VIHMarisol Touraine pour TÊTU : "Le sida est bien une maladie d'aujourd'hui"

Par Adrien Naselli le 01/12/2016
Marisol Touraine VIH Aides sida

La ministre des Affaires sociales et de la Santé, Marisol Touraine, a rencontré TÊTU pour commenter les derniers chiffres publiés par Santé Publique France. Les infections par le VIH ne diminuent pas sur l'année 2015 et augmentent même chez les HSH (Hommes ayant des relations sexuelles avec des hommes).

TÊTU | 6.000 personnes ont découvert leur séropositivité en 2015, un chiffre qui ne bouge presque pas depuis 2011. Les HSH représentent 2.600 personnes. Quelle est votre réaction et parleriez-vous d’un échec des actions menées pendant cinq ans ?

Marisol Touraine | Contrairement aux idées reçues, le sida est bien une maladie d’aujourd’hui. Les cas de contamination, chaque année, sont de l’ordre de 6.000 à 7.000 et on estime que 30.000 personnes vivent avec le virus sans le savoir. Parmi les nouveaux cas, les HSH représentent en effet une part significative, 43% des nouvelles contaminations en 2015. Cela justifie à la fois les actions qui ont été engagées et celles qui sont en cours. Les perspectives résident dans la prévention, le dépistage et la mise à disposition des traitements lorsque c’est nécessaire. Pour le dépistage, les résultats sont au rendez-vous : 140.000 autotests ont été vendus en un an alors que je me souviens des craintes de ceux qui se demandaient s’il était raisonnable de laisser des personnes seules face au résultat du test. Nous répondons à un besoin, une attente ; les pratiques évoluent. Il y a à la fois les tests en laboratoire ou à l’hôpital, les TROD [Test Rapide d’Orientation Diagnostique ou Test de dépistage rapide du VIH, ndlr] dans les associations et les autotests en pharmacie. Le sens de mon action est de diversifier les modes de prévention et de dépistage pour répondre à la diversité des situations. C’est pourquoi j’ai engagé une campagne de communication qui répond au fait qu’il faut s’adresser à des catégories nouvelles.

Sur 2.600 nouvelles contaminations, 1.600 HSH ont découvert leur séropositivité longtemps après avoir contracté le virus (entre un an et quatre ans). Cela représente quatre gays par jour pendant l’année 2015 – des gays qui n’ont donc pas l’habitude de se faire dépister. Comment faire pour inciter les publics à se faire dépister quand on voit qu’une campagne de santé publique est censurée ?

En ne lâchant rien sur la prévention, ni sur le dépistage, ni sur les campagnes de communication, et en s’adressant à ceux à qui on a besoin de s’adresser. Aujourd’hui, il y a une population à risque bien informée qui maîtrise tout ce qu’il y a à savoir autour de la maladie, qui connaît la diversité des outils de prévention, du préservatif – l’élément clef – à la Prep ; une autre population à risque maîtrise moins, n’ose pas, ne connaît pas tous ces outils, pour des raisons diverses qu’il m’appartient de constater et en aucun cas de juger, contrairement à ce que font certains. C’est quand commencent les jugements moraux que s’arrête l’efficacité des campagnes. C’est pourquoi je suis inquiète qu’une campagne de communication tout à fait soft comme celle que j’ai lancée, qui correspond à une réalité de la société et apporte des réponses à des enjeux de santé publique, soit condamnée et même perçue comme un problème. Il est inadmissible que des élus, dont on attend qu’ils soient responsables, engagent des actions contre une campagne de communication dont le seul objectif est d’inciter les gens à se renseigner sur les modes de prévention qui existent. Je trouve choquant que des élus s’opposent à cela, et je suis préoccupée, très préoccupée, par le fait qu’une partie que je veux croire très minoritaire de la population ait réagi par le déni. J’y vois de l’homophobie pour une part, et une forme d’inconscience coupable et dangereuse d’autre part. Ce n’est jamais en niant la réalité qu’on règle les problèmes de santé publique.

Avez-vous pensé au choc ressenti par les associations, les personnes séropositives, leur entourage, face à cette censure ?

Il est pour moi tellement incompréhensible, compte tenu des enjeux de santé publique, que l’on puisse s’opposer à cette campagne que la raison principale qui me semble pouvoir l’expliquer est malheureusement l’homophobie ; c’est-à-dire le refus de voir que des hommes ont des relations sexuelles avec d’autres hommes. Le refus de cette campagne traduit un état de réaction, un retour en arrière que l’on ne croyait pas possible. On a le sentiment de vivre dans une société qui s’est ouverte et on s’aperçoit au fond que les poches de résistance et les actes de discrimination sont toujours là.

Vous avez saisi la Justice. Les élus pourraient-ils être condamnés ?

C’était une démarche de principe : même si la campagne se sera arrêtée avant que la Justice se prononce, il m’a semblé important d’avoir un geste symbolique fort pour dire non. Pour ma part, je n’ai pas les moyens de mettre en cause les personnes, je ne peux que contester leurs actes.

Il avait été question de représenter des couples hétéros sur ces affiches, comme c’est souvent le cas. Avez-vous regretté de ne pas l’avoir fait ?

Non. C’est une campagne qui m’a été proposée par l’agence Santé Publique France, qui avait travaillé avec les associations et considéré qu’il y avait un enjeu particulier à s’adresser aux HSH. Les statistiques montrent que c’est vrai. C’est la subtilité à comprendre : bien qu’elle cible une population en particulier, c’est une campagne très large, car pour être efficace, on ne peut pas se contenter de s’adresser à une petite partie d’une communauté qui fréquente certains lieux. Il faut s’adresser à tous ceux qui ne fréquentent pas ces lieux, soit qu’ils ne le veuillent pas, soit qu’ils le redoutent, soit qu’ils ne se définissent pas comme homosexuels mais aient occasionnellement des rapports avec des hommes. Une personne qui voit cette affiche dans son abribus va pouvoir se dire : au fond, ça me concerne moi aussi. Sans avoir besoin d’être dans un lieu identifié gay.

La dernière campagne de Aides insiste sur le fait que les personnes séropositives sous traitement ne sont pas transmissibles. Cela fait pourtant dix ans que nous le savons. Est-ce que cela veut dire que les messages ont du mal à passer en France ?

Je ne pense pas que ce soit si différent en France, mais au fond les autorités publiques et moi avons une responsabilité : mettre en avant la prévention. Il ne m’appartient pas de recommander tel ou tel type de pratique. En revanche, il m’appartient de dire que certains comportements obligent à la prévention. Le préservatif n’est pas un moyen dépassé de se protéger. Ce n’est pas parce qu’il y a la Prep et que les traitements sont de plus en plus efficaces qu’il faut renoncer au préservatif.

Cela fait tout juste un an que la Prep a été généralisée en France après les Etats-Unis. La France est le premier pays à la faire prendre en charge par la Sécurité sociale. Quel bilan en tirez-vous ?

La Prep s’adresse à une population spécifique. Nous voyons bien que nous avons besoin, pour franchir de nouvelles étapes, de cibler des micro-populations avec des outils innovants. La Prep marche. Elle peut se faire avec des médecins spécialisés, à l’hôpital, dans les Cegidd [Centre Gratuit d’Information, de Dépistage et de Diagnostic, ndlr], et plus de 2.300 personnes en ont bénéficié depuis son lancement dans le cadre de la recommandation temporaire d’utilisation du Truvada. Près de 350 médecins prescripteurs ont été enregistrés comme accompagnants dans ce cadre-là. Les médecins m’ont dit à quel point ils considéraient que c’était un outil performant.

Peut-on envisager des campagnes plus spécifiques sur la Prep ?

Nous faisons des campagnes générales. Il s’agit de faire comprendre qu’on peut parler de VIH à son médecin, aux associations. Je ne pense pas qu’il faille faire des campagnes de communication excessivement ciblées. Et je ne veux pas donner le sentiment que la Prep peut se substituer au préservatif. La Prep répond à des situations particulières, il ne faut pas être dans le déni. Nous savons que certains hommes n’utilisent pas et n’utiliseront jamais le préservatif ; on peut le regretter, mais il faut y répondre.

Quelles ont été les réticences au moment de légaliser la Prep ?

Il y a eu beaucoup de discussions, de réflexions. J’ai moi-même rencontré beaucoup de médecins, je n’ai pas pris cette décision du jour au lendemain, car je m’interrogeais sur la place de ce traitement dans l’ensemble de la stratégie de prévention VIH/sida. J’ai eu quelques observations, principalement sur la prise en charge par la Sécurité sociale. On peut d’ailleurs se demander ce que deviendraient ces prises en charge si arrive au pouvoir un gouvernement qui annonce vouloir remettre en cause le remboursement de tout ce qui n’est « ni grave ni chronique ». Par définition, la prévention n’est ni grave ni chronique…

Pourrez-vous débattre de ces idées avec l’opposition ?

Ce ne sont pas des vues de l’esprit de ma part. Dès que je lance le sujet, l’opposition saute sur sa chaise comme un cabri. Pour la première fois, on a des écrits ; ce n’est pas moi qui allume un incendie ou fais miroiter le spectre d’une droite qui voudrait privatiser la Sécurité sociale. François Fillon dit explicitement qu’il veut la réserver aux cas graves et aux affections de longue durée. Quelqu’un qui irait voir un professionnel de santé régulièrement pour s’assurer que les choses vont bien ne serait donc pas remboursé. C’est une américanisation de la Sécurité sociale qui se profile. La force du système français, c’est de ne pas réserver la Sécurité sociale à certaines catégories. À cet égard, le programme de François Fillon est une première, y compris dans l’histoire de la droite républicaine.

Il était question d’essayer de faire dépister toute la population en passant par les médecins généralistes. La Haute Autorité de Santé doit réévaluer la politique de prévention début 2017. Que peut-elle dire ?

Nous attendons bien sûr les conclusions de la HAS. Mais plutôt que des dépistages très systématiques, il est important de cibler les populations à risque. Les TROD sont des outils formidables. Les dépistages ciblés organisés par les associations me semblent plus efficaces qu’un test général. Il y a deux populations à risque : les HSH et les migrants. A elles seules, elles représentent près de 80% des nouvelles contaminations. Les hétéros représentent 15% et les personnes qui s’injectent des drogues environ 2%.

L’Etat pourrait-il prendre en charge l’autotest qui coûte dans les 30 euros en pharmacie ?

Même si je souhaite que les prix puissent baisser, les chiffres de vente montrent que le coût de ces tests n’est pas un obstacle majeur. Et je me suis assurée que ces tests soient mis aussi gratuitement à la disposition des usagers via des associations, et des associations qui ne sont d’ailleurs pas forcément estampillées LGBT, et dans les centres de dépistage.

Vous avez été raillée sur l’ouverture du don du sang aux HSH car, faut-il le rappeler, ils doivent déclarer un an d’abstinence sexuelle pour pouvoir donner leur sang... Si vous restiez ministre encore cinq ans, feriez-vous évoluer cette règle qui parait totalement absurde ?

La plupart des pays ont une réglementation qui est plus contraignante que celle de la France. Voyons d’où nous venons : j’ai levé une interdiction et j’ai indiqué qu’il s’agissait d’une étape transitoire. J’ai ouvert le don de plasma aux homosexuels dans les mêmes conditions que pour les hétérosexuels, car nous disposons des éléments permettant de le tester. Sur le don du sang total, nous ne disposons pas des mêmes outils. Les études nous donnent des éléments pour affirmer que s’il y a eu abstinence pendant un an, il n’y a pas de risque. Je souhaite que nous puissions faire les études nécessaires pour aller de l’avant de manière scientifiquement étayée. Personne ne récuse que les dons doivent être sécurisés et que les pouvoirs publics doivent assurer la sécurité des dons et des transfusions. Un accident qui interviendrait nous ferait reculer de plusieurs décennies, et c’est d’ailleurs ce qu’ont dit des associations, très courageusement, comme Aides par exemple. J’appelle les homosexuels à donner leur plasma parce que c’est de cette manière que nous pouvons faire des études et accélérer les études. Nous n’avons reçu que cent dons de plasma jusqu’à présent…

Act Up Paris sollicite votre soutien car la Préfecture de police a circonscrit la manifestation de ce soir 1er décembre, Journée mondiale de lutte contre le sida, à un kilomètre dans le Marais. Comprenez-vous leur colère et les soutiendrez-vous ?

Je comprends l’attente des associations de pouvoir manifester et je comprends que les règles de sécurité doivent être respectées. S’il y avait un beau rassemblement, ce serait bien. Un rassemblement pour dire non à l’homophobie, non à la pruderie, non à l’ordre moral, qui défende la prévention, le respect, la santé publique. Je serais la première à me réjouir que ce rassemblement soit mobilisateur et visible.

Marisol Touraine VIH Aides sida
Marisol Touraine au ministère des Affaires sociales et de la Santé, le 29 novembre 2016. Photo : Adrien Naselli