Julien : “J’ai 23 ans et je dirige le centre LGBT de Rennes”

Par Julie Baret le 27/10/2016
Julien Fleurence Rennes centre LGBT

Julien Fleurence a 23 ans. Mais ne vous fiez pas à son jeune âge : il est le président du centre gai, lesbien, bi et trans de Rennes en Bretagne.

Sneakers aux pieds et lunettes design vissées sur le nez, Julien est graphiste. Il a rejoint l’équipe de TÊTU il y a peu, mais dans le milieu associatif, on le connaît surtout comme le président du CGLBT de Rennes. Il me confie en rigolant que dans le plus vieux bar gay de Rennes, où il a fait ses études d’art plastique et de design, il est plutôt “la reine des pédés !” Ça fait déjà beaucoup d’étiquettes pour une jeune homme d'une vingtaine d'année...

Une histoire de thé, de café et de convivialité

Tout commence en 2012. La cuvée 1993 n’a alors que 19 ou 20 ans mais Julien ne veut pas rester inactif face à la Manif pour tous qui commence à faire du bruit. Un soir, il pousse les portes d’un local, au rez-de-chaussé d’un immeuble de trois étage sur la rue de Lorraine.

J'ai été super bien accueilli là-bas. Deux personnes m'ont présenté l'association, ses actions et son but. Puis je suis entré dans la grande pièce où on buvait du thé, on buvait du café, en toute tranquillité. Je me suis dit "tiens, c'est chouette, je vais revenir le mercredi d'après". Et de fil en aiguille, j'y ai pris goût.

A l’époque, le centre LGBT repose sur Antonin, Yann et Erwann. Notre Julien veut les aider, “même pour des trucs bêtes, comme coller des affiches, aller à la rencontre des élus, faire du flyage, organiser des manifestations". A son arrivée, il se démène pour sa première mission : faire venir un char rennais à la Marche pour l’égalité du 27 janvier 2013 à Paris. Finalement, ils en feront venir trois, faisant de Rennes l'une des villes les plus représentées du défilé. “On a fait un vrai cortège breton dans la marche parisienne" s’amuse aujourd’hui Julien qui ressort gargarisé par cette expérience :

Je me suis dit “merde !" On se bat pour les droits futurs, on se bat pour l'égalité, on se bat pour le mieux vivre. C'est pas le vivre ensemble - cette phrase qui ne veut rien dire - mais le vivre, tout court, de façon humaine.

Ah oui, parce qu'il faut le préciser, Julien n'a pas la langue dans sa poche. Pas peur de dire à une conseillère municipale qu'elle n'est pas sa mère, pas peur de "secouer la vieille garde militante", pas peur de rentrer dans le lard de la mairie de Rennes pour réclamer davantage de budget au CGLBT, ou de souffler dans les bronches du parisianisme et de la guerre d'égos qui rythme le milieu associatif. Ni même de troller la Manif pour tous du 16 octobre en se plantant entre les drapeaux bleus et roses vêtu d'un t-shirt "GAY O.K."

Après la légalisation du mariage, continuer et être présent

Entré au conseil d’administration du centre, Julien forme un binôme avec Michel, son "père spirituel" de vingt ans son aîné. Puis en janvier 2014 il passe vice-président et bientôt président.  Oui, oui. Il a alors 22 ans. Et il fait déjà descendre 3.500 personnes dans les rues pour la Marche des fiertés.

T’étais pas un ovni au CGLBT ?
J’étais le plus jeune, mais l’équipe est assez jeune. Comme dans une start-up, la moyenne d’âge est à 25 ou 27 ans. Il faut dire que des gens se sont battus pendant 15 ans pour qu’on atteigne le mariage. Et beaucoup se sont essoufflés en chemin. Ou ont eu leur vie perso, leur vie professionnelle... des priorités à mettre en équation.
Quand l'adoption du mariage a été annoncée, on en a vu arrêter du jour au lendemain parce qu'on a eu des mois extrêmement difficiles. Pour moi, ça a été une période forte et intense. Je me suis dit "en fait, ça ne sera jamais fini. Il faut continuer. Il faut être présent."

Rien qu’à Rennes, la fréquentation du local passe ainsi d’une quinzaine d’individu à plus de soixante, sur les trois seules heures de permanence que compte le centre, faisant du local de la rue de Lorraine le plus actif de l’Hexagone. Les rencontres vont du goûter bon enfant aux accueils plus difficiles de personnes qui sont parfois au bord du suicide :

Tu viens pour parler de tout et de rien. Souvent parce qu'il y a un mal-être. Beaucoup de personnes n’ont pas l’occasion de parler de leur sentiment, de leur vécu. Et de poser un oreille, ça leur fait un bien fou, ça leur permet de se reconstruire. Il s’agit juste de prendre le temps dans une société qui ne prend pas le temps.

"Si je fais du militantisme, c'est pour ce contact humain"

Les mots “accueillant", “bienveillant" et “chaleureux" reviennent à une vitesse folle lorsque Julien me parle du centre dont il tient les rênes. Et on comprend vite qu’ils constituent la trinité du CGLBT de Rennes. Que ce soit à travers les permanences hebdomadaires, les pots, et l'offre de culture queer mise en avant par le centre. Que ce soit à travers la vie inter-associative au sein de la ville de Rennes : l'aide aux migrants avec la Cimade, la déconstruction des préjugés auprès du jeune public à travers le CRIJ Bretagne, l'éducation populaire grâce à la Ligue de l'enseignement... Ou plus récemment le "service après-vente des LGBT-phobies" qui invitait les Rennais à se retrouver le 16 octobre dernier plutôt que de regarder LMPT battre le pavé parisien à la télévision.
D’ailleurs, quand on demande à Julien ce qu’il répond à ceux qui trouvent le militantisme “ un peu chiant, non ?” il dit tout de suite qu'ils “ne sont clairement jamais venus à Rennes !" et renchérit :

Moi si je fais du militantisme, c’est pour ce contact humain. Je sais pourquoi je fais ce boulot. Je sais pourquoi ça me prend pratiquement 35 heures et pourquoi j’ai failli rater mes études.

Car oui, sa vie personnelle en a pris un coup. Mais cet engagement bénévole a aussi son lot de médailles. Julien a le sourire aux lèvres quand il évoque les rencontres en or qu’il a fait grâce au bénévolat. Soudain, son flegme habituel a même du mal à masquer son émotion quand il mentionne ses amis trans, qu’il ne supporte plus de voir se faire agresser ou malmener par des propos graveleux. “Le changement d’état civil libre et gratuit en mairie, c’est l’urgence" répète-t-il, avant de dénoncer l'opération des enfants intersexes à la naissance qui prouve qu'en "France, en 2016, on fait quelque chose qui est interdit dans le monde". Julien ne déroge d’ailleurs pas au mot d’ordre de la militance LGBT : son autre cheval de bataille, la PMA pour toutes.

"J'ai eu beaucoup de reproches à cause de mon âge. Mais je prouve par les faits que j'en suis capable"

Aujourd’hui, à cause de son engagement, d’aucuns disent à Julien qu’il est trop visible. “Comme si j’allais brandir mon drapeau rainbow et faire un discours à chaque rencontre" ridiculise-t-il. De jeune premier dont certains doutaient, il est devenu bon gré mal gré un militant actif qui permet à la scène française de rester visible. Voilà un jeune qui fait bouger les choses :

J'ai eu beaucoup de reproches du type "oui mais t'es jeune, tu ne sais pas encore". Que ce soit avec les associations ou avec les élus, la première fois que j'ai dit "je suis président, j'ai 22 ans" on m'a regardé du style "bah qu'est-ce qu'il veut le gamin". OK, mais en fait je suis pas gamin.
C'est vrai, je suis jeune encore, mais c'est pas pour ça qu'il n'y a pas de responsabilité ou du maturité en moi. Je ne dis pas que je suis professionnel sur tous les sujets parce que je pense qu'il faut une part de frivolité dans l'associatif pour conserver ce côté humain et pour rester connecté. Mais je prouve par les faits que je suis capable de mener les choses à bien.
Il y a encore beaucoup de boulot, et c’est pas parce que j’ai 23 ans que j’ai fini mon cycle.

A la fin de notre entretien, je me remémore des vers lus dans une rame de métro :

Les vieux croient à tout

Les gens d’âge mûr mettent tout en doute

Les jeunes savent tout

- Oscar Wilde -

Pour en savoir plus :

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Crédit photo Amanda Hinault