TunisieMenaces de mort sur la première radio LGBT du monde arabe, les résistants nous racontent

Par Julie Baret le 21/12/2017
première radio LGBT Shams Rad

Une webradio LGBT pousse ses premiers cris depuis un studio d’enregistrement caché en Tunisie malgré les menaces de mort. Le président de l'association Shams, à l'origine de l'initiative, nous explique.

Un fond noir et un petit lecteur intégré en son centre. Si la page d'écoute de Shams Rad est spartiate, elle n'en est pas moins révolutionnaire. Shams Rad, c'est la première radio LGBT de tout le monde arabe. "On a voulu la lancer après plusieurs émissions homophobes sur les médias tunisiens qui soit essayent de ridiculiser les homosexuels, soit invitent des imams pour prêcher la haine, proférer des fatwas et dire qu'il faut défenestrer ou brûler les homosexuels", nous renseigne Mounir Baatour, le président de Shams, l'association de lutte contre l'homophobie qui a déjà lancé son propre magazine, Shams mag distribué gratuitement et disponible en ligne, et à présent sa webradio. Sous le slogan "Dignité et égalité", Shams Rad émet depuis ce lundi 18 décembre, alternant musique traditionnelle et variété, témoignages et analyses politiques, chant soufi et musique internationale, vie sociale et vie culturelle, sans faire l'impasse sur le quotidien des femmes bies, lesbiennes, transexuelles, raconté par Amina Sboui, ancienne activiste des Femen.
Dès la première émission, l’équipe plante le décor : en 2017, la Tunisie a connu 66 arrestations d'homos présumés et 196 hommes gays sont actuellement enfermés. Depuis la France, quand on clique pour la première fois sur "Lecture", on entend Dalida répéter "Laissez moi danser, chanter en liberté". La tirade sonne comme un pied de nez à l'État tunisien qui a essayé à plusieurs reprise de faire taire les militants de Shams. Depuis deux ans que l'association milite pour la dépénalisation de l'homosexualité en Tunisie (punie jusqu'à trois ans de prison), l'association a affronté plusieurs affaires au civil mais aussi au pénal, pour "attentat à la pudeur" et "incitation à la débauche".

Entre deux feux

Malgré ça, l'équipe de la webradio est déterminée à émettre comme prévu, chaque jour, de 8 heure du matin à minuit. Grâce au soutien financier de l'ambassade des Pays-Bas, auprès de qui ils ont remporté un appel à projets faisant la promotion des droits de l'homme, les membres de Shams ont pu recruter cinq animateurs en plus du directeur de la radio, et comptent déjà gonfler leur équipe de deux autres personnes. "On a créé notre propre studio d'enregistrement au sein du local de l'association qui est bien sûr tenu secret à cause des risques d'attaques terroristes et d'agressions contre nos membres", dont certains dissimulent leur identité derrière un pseudo. Mounir Baatour ajoute auprès de Jeune Afrique que les autorités ont équipé le lieu d'un système de surveillance et que des policiers contrôlent l'identité des personnes souhaitant entrer dans l'immeuble. À TÊTU, il apprend que le directeur de la radio y est cloîtré jour et nuit à cause des risques qui pèsent sur sa sécurité : depuis l'annonce du lancement de Shams Rad le 11 décembre, il a reçu plus de 4 000 messages d'insultes et de menaces de mort. "Le directeur de programmation aussi, Nidhal Ziki, a reçu plusieurs menaces de mort. Il y a même eu un prêche du vendredi dans une mosquée de Monastir, sa ville natale, appelant à le tuer."
Hebergée sur le net, Shams Rad échappe au contrôle de l'autorité audiovisuelle tunisienne, mais elle n'est pas épargnée par la vindicte populaire ou religieuse. Une affaire portée devant la Justice par le Conseil national des imams et des cadres des mosquées vise à interdire la diffusion de la radio; l'audience est fixée au vendredi 22 décembre. L'aventure radiophonique pourrait prendre fin après seulement une semaine de diffusion, mais Mounir Baatour est magnanime : "L'avenir de Shams Rad dépendra de la Justice. On ne sait pas si elle va suspendre la diffusion ou pas. Si nous sommes autorisés à continuer, nous serons toujours la voix de la communauté LGBT en Tunisie et dans la région du Moyen-Orient et d'Afrique du Nord."
À LIRE AUSSI :

Couverture : Courtesy of Shams Rad