les personnes ayant été transfusées. On anticipe la possibilité que le donneur ait été contaminé, lors de sa transfusion, par une maladie émergente que nous ne savons pas encore détecter, l'idée étant d'arrêter la chaîne de transmission entre transfusés. C’est globalement la même raison qui prévaut dans l’exclusion des personnes ayant potentiellement plus de risques d’avoir le VIH ou des IST, comme les homosexuels.
Retrouvez sur le site du don du sang, toutes les contre-indications.
 

Les homos ont le droit de donner…

Si vous avez eu des relations sexuelles avec des hommes,  le don de plasma (partie liquide du sang, distinctes des globules rouges et des plaquettes, qui sont prélevées en même temps)  reste néanmoins possible sous certaines conditions. Il est très utile aux polytraumatisés, grands brûlés, hémophiles, enfants immunodéprimés… 90% du plasma prélevé est utilisé dans la fabrication de médicaments dérivés du sang.

Contacté par TÊTU, Frédéric, du collectif Homodonneur, nous explique la différence entre le plasma et les autres composantes du sang :

Le don de plasma sécurisé est possible pour tous, homosexuels comme bi ou hétérosexuels sous les même conditions, c'est-à-dire 4 mois de monogamie.
À l'inverse du sang qui ne se congèle pas et qui ne peut être gardé plus de 42 jours après le prélèvement, et des plaquettes qui seraient détruites par la technique (et sans cela, gardé 5 jours maximum), le plasma peut tolérer la congélation à -25°. Au-delà des 60 jours requis au frais, on refait des tests sur le patient qui revient au centre. S'il est négatif aux tests sérologiques, le don est mis dans le circuit des malades, il est forcément sain.

Voir sur le site du don du sang
En ce qui concerne le don de sperme, l'homme donneur doit être âgé de moins de 45 ans et ne pas être porteur de maladies génétiques ou de maladies infectieuses transmissibles par le sperme. Des tests sont ensuite effectués et le sperme doit être conservé 6 mois avant d'être donné à des patient.e.s, afin de vérifier que les sérologies du donneur sont bien négatives.
Les homosexuels ne sont techniquement pas obligés de se déclarer lors des dons de gamètes (donc de sperme) puisque depuis août 2004, la loi n'impose plus d'être en couple hétérosexuel et est censée l'ouvrir aux célibataires. Mais le décret d'application n'est jamais passé. Il faut donc toujours, malgré cette évolution et même, malgré la loi du mariage pour tous, être en couple hétéro marié et avoir l'accord de son épouse pour se présenter dans un centre de don du sperme, dits de "biologie de la reproduction" dans les hôpitaux.
La réception de ce don est permis à un couple hétérosexuel en âge de procréer et ne pouvant avoir d'enfant pour causes médicales : 2.000 couples en profitent chaque année. Les femmes seules ou les couples de femmes homosexuelles ne peuvent donc être receveuses (pour une PMA – procréation médicalement assistée). Ce qui est très discriminatoire !
Pourquoi n’applique-t-on pas la même règle au sang et au sperme ? La gestion des dons de gamètes (ovocytes et spermatozoïdes) est régie en France par la confédération des CECOS (Centre d'Étude et de Conservation des Œufs et du Sperme humain). Les recommandations qui s’appliquent à l’Établissement de don du sang ne la concernent donc pas, car le sperme est conservé très longtemps et testé pour qu'il n'y ait aucun risque de survie et de transmission d'un virus...
Une peine de deux ans d'emprisonnement et de 30.500 euros d'amende est prévu si un prélèvement est effectué en dehors des CECOS ou si les règles d'hygiène et de sécurité ne sont pas respectées lors d'un don. Attention donc aux "bidouillages" qui peuvent coûter cher !
Depuis le 15 janvier 2018, les nouvelles dispositions relatives aux critères de sélection au don de moelle osseuse sont effectives : les hommes homos, bis et HSH seront reçus et inscrits aux mêmes conditions que les autres volontaires, a annoncé l’Agence de la biomédecine.  C’est une conséquence directe de « l’ouverture » du don du sang aux hommes gays et bis obtenue grâce au lobbying associatif et à la spécificité du don de moelle, très sécurisé (trois entretiens médicaux, un dépistage avec les tests VIH, hépatite B et C les plus précis) et très précieux car rarement compatible.
 

Et les lesbiennes ?

En 2002, l'EFS a publié de nouvelles recommandations se rendant compte du statut potentiellement discriminatoire de cette directive et a précisé le motif d'exclusion qui n'est plus d'être "une personne homosexuelle ou bisexuelle" mais d'avoir eu "des relations homosexuelles masculines", ce qui a l'avantage de sous-entendre clairement que les lesbiennes peuvent donner leur sang.
En résumé, l'EFS n'interdit pas le don du sang aux lesbiennes du seul fait de leur orientation sexuelle : quand cela arrive, c'est une application abusive et purement discriminatoire de quelques médecins de l'EFS qui n'ont pas compris la directive.
En 2008, SOS homophobie a réalisé une enquête sur la lesbophobie, à laquelle ont répondu 1.793 lesbiennes. 178 d'entre elles rapportent un ou plusieurs cas de lesbophobie dans le domaine de la santé et des soins, dont 54 lors d'un don du sang.
 
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