Marlène SchiappaLa polémique enfle autour du logiciel espion "pour savoir si votre fils est gay"

Par Ambre Philouze-Rousseau le 23/08/2017
Fireworld logiciel espion fils gay

"Pour savoir si son fils est gay", l'entreprise Fireworld propose un logiciel espion. Mais pourquoi cette obsession qui mène à vouloir à tout prix déterminer qui est gay de qui ne l'est pas ?

C'est une lubie qui perdure : comment débusquer les gays ? Heureusement que certains prennent le temps de donner quelques conseils bien avisés...

"Comment reconnaître un gay d'un hétéro"

Fin juin 2017, dans les colonnes du tout récent magazine Millenials, un article intitulé « Comment reconnaître un gay d'un hétéro » y allait de ses petits tuyaux. "Le gay fréquente volontiers des femmes, avec qui il se sent en parfaite osmose, là où l’hétéro préfère la compagnie de potes masculins, avec lesquels il se lâche davantage lors d’un classico PSG-OM, bière à la main. Il suffit d’ailleurs de voir son désarroi lors d’une conversation de filles pour comprendre qu’il ne se sent pas à sa place !" Tout est dit. Parce qu'il est bien connu que tous les hétéros se ruent devant les PSG-OM. D'ailleurs, prudence si vous regardez l'un de ces classicos avec un verre de vin à la main, et non une bière, on risque de ne plus savoir dans quelle catégorie vous classer. Ce serait un drame. Car il est également bien connu que le monde des hommes est ordonné par cette binarité hétéro/gay. Couvrez donc ces bisexuels et ces pansexuels que vous ne sauriez voir.
Si cet article de Millenials voulait sans doute s'adresser aux femmes hétéros pour qu'elles évitent de draguer des gays (imaginez la perte de temps que cela pourrait représenter...), le dernier article en date sur le sujet s'adresse quant à lui aux parents.

"Les éléments qui accentueraient la probabilité que votre fils soit gay"

Un article du site Fireworld, publié mardi 22 août, propose en effet aux parents des outils pour « savoir si [leur] fils est gay ». Supprimé depuis, l'article était rédigé de manière anonyme. Impossible d'en savoir davantage sur les compétences de l'auteur pour débusquer les invertis mais les quelques conseils qu'il divulgue devraient se suffire à eux-mêmes. L'auteur débute par une revue des « éléments qui accentueraient la probabilité que votre fils soit gay ». La liste pique les yeux. Grâce aux captures d'écran de l'Amicale Jeunes Refuge, qui a soulevé le lièvre en premier, elle est encore visible sur Twitter.

Vous aurez d'ailleurs reconnu Colton Haynes, le fils gay par excellence ?

Attention donc aux coiffures sophistiquées (coucou les footballeurs...) et aux chanteuses diva. Blacklistées les Madonna, Lady Gaga, Mariah Carey, Céline Dion et consœurs. Toutes ont pourtant plusieurs millions de fans à travers le monde, un nombre incalculable de gays donc ?

Un logiciel espion pour des "preuves concrètes"

Si ces quelques signaux ne permettent pas aux parents d'avoir une quelconque certitude sur la qualité de gay de leur fils, Fireworld propose un outil qui va beaucoup plus loin. Un logiciel pour espionner les jeunes garçons aux arcades percées...

Espionner un ordinateur est donc votre arme la plus puissante pour obtenir suffisamment de preuves concrètes afin de savoir si votre fils est gay ou pas.

Le point important est de savoir à quelles communautés et groupes il appartient sur les réseaux sociaux. Une fois son compte Facebook piraté, tout simplement en regardant depuis son propre compte les groupes qu'il a rejoint. Si certains groupes s'intitulent "Les gays so swag" ou... encore "Gays de France", alors à ce moment-là le doute n'est plus permis, et vous saurez enfin la vérité.

Un spyware, logiciel espion installé dans son ordinateur, et le tour est joué. Ainsi, « si vous souhaitez maximiser les chances de découvrir au plus vite l'orientation de votre fils, nous vous conseillons d'acheter pour quelques euros la version complète du programme.» Bien entendu, le gaydar a un prix. La version « pro » est à 54,99 euros, la version « pro entreprise » à 154,99 euros.

L'orientation sexuelle, une donnée virtuelle comme une autre ?

L'éditeur a également le culot de rappeler, en toute fin d'article, que les utilisateurs doivent respecter les lois en vigueur dans leur pays d'origine (l'article avait également une version espagnole, elle aussi supprimée). En France, le Code pénal prévoit 300.000 euros d'amende pour toute divulgation de données personnelles, dont l'orientation et l'identité sexuelle. Ainsi, se pose la question des données liées à ces aspects. En effet, des sociétés telles que Grindr, Tindr ou même Facebook, possèdent ces informations. En France, la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL) dispose d'un arsenal de sanctions pénales contre les entreprises qui garderaient une trace des orientations et identités sexuelles des utilisateurs. Mais cet arsenal ne concerne pas les sites de rencontres, ni Facebook, car la mention de l'orientation sexuelle est considérée comme consentie...
Contacté par Libération, le site (dont les mentions légales sont introuvables) se défend comme il peut : ces pages avaient « pour seul but d’améliorer le référencement internet sur les moteurs de recherche » et n’étaient pas destinées « à être lu[e]s par des humains. (…) Nous présentons nos excuses les plus sincères à tous ceux et à toutes celles qui auraient pu se sentir blessés par ces contenus. »

Des études pour déterminer l'orientation sexuelle

Au-delà de cet article, prêt à beaucoup de compromis avec la loi et l'éthique pour faire vendre des logiciels d'espionnage, la question de l'identification des gays n'en est pas moins devenu un marronnier, notamment chez les chercheurs. En 2013, ce n'était pas le soin apporté à sa coupe de cheveux qui permettait de débusquer un gay mais la morphologie des visages. Une étude de l'Université de Charles de Prague réactualisait la physiognomonie encensée au XIXème siècle en affirmant :

Les hommes homosexuels ont présenté des visages relativement plus larges et plus courts, des nez plus petits et plus courts, et des mâchoires plutôt massives et plus arrondies, résultant dans une mosaïque de caractéristiques à la fois féminines et masculines.

Un an plus tôt, c'était les pupilles dans une étude de l'Université Cornell. Les pupilles des hommes hétéros se dilateraient ainsi à la vue d’images de femmes, celles des gays à la vue d’images d’hommes, et celles des bisexuels aux deux.

L'hégémonie des stéréotypes

Derrière toutes ces études et ces articles, règne l'idée selon laquelle les apparences seraient fiables. Des apparences qui sont souvent rangées selon des catégories stéréotypées : homme féminin = gay; femme masculine = lesbienne; pour faire court et efficace. Une catégorisation qui efface donc toutes les nuances, qui s'inscrit dans une grille de lecture totalement binaire et réductrice.
Un point soulevé par Marlène Schiappa, secrétaire d'État à l'égalité femmes-hommes, dans un tweet publié suite à l'article de Fireworld.
https://twitter.com/MarleneSchiappa/status/899933017224904705
En juillet dernier, la chaîne Youtube Watchcut a produit une vidéo qui démontre l'absurdité de ce genre de considérations. Dans cette vidéo, cinq individus qui se qualifient en tant que queer, bisexuel, hétéro, lesbienne ou gay, se soumettent aux regards d'inconnus. La mission de ces dernier : arriver à accoler le bon qualificatif à chaque personne. À coups de « est-ce-que tu connais Cher ? Et Barbara Streisand ? », les inconnus mènent leur enquête. Leurs questions, basées sur des stéréotypes et leurs verdicts souvent erronés prouvent une chose : deviner l'orientation sexuelle d'une personne inconnue de manière fiable est impossible.

 
Couverture : crédit photo YouTube