Abo

rencontre"Starmania" : Alex Montembault, la nouvelle voix qui monopolise l'attention

Par Aurélien Martinez le 10/11/2023
Alex Montembault, Marie-Jeanne dans "Starmania"

Révélation de Starmania version Thomas Jolly, qui reprend cet automne à Paris, le chanteur non-binaire Alex Montembault compose en solo une élégante pop de chambre.

Et soudain, après une trentaine de minutes de show tissé d'une ribambelle de tubes, arrive un moment de grâce, d'une infinie douceur. Marie-Jeanne, la serveuse automate de l’Underground Café, être cabossé en recherche d’amour, revient sur scène, prend sa petite guitare et entonne Ziggy (Un garçon pas comme les autres). Aucun bruit dans la salle. Venu assister à la représentation de Starmania mis en scène par Thomas Jolly, le public de la Seine Musicale (Paris) découvre la révélation de cette nouvelle version de l’opéra-rock : Alex Montembault, 24 ans, voix claire et présence tout en retenue, parfaite pour son rôle.

À lire aussi : "Starmania", le retour de la comédie musicale : queer, le monde est queer

"Au début, ça m’a fait très bizarre de jouer un moment aussi intime devant 4.000, 5.000 ou 6.000 personnes. Maintenant, je suis habitué !", nous raconte le jeune chanteur lorsque nous le rencontrons enfin. La production a longtemps freiné notre demande d’interview, craignant sans doute que les artistes du casting lui fassent une Maurane : lors de la première reprise en 1988, celle qui interprétait également Marie-Jeanne avait quitté précipitamment le show du fait de la pression médiatique et de ses envies de carrière solo. Alex Montembault semble à mille lieues du pétage de plomb, encore surpris de tout ce qui lui arrive. "Il s’est passé plus de choses en quatre mois qu’en trois ans où j'étais dans ma chambre à faire des chansons…" Il faut dire que pour l’adepte de la "bedroom pop", se lancer dans une aventure aussi gigantesque n’était pas forcément dans les plans. "Encore aujourd’hui, j’ai du mal à me dire que mon métier c’est de chanter !"

Fier non-binaire

Starmania a boosté d’un coup la carrière d'Alex Montembault. L'immense succès du spectacle a au passage mis en lumière la non-binarité auprès d'un grand public parfois surpris de découvrir que l’interprète de Marie-Jeanne se genre au masculin. "Si mon parcours peut aider, j’en suis ravi", se félicite la nouvelle star. Pendant son adolescence, il sent que quelque chose "murît" en lui sans trop savoir quoi. "Et d’un coup, vers mes 18 ans, il y a eu un déclic. Ça a mis une nouvelle lumière sur de nombreuses choses que j’ai pu ressentir avant."

Comme beaucoup d'identité queers, la sienne a été un chemin. "Au début, je pensais être trans masculin, j’utilisais donc des pronoms masculins. Ça m’a soulagé, enlevé un poids." Puis il comprend qu’il est non-binaire tout en souhaitant conserver, après réflexions, les pronoms masculins. "Avec le pronom inclusif 'iel', j’ai du mal à ne pas entendre 'il' et 'elle' ensemble. Et vu que je me considère vraiment neutre et non comme un mélange de garçon et fille, personnellement, ça ne me convient pas. Je sais que d’autres pronoms existent mais pour l’instant, j’ai gardé les pronoms masculins." Un choix que les médias, nombreux à écrire sur Starmania, ont respecté, ce qui l’a soulagé. "Même dans un journal de droite, ils ont dit que j’étais non-binaire et utilisé mes pronoms ! Ça m’a fait bien rigoler et en même temps plaisir." La profession respecte également son identité, dans un monde encore très genré : il a ainsi été en juin le lauréat de la catégorie révélation masculine des Trophées de la comédie musicale.

The Voice

Alex Montembault naît le 31 mai 1999 à Pouancé, dans le Maine-et-Loire, "c’est dans la campagne entre Angers, Nantes et Rennes". Gamin, il imagine être footballeur, écrivain ou encore prof d’allemand. Mais c’est la musique qui guide ses pas dès son plus jeune âge, grâce à des parents musiciens et comédiens bien décidés à transmettre leur passion à leurs quatre enfants. "Dès nos 3 ou 4 ans, mes sœurs et moi pianotions tous de manière naturelle." À 6 ans, il prend ses premiers cours de piano classique, puis complète avec la guitare vers 11-12 ans. Il est vite à l’aise, mais à l’étroit dans le style académique, à l’image de ce qu’il vit à l’école. "Je me suis assez vite rendu compte que je n’étais pas très bon élève ! Les cours, le côté scolaire, ça ne me plaisait pas." À 15-16 ans, il délaisse le conservatoire et sa rigueur, mais pas la musique, loin de là : "À l’époque, je pouvais passer 8 heures par jour sur mon piano". Une fois le bac en poche, bien décidé à vivre de la musique, il s’inscrit dans une école de piano-jazz à Tours. Et montre même sa tête à la télé dans une émission aux célèbres fauteuils rouges qui se retournent…

Pendant son adolescence, avec deux de ses sœurs, il a monté un groupe baptisé Pottok on the Sofa, le pottok étant une race de poneys du Pays basque où la famille allait en vacances. Le père écrit et fait les arrangements, les enfants habitent la scène. La sauce prenant dans la région avec pas mal de petits concerts, Alex Montembault se met à composer pour le trio et livre des morceaux qui parlent "d’épanouissement, du fait de planer – c’est quelque chose qui me caractérise ! – mais aussi de sujets comme les violences faites aux femmes". Fort de ce petit succès, le groupe est repéré sur Instagram par un membre de la production de The Voice, qui invite les trois Montembault à tenter l’expérience en 2021. C’est le grand saut. "Je n’ai jamais ressenti un stress aussi fort !", se souvient-il. Devant les caméras, avec un piano et un violon, ils reprennent "When We Were Young" d’Adèle, tout en harmonies vocales. Deux coachs se retournent in extremis et, s’ils ne seront pas la voix de l’année, ils iront tout de même jusqu’à la phase des KO.

Car oui, en plus d’être à l’aise avec des instruments, Alex Montembault chante également, le plus naturellement du monde. Il sourit, presque gêné, quand il nous assure ne pas avoir pris de cours. Grâce à cette facilité, il se rend compte qu’il peut tout faire. En 2021, il sort alors l’EP trois titres Printemps, avec notamment le très joli titre du même nom. Le chanteur et musicien parisien Séverin, intrigué par ce qu’il a entendu, le contacte. Alex saisit sa chance, fonce à Paris, et décide de s’y installer.

Marie-Jeanne

Pendant ce temps un certain Raphaël Hamburger, fils de Michel Berger et France Gall, a pour projet de remonter l’opéra-rock culte Starmania, composé à la fin des années 1970 par son père et écrit par Luc Plamondon. Et il pense qu’Alex Montembault pourrait être sa nouvelle Marie-Jeanne, à la suite de Fabienne Thibeault, Maurane ou encore Isabelle Boulay. Il propose donc au jeune chanteur de faire des essais sur deux tubes du personnage : "Complainte de la serveuse automate" et "Le Monde est stone". Le résultat est concluant, même s'il juge la voix d’Alex encore un peu trop enfantine : un coach vocal, prévient-t-il, le fera travailler ce point. Un dilemme se pose alors à Alex, qui ne connaissait de Starmania que quelques tubes : faut-il dire oui cette opportunité et mettre sur pause sa carrière solo naissante, ou pousser plus loin les contacts avec les labels intéressés par son profil ? "Clairement, à ce moment-là, je ne me rendais pas compte de l’ampleur du spectacle !"

Le succès est en effet fulgurant, tant public (des dates sont sans cesse rajoutées) que critique. Alex Montembault est engagé jusqu’au 25 janvier 2024 – la fin de la reprise à Paris et les premières dates de tournée à Nantes. Pour l’instant, il a décidé de ne pas faire la deuxième tournée prévue ensuite dans toute la France, pour enfin se consacrer à ses projets solo. Il compose en ce moment avec Séverin (avec qui il a sorti en juin le très joli duo "Silence") et a signé avec le label Naïve. En attendant de sortir un premier album, il a livré quelques concerts ces derniers mois – dont certains en première partie de November Ultra. Au programme de ces 40 minutes avec son piano et sa guitare, les chansons que l’on peut déjà écouter en lignes, de nouvelles compositions et des reprises – dont une, sublime, du "Qui a tué grand'maman ?" de Michel Polnareff. Mais pas de Starmania, comme lorsqu’en janvier dernier il a rejoint Clara Luciani sur la scène de Bercy pour reprendre avec elle "Le Monde est stone". Alex Montembault ne ressemble pas tant que ça à Marie-Jeanne, qui se demande sans cesse ce qu’elle va faire aujourd'hui, ce qu’elle va faire demain…

À lire aussi : Mehdi Kerkouche, la danse pour tous

Crédit photo : Juliette Poulain