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mariageMariage pour tous : on a retrouvé les filles du "baiser de Marseille"

Par Elodie Hervé le 23/04/2021
Le baiser de marseille

Ce cliché de l’AFP avait fait le tour des réseaux sociaux et des médias. Il est devenu le symbole d’une lutte pour le mariage pour tous, adoptée à l'Assemblée le 23 avril 2013. Huit ans plus tard, TÊTU a retrouvé les deux amies de la photo.

Cette photo, Julia l’a encore. Dans un carton, avec un petit mot de Gérard Julien, le photographe de l’AFP, qui la lui a offerte. Sur ce cliché, pris en octobre 2012, on la voit, elle, embrasser fougueusement Auriane, une de ses amies. Derrière elles, du blanc, du rose et des visages crispés. « Ce jour-là, j’ai roulé la plus grosse pelle de toute ma vie », lâche Julia, 26 ans, dans un rire, avant d’ajouter « C’était un très beau moment, j’ai aimé Auriane du plus fort que je pouvais, même si on est toutes les deux hétéros. » 

A cette époque, François Hollande, alors président, venait de lancer le projet de loi du mariage pour tous, qui allait être porté par Christiane Taubira, ministre de la Justice. Dans les rues de France, les manifestations anti-LGBT se succèdent et se ressemblent. Marseille n’a pas échappé à ces défilés blanc et rose. Sauf que ce jour-là, les militants d’Alliance Vita ont été perturbés par un acte d’amour et de soutien qui est devenu le symbole de toute une lutte.

Une pause déjeuner militante

Ce 23 octobre 2012, en plein centre-ville de Marseille, sur la place de la préfecture de Police, Alliance Vita, asso anti-IVG et anti-Mariage pour tous avait donné rendez-vous à ses militants. D’un côté les hommes, de l’autre les femmes. Au milieu, un adulte déguisé en oiseau qui devait représenter l’enfant à naître. Une chorégraphie très binaire et hétéronormée pour nier l'existence des couples gays et lesbiens.

Mais ce jour-là, Julia, 17 ans à l’époque, et Auriane, 19 ans, déjeunent sur cette place surnommée “La Pref” à Marseille. Sur ce grand espace à la croisière de plusieurs collèges et lycées, les rendez-vous se donnaient le midi ou le soir pour partager un sandwich avec des ami-es ou draguer. Beaucoup de couples LGBT+ se sont formés à la Pref’. Ce midi-là, Julia rejoignait elle aussi des ami-es.

"On avait vraiment envie de les faire chier"

« Au début, on pensait que c’était une manifestation de Tatas à cause du rose partout », explique-t-elle. A Marseille, les “tatas” sont les personnes qui s’occupent des enfants dans les écoles maternelles. Mais aux slogans criés ce jour-là, les deux amies se rendent vite compte que ce n’est pas une lutte pour de meilleures conditions de travail, mais pour empêcher à une partie de la population d'accéder à certains droits.

« A ce moment-là, ça n’a fait qu’un tour dans ma tête », continue Julia. Un regard à Auriane, un sourire et les voilà qui abandonnent sandwich et tranquillité pour aller se poster au milieu de ces deux allées de personnes anti-LGBT. « Je ne me souviens plus qui a empoigné l’autre en premier, mais je sais qu’on avait vraiment envie de les faire chier et de leur rappeler que deux femmes ensemble ben c’est tout à fait normal. Cela me rend dingue que l’on en soit, aujourd’hui encore, à avoir des personnes qui occupent l’espace public pour dire qui a le droit de s’aimer ou non. Qui a le droit d’avoir un enfant, ou non. »

Tout un symbole

Julia se rappelle de la surprise des manifestants qui le temps d'une seconde n’ont pas su comment réagir face à ce baiser passionné de deux copines. Le silence s’installe un court instant. Puis des insultes fusent. « On a entendu des propos du type : vous êtes dégueulasses. Et des rires gênés aussi il me semble. Après on est parties et on a été vite dégagées par la personne qui se prenait pour le service d’ordre. » La confrontation s’arrêtera là, juste le temps d’une photo et d’un baiser. Après cela, les deux copines finissent tranquillement leur sandwich avant de retourner en cours.

Neuf ans plus tard, Julia et Auriane n’en reviennent toujours pas de l’ampleur qu’a eu la photographie de Gérard Julien. « Je suis pas très présente sur les réseaux, continue Julia, et le soir c’est une amie qui m’a appelé pour me dire que nos bouilles étaient partout. » La photo du “Baiser de Marseille” devient virale, s’exporte à l’étranger et s’impose comme le symbole de l’amour avec deux générations qui se font face. Les mois qui vont suivre, plusieurs baisers vont être photographiés mais aucun n’aura l’ampleur ce celui-ci.

"Je suis fière d'avoir été une alliée"

Aujourd’hui, cette photo continue encore d’illustrer des tracts militants et a fait l’objet de plusieurs documentaires. « C’est dingue quand on y pense, continue Julia. A titre personnel, je suis très fière d’avoir été une alliée à la lutte pour l’égalité des droits. »

Depuis, Julia est devenue institutrice dans les quartiers nord de Marseille. Elle continue à s’engager pour l’égalité réelle des droits des personnes migrantes et / ou LGBT+. « A la publication de cette photographie, nous avions reçu de très nombreux messages d’amour, des remerciements aussi. J’ai la chance d’avoir une famille et des proches très safe, donc ça n’avait pas eu de retombées négatives sur ma vie. Et aujourd’hui encore quand certaines personnes de mon entourage réalisent que c’est nous ce cliché-là, et me remercient pour ça. »

Mariage pour tous : on a retrouvé les filles du "baiser de Marseille"

Pour la PMA pour toutes

De son côté, Auriane, 28 ans, attend un enfant. Elle devrait accoucher dans les semaines qui viennent et garde, elle aussi, un souvenir ému de cette photo et de son impact. « Moi j’ai eu la chance de n’avoir eu besoin d’aucune aide pour tomber enceinte, explique Auriane. Mais une fois encore, c’est le même combat, celui de disposer de son corps librement. Personne ne devrait avoir besoin de se rendre à l’étranger pour faire un bébé. »

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Car si la PMA pour toutes devait être incluse dans le projet de loi du mariage pour tous, cela n’a pas été le cas. Après plusieurs atermoiements, François Hollande avait finalement décidé d'abandonner. Huit ans plus tard, la PMA n’est toujours pas possible pour les lesbiennes, les femmes seules ou les hommes trans. Le projet de loi bioéthique, qui devait acter pour les couples lesbiens n’est toujours pas adopté. Après un désaccord entre le Sénat et l’Assemblée nationale, il est renvoyé pour une ultime lecture, sans qu’aucune date n’ait été avancée. De son côté, le ministère de la Santé, dit espérer les premières PMA « dans la fin de l’année 2021. »

Crédit : GERARD JULIEN / AFP