My.Kali : la passionnante histoire du premier magazine LGBT en Jordanie

Par Jérémie Lacroix le 27/05/2016
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My.Kali, le premier magazine LGBT jordanien et l'un des premiers au Moyen-Orient, va être publié en arabe. Un signe que les choses changent petit à petit dans le monde arabe.

My.Kali est le premier magazine LGBT jordanien et l'un des tous premiers au Moyen-Orient et en Afrique du Nord. Publié jusqu'à présent en langue anglaise, une version arabe va enfin voir le jour. Une révolution pour le magazine mais surtout pour la communauté LGBT dans le monde arabe. TÊTU a rencontré son fondateur et directeur, Khalid Abdel-Hadi, pour qu'il nous parle de cette évolution et de la situation de la communauté LGBT en Jordanie. 

My.Kali magazine LGBT arabe Jordanie
Photographié par Abdullah Dajani

Pourriez-vous nous raconter l’histoire de My.Kali ? Quelles sont ses missions ? Quel genre de magazine est My.Kali ?

My.Kali a été lancé fin 2007 comme un petit projet ayant pour but de documenter les problématiques LGBTI+ rencontrées en Jordanie. Le point de départ de tout cela a été un long article publié par un titre de presse islamique, intitulé « La Révolution et les pervers », et dans lequel j’ai été outé publiquement (j’étais en couverture de la première parution). N’est-ce pas ironique ? Un journal islamique a contribué au lancement du premier magazine LGBTI+ en Jordanie et l’un des premiers au Moyen-Orient et en Afrique du Nord.
En tant que jeune personne, je suis obsédé par l’actualité et la presse, le design et les arts. Cependant, la plupart du temps, les journaux internationaux et régionaux/locaux ne portent jamais la voix des personnes LGBTI+. Du fait de mon jeune âge à l’époque, les magazines ne m’embauchaient jamais, donc j’ai décidé de rejeter le rejet et j’ai juste lancé mon propre magazine. Le magazine a pour mission de maintenir une visibilité et d’être une voix récurrente, forte et puissante de la communauté LGBTI+ au Moyen-Orient et en Afrique du Nord.  À travers le magazine, nous promouvons l’acceptation, l’individualité, et des perspectives différentes sur le genre et la sexualité. Ce webzine reflète la difficulté d’être à la fois arabe et une personne LGBTI+.

 
Pourquoi vouliez-vous jusqu’à présent publier seulement en langue anglaise ?

Vous savez, à ce moment là, nous ne voulions pas d’une attention inutile, nous voulions débuter discrètement et rester clandestin, secret, le temps de bien penser les choses. Nous voulions être hors de portée des radars aussi longtemps que possible. Publier en arabe aurait pu nous causer de réels problèmes et étouffer notre magazine naissant.

 
Quelle est l’attitude des Jordaniens envers les personnes LGBT et envers un magazine tel que le votre ?

La Jordanie est l’un des seuls pays arabes à ne pas criminaliser l’homosexualité ou le fait d’être une personne LGBTI+. Cependant, cela ne signifie pas que ce n’est pas stigmatisé socialement. Faire son coming-out et vivre pleinement et confortablement son homosexualité en Jordanie est très difficile. Cela dépend de votre classe sociale, de l’endroit où vous vivez, c’est peut-être un peu plus facile à Amman - la capitale. Imaginez combien cela peut être difficile pour toute une frange de la communauté. Les opinions sur l’homosexualité varient sensiblement en fonction des critères précités. Vous trouverez des couples gays et lesbiens vivant ensemble à travers le royaume. Mais vous trouverez aussi de nombreux commentaires et comportements homophobes et transphobes dans les médias généralistes, dans la rue et même sur les réseaux sociaux. Je ne mentionne pas les cas de harcèlement et d’agression, de la part des membres de la famille, à l’école ou au travail. Cependant, rien n’est impossible.

 
Est-ce dangereux de diriger un magazine LGBT en Jordanie ? Au Moyen-Orient ? Avez-vous déjà été menacé ?

Ce n’est pas facile d’être gay au Moyen-Orient et de diriger seul un magazine LGBT. Vous pouvez imaginer ce qu’en pensent mes parents, le souci que ça peut créer… C’est dangereux, c’est sûr ! Ne l’oublions jamais ! Je vis dans un environnement homophobe très difficile. C’est plus facile parfois de vivre dans le déni. Cependant, notre magazine tend à rendre plus visible la communauté LGBTI+ et contribue visuellement à casser les stéréotypes autour des personnes LGBTI+. Il y a encore de nombreuses personnes qui se demandent « Pourquoi disent-ils qu’ils sont gays ? Ca ne se voit même pas… ». On reçoit donc des menaces classiques de temps en temps. Néanmoins, nous tentons voire réussissons parfois à avoir un débat avec le public, plutôt que de seulement publier un magazine LGBT sans conduire au-delà un vrai débat. Ça ne ferait que crisper les choses.

 
Pensez-vous justement que les mentalités ont évolué depuis que My.Kali existe ? Comment expliquez-vous cette longévité ?

J’aime à penser que les mentalités ont évolué et que nous y avons contribué. Nous faisons partie d’un mouvement, d’une évolution. Avoir une voix importante comme la notre remet en question les stéréotypes, offre une visibilité saine et positive, ce qui contribue inévitablement au débat et donc à l’évolution forcée ou non des mentalités. Cette plateforme qu’est My.Kali offre des perspectives nouvelles, une visibilité intéressante et reflète la pluralité des pensées et des idées des membres de la communauté. Cette longévité s’appuie sur un travail collectif, mis en place par la communauté à destination du grand public. C’est donc une approche inclusive au sens large, plus qu’exclusive et communautaire. Dans mes rêves les plus fous, je n’aurais jamais imaginé faire partie d’un magazine LGBTI+ en Jordanie, lequel met en avant des artistes reconnus, notamment en couverture.

 
Pourquoi avoir décidé aujourd’hui de publier My.Kali en arabe ?

Après 9 années, je pense que nous sommes enfin prêts. Après avoir reçu tant de lettres de soutien et de demandes de la part de personnes ne parlant pas anglais, il était temps de publier le webzine en arabe. C’est quelque chose dont nous ne sommes pas peu fiers aujourd’hui. Les besoins sont devenus plus grands et la publication ne devrait pas être réservée seulement à un public anglophone, peu importe les risques.
My.Kali reflète les identités, les minorités, les idéologies et la communauté arabe. On ne peut pas prétendre représenter cette identité sans se battre pour la langue, dans la langue, en considérant que c’est un élément de grande valeur dans le processus de visibilité.

 
Selon vous, quelle serait l’étape la plus important que le gouvernement jordanien pourrait entreprendre actuellement envers la communauté LBGT ? Qu’est ce qui est le plus urgent ?

Je pense que la communauté trans est la plus fragile. Il est crucial que les activistes se focalisent sur leurs problématiques. Changer la législation afin que les trans puissent choisir librement l’image qui reflète leur identité de genre pourrait faire une grande différence pour la communauté trans, principalement du point de vue de l’état civil. C’est un des exemples qui me vient à l’esprit. Je pense que nos pays ont besoin d’avoir un débat sain sur les sexualités, les identités de genre et l’orientation sexuelle. Une fois que l’on atteindra ce débat sans que la religion y interfère, les choses pourront évoluer, pour tout le monde. Sans cela, ce serait un débat stérile qui n’apportera rien de bon.

 
Apparemment, vous connaissez bien TÊTU puisqu’un article au sujet de My.Kali avait été publié en 2012. Qu’avez-vous pensé de la disparition de TÊTU ? Est-ce que cela révèle combien la visibilité LGBT est fragile ?

Pour moi, cela a signifié beaucoup, au regard de ma position, puisque je pouvais m’y identifier directement à travers My.Kali. J’étais à Paris à ce moment-là et je me rappelle que quelques amis étaient en train d’en discuter et que j’avais demandé « Mais qui va porter la voix LGBT dans les médias français dorénavant ? ». J’ai grandi en entendant parler de TÊTU, Attitude, Out et bien d’autres publications LGBT à travers le monde. Ces publications sont des phares pour chaque communauté. Ce sont des voix. Comment pouvons-nous nous en passer ? C’est effrayant de voir combien la visibilité LGBT peut être fragile et donc l’importance de son existence, de sa stabilité et de sa durabilité, car elle reflète des communautés et leurs réalités.