Christiane TaubiraErwann Binet : "À aucun moment je ne me suis senti embarqué dans une aventure que je ne maitrisais pas"

Par Adrien Naselli le 04/04/2016
Erwann Binet

Erwann Binet raconte à TÊTU sa croisade de l’année 2013 dans La Bataille du mariage pour tous, dont la sortie est prévue ce mercredi. La préface est signée Christiane Taubira et les bénéfices seront reversés à l’Inter-LGBT ainsi qu'a l'association Le Refuge.

 
Avec Charlotte Rotman, journaliste à Libération qui a couvert les débats du mariage pour tous, Erwann Binet fournit un récit ultra-détaillé des évènements, depuis l’engagement 31 de François Hollande jusqu’au vote de la loi. On le suit à la trace, des premiers dîners organisés par Christiane Taubira, lors desquels il se retrouve presque par hasard à travailler sur le projet de loi, au dénouement du 23 avril 2013. La Bataille du mariage pour tous est un plongeon dans les coulisses du pouvoir et du tourbillon médiatique qui a accompagné le projet de loi dont Erwann Binet, jeune député isérois faisant son entrée à l’Assemblée nationale après l’élection de François Hollande, est le héros.
 
Pourquoi avez-vous décidé d’écrire ce livre ?

J’ai commencé il y a longtemps. J’avais besoin de comprendre pourquoi on n’avait pas vu venir cette opposition farouche à la loi. Je suis parti des innombrables courriers que j’ai reçus en essayant de comprendre quels étaient leurs ressorts. Charlotte Rotman a eu l’idée de faire le travail à deux sous la forme d’un triple récit : celui d’une journaliste qui raconte les événements, celui d’un élu au cœur du système - mon récit à moi - et une troisième voix, celle du courrier des opposants.

 
Peut-être cette lecture ne vous plaira-t-elle pas, mais on a le sentiment que vous êtes le héros de l’histoire : Charlotte Rotman parle de vous à la troisième personne.

Il n’y a pas de héros dans ce livre, ou alors il y en a de très nombreux, dont évidemment Christiane Taubira – c’est la raison pour laquelle on lui consacre un chapitre entier. Je suis ravi qu’elle ait accepté de rédiger la préface : je la lis comme une sorte de teaser car on sent qu’elle aurait beaucoup à raconter. Au départ, je ne voulais pas qu’on construise le livre de cette manière ; c’est assez inédit. Notre éditeur, Jean Jacques Augier, nous a dit que cette alternance entre le récit de Charlotte et le mien, qui figure entre guillemets, donnait du souffle au texte. On a retiré des paragraphes entiers dans lesquels Charlotte voulait raconter davantage sur moi... Cette idée me mettait mal-à-l’aise.

 
Pouvez-vous revenir sur votre ambition initiale ? Vous vouliez produire une sorte d’analyse sociologique sur la base du courrier reçu ?

Quand on est élu, on reçoit en fait très peu de courrier. Je le regrette d’ailleurs, j’apprécie les échanges personnalisés. Pendant les débats j’ai été servi puisqu’aucun d’entre nous, et moi plus que les autres, n’a jamais reçu autant de courrier. Les gens ont pris la plume, fourni un effort. En lisant ces lettres – elles font l’objet d’une étude du CNRS, et je les livrerai aux archives – je me suis dit qu’elles étaient très importantes. Je ne comprenais pas pourquoi l’opposition avait l’air de penser que l’ouverture du mariage aux homosexuels allait attenter aux familles hétérosexuelles : « Ne touche pas à mon mariage », c’était ça leur message. Le fait de lire ces milliers de lettres m’a permis d’esquisser un début d’hypothèse : une grande partie des opposants estime être dépositaire d’un modèle : éduqué, qui ne divorce pas, relativement discret. Ils pensent que leur mode de vie, de faire famille, est une référence. Le mariage pour tous, ils l’ont considéré comme une manière de dire que leur modèle n’en était pas un, qu’il n’y avait peut-être même pas de modèle. Des gens m’ont même demandé : « Avez-vous pensé à ma propre souffrance ? » C’était soudain une souffrance pour eux de ne pas être considérés, reconnus comme le modèle unique.

 
Votre personnalité a été mise en avant par les journalistes. Un chapitre est d’ailleurs consacré à cela dans le livre : catholique, marié, père de cinq enfants. Pensez-vous que cela a permis de rallier des catholiques à la cause ?

Oui, cela a sans doute permis à des personnes croyantes et favorables au mariage pour tous d’être à l’aise dans leur engagement vis-à-vis de ce texte.

 
L’ouvrage nous apprend – et c’est une lecture qu’on retient peu, tant les événements se sont succédés – que le mouvement de contestation contre la loi est bel et bien parti de l’Église qui a mobilisé pendant tout l’été 2012 et en particulier le 15 août, le jour de l’Assomption, quand le clergé a été sommé de diffuser une « prière universelle » hostile au mariage pour tous. Pensez-vous que, sans l’investissement de l’Église, la Manif pour tous n’aurait pas existé ?

Je crois que non. La droite, pendant longtemps, n’a pas pris position. Elle était absente du débat pendant les premiers mois. Selon moi, le lancement des hostilités remonte en effet au 15 août 2012. Alliance Vita a pris le pas en faisant sa performance ridicule avec un oiseau, les hommes d’un côté et les femmes de l’autre, qui a été un foirage total. Mais Frigide Barjot est arrivée avec ses talents de com’. La Manif pour tous est bel et bien une agrégation de plusieurs mouvements plus ou moins proches de l’Église.

 
Et composée de personnes qui s’engageaient pour la première fois !

Oui. On ne m’enlèvera pas de la tête qu’il y avait de l’homophobie chez beaucoup, mais pour d’autres, en particulier des jeunes, ce débat public a permis une implication en politique.

 
Vous n’avez pas hésité à répondre publiquement à l’évêque de Bayonne qui parlait dans une lettre à son diocèse de « guerre idéologique »…

J’ai trouvé sa démarche extrêmement choquante, les mots étaient ceux qu’on pouvait retrouver chez un électeur du Front national. Je suis chrétien, c’était pendant le Carême, au début de la semaine sainte. Absolument pas le moment dans la vie d’un chrétien pour lancer des croisades et des appels à la violence. Ca m’a fait un bien fou de lui répondre, mais beaucoup de chrétiens de ce diocèse me l’ont reproché...

 
Pourquoi une telle bataille en France et pas en Espagne, en Angleterre, ou même en Italie où les débats autour de l’union civile ont provoqué moins de remous ?

Pourquoi en France ? Pour le pire, car nos institutions nous imposent un temps long. Faire adopter un texte de loi est une procédure très complexe. Et pour le meilleur car nous sommes un peuple qui s’affronte en politique. Je préfère un peuple qui investit la rue, les journaux, plutôt qu’un peuple qui reste en retrait. Je suis fier de mon pays, même si je pleure encore les excès, les violences, les mots insultants et homophobes qui ont été prononcés. Je ne veux garder de ce débat que le meilleur et donc tous ces couples qui peuvent se marier aujourd’hui.

 
Avez-vous eu peur pendant les grandes Manif pour tous ? Avez-vous pensé que François Hollande pouvait abandonner le projet de loi, comme il l’a fait sur la révision constitutionnelle dernièrement ?

A aucun moment je n’ai douté. Ni de notre combat, ni de notre capacité à résister. Quand on lit les lettres des gens qui descendaient dans la rue, on se rend bien compte qu’elles sont issues d’une partie de la population qui est minoritaire.

 
On vous découvre jeune député intimidé lors du premier dîner en compagnie de Christiane Taubira, le 30 juillet 2012. Avez-vous eu l’impression que tout allait trop vite pendant cette année ?

Pas du tout, car j’ai une capacité d’adaptation très importante. Je n’ai pas subi l’accélération, le débat a duré très longtemps mais je l’ai vu passer à très grande vitesse. C’était dense, passionnant, j’ai pu rencontrer des gens extraordinaires, vivre des moments de grande joie et d’autres plus délicats, mais à aucun moment je ne me suis senti embarqué dans une aventure que je ne maitrisais pas.

 
Lors de ce dîner, vous vous étiez prononcé très clairement pour la PMA. Comment avez-vous vécu son retrait du texte ?

Comme je le dis dans le livre, je suis convaincu qu’il faut que notre législation autour de la PMA soit revue et repensée. Notamment pour le sujet qui est un de mes chevaux de bataille : la question de l’accès aux origines. Cela ne concerne pas que les femmes homosexuelles. Quand Jean-Marc Ayrault nous a promis que la PMA figurerait dans la loi famille, qui devait passer à l’Assemblée dès l’été 2013, j’ai de la rancœur, mais je le crois. Dominique Bertinotti avait presque fini de l’écrire, rien ne pouvait laisser imaginer que c’était un coup pour nous faire taire. A posteriori, je suis très déçu qu’on ait loupé le coche.

 
Vous battrez-vous encore pour qu’elle soit autorisée ? Avant la fin du quinquennat ?

Plus on avance, et plus je suis pessimiste.

 
Comment avez-vous fait pour adapter votre vie personnelle à la déferlante médiatique qui a eu lieu pendant près d’un an ? Vous faites par exemple figurer la lettre d’une de vos cousines hostile à votre engagement...

Cette lettre est assez drôle, mais elle m’a un peu choqué. Comme si je devais me soumettre à une tradition séculaire, un modèle de pensée auquel tout le monde devrait se référer. C’est effrayant.

 
Comment expliquez-vous cette confusion qui est apparue entre le projet de loi et les études de genre, qui sont une discipline sociologique, et qui se sont invitées sous le nom de « théorie » dans la bouche des opposants ?

Dans les lettres que j’ai reçues, on trouve beaucoup de vocabulaire laissant penser que les rôles des hommes et des femmes sont clairement distincts, comme une loi de la nature qui donne à « l’homme » et à « la femme » des compétences et des caractéristiques différentes. Le couple homosexuel serait une rupture par rapport à cette complémentarité. Ces personnes là n’imaginent même pas qu’il y ait altérité dans un couple homosexuel. Forcément, de ce fait, il y a une confusion très rapide, et une autoroute vers ce qu’ils appellent « la théorie du genre ». De la même manière, je ne comprends toujours pas pourquoi on m’a certifié qu’en ouvrant la PMA aux lesbiennes on allait de facto ouvrir la GPA aux hommes.

 
Avez-vous une anecdote sur un député, une députée de l’opposition qui aurait changé d’avis à votre contact ?

Pas un seul. Aucun ne me l’a dit, pas même derrière le rideau. Ceux qui étaient favorables au texte l’ont voté. J’ai eu des contacts avec Franck Riester et je garde des contacts avec plusieurs collègues qui étaient dans l’opposition farouche, avec qui j’ai toujours plaisir à discuter, comme Philippe Gosselin. Certes, il n’est pas sur la même planète que moi. On a vécu les choses sur des bancs différents mais de manière aussi intense l’un que l’autre. En revanche, beaucoup de personnes hors du milieu politique m’ont dit qu’elles avaient évolué dans le débat. Je ne connais aucune personne qui soit partie avec un avis favorable et qui ait terminé avec un avis défavorable. Cela veut bien dire que le débat a été utile.

 
Vous racontez une anecdote amusante sur votre fille à la fin… elle vous dit qu’elle veut se marier avec son frère. Attention, vous jouez là avec la plus grande peur de vos opposants !

Oui, ça me faisait rire de la mettre dans le livre. C’est une gamine de cinq ans qui dit ça. Honnêtement, je suis moins inquiet pour ma fille que pour les enfants de cet âge qui étaient traînés dans les Manif pour tous.

 
 

Jean-Jacques Augier, ancien président de Têtu, est l’éditeur de La Bataille du mariage pour tous chez Books.

Erwann Binet
jean-Jacques Augier

 
À quel moment avez-vous pensé à Erwann Binet pour écrire ce livre ?

C’est Jérome Beaugé, l’actuel président de l’Inter-LGBT, et Nicolas Gougain, son ancien porte-parole, qui ont eu l’idée. Ensuite, au moment où j’ai dû arrêter la publication du magazine TÊTU, j’ai proposé aux deux auteurs de mener à bien leur projet dans l’autre maison d’édition dont je m’occupe, Books Editions. C’est aussi pour ça qu’il m’a semblé juste de faire profiter à l’Inter-LGBT des bénéfices du livre, ainsi qu’à l’association Le Refuge car je l’aide du mieux que je peux.

 
Est-ce aussi une manière de panser les plaies ouvertes par les débats ?

Non, c’est un investissement tourné vers l’avenir. La façon dont ce débat sur le mariage pour tous s’est noué a certes créé des aspects négatifs inattendus. Il ne s’agit pas simplement d’une plaie à panser car on aura encore besoin de toutes ces associations.

 
Le livre est très riche en anecdotes. Est-ce le reflet de votre projet en tant qu’éditeur ?

On a souhaité donner au livre le caractère le plus complet. Il fallait rendre palpable l’intensité de ce grand combat. Comme éditeur, j’ai été amené à rédiger les corrections. Je trouve qu’en plus d’être un récit haletant, il est intéressant sur le plan purement littéraire.

 
Erwann Binet
La Bataille du mariage pour tous - Sortie 6 avril 2016 - 292 pages - 18 euros