Marche des fiertésRadical ? Le mouvement trans et intersexe veut juste qu'on l'écoute

Par têtu· le 02/11/2017
Trans Intersexes Existrans Radicalite

Samedi 21 octobre, 2 500 personnes étaient rassemblées autour du camion en tête du cortège de l’Existrans, la marche pour les droits des personnes trans et intersexes.

Par Cy Lecerf-Maulpoix
Pour cette 21ème édition, un mot d’ordre : "Face aux oppressions d’État, raciales et médicales, intersexes et trans contre vos violences". Associations et collectifs se relayaient pour dénoncer les multiples urgences et témoigner : insuffisances de la loi Justice du XXIe siècle, conséquences désastreuses de la pénalisation des clients sur les travailleuses.eurs du sexe, violences et discriminations à l’école, à l’université, sur le lieu de travail, à l’encontre des trans raciséEs, des réfugiéEs.
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L’accompagnement médical est l’une des nombreuses inquiétudes évoquées par Jules, membre du collectif organisateur. Outre la dimension aléatoire des remboursements des frais médicaux en fonction des situations et des caisses maladie, il cite également la SoFECT dénoncée depuis des années par la communauté pour ses pratiques abusives. Officiellement présentée comme une association de professionnels médicaux "spécialisée dans la prise en charge et la chirurgie du transsexualisme (sic) en France", elle agit comme un lobby cherchant à développer le monopole d’un accompagnement. "Ils font pression sur d’autres médecins pour conserver leur monopole, explique Jules. Le risque est évidemment pour nous de ne plus pouvoir choisir nos médecins", et par conséquent de se retrouver soumis à de potentielles violences. Dépathologiser les transidentités, démanteler des organes abusifs, telles sont les demandes et préoccupations sur lesquelles l’État ne s’est prononcé que partiellement lors du passage de la loi Justice en novembre 2016. Contactée par TÊTU pour expliquer ses activités, la SoFECT demeure silencieuse.

Une loi qui divise

À cette époque, médias, politiques et associations LGBT plus institutionnelles comme l'Inter LGBT avaient ainsi pu se féliciter de la loi qui comprenait un ajustement concernant la possibilité de démédicaliser la procédure du changement d’état civil pour les personnes trans. Celle-ci impliquait de pouvoir se rendre devant le tribunal sans une justification médicale autorisant le changement de la mention du genre. L'ajustement est jugé insuffisant par une majorité d’associations membres de l’Existrans et par l'Inter LGBT elle-même qui regrettait que "toutes nos revendications n’aient pas été entendues, en particulier la déjudiciarisation de la procédure". L'Existrans dénonçait surtout l’éternelle soumission à l’autorité d’un juge (ou de la mairie dans le cas du changement de prénom) et l’obligation de "justifier de sa transidentité selon des stéréotypes femme/homme binaires et caricaturaux" soumis "à l’arbitraire" d’un tiers.
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Aujourd’hui, l’application de cette loi est l’arbre qui cache la forêt. Adrian de la Vega, YouTubeur présent à la marche (qui figurait en couverture du numéro 213 de TÊTU), reçoit de nombreux témoignages : "Les tribunaux ne sont pas au courant de la loi. Pour le changement de prénom, on doit imprimer et ramener les décrets avec nous à la mairie. C’est encore très aléatoire et parfois c’est impossible. Ils demandent des papiers ou l’accord des proches. La loi n’est pas respectée". Concernant la marche, "il y a eu un changement de mot d’ordre par rapport aux années précédentes", observe Sam Bourcier, sociologue à l’université Lille 3 dont le dernier livre, Homo Inc.orporated, revient notamment sur les stratégies d’inclusion des LGBT dans le système néolibéral. "Si la question importante des papiers traverse tous les mouvements de la communauté trans, aujourd’hui le mot d’ordre est plus générique, poursuit-il. Il se prononce plus visiblement contre les différentes formes d’oppression étatiques".

De la radicalité

Ce changement intervient alors même qu’a éclaté une polémique autour de la participation de l’association des policiers LGBT Flag!. L’association avait ainsi annoncé sur les réseaux la création d’un cortège sans avoir consulté le collectif organisateur en amont. Ce-dernier avait fini par la refuser. Un choix qui s’était soldé par la désolidarisation et le retrait de la marche de plusieurs associations au sein du réseau de l’Inter-LGBT. Quelques minutes avant le départ de la marche, dans un tweet et un post Facebook, le conseiller à la lutte contre la haine anti-LGBT à la DILCRAH et ex-président de Sos Homophobie, Yohann Roszéwitch, adressait également son soutien à Flag! et évoquait "la radicalisation d’une partie du mouvement LGBT".
Contacté par TÊTU, celui-ci réaffirme à la fois son "ferme engagement contre la transphobie" et critique "cette radicalisation contre la police" et "l’essentialisation du corps policier". Il dénonce également "des accusations délirantes" de transphobie vis-à-vis des membres de Flag!. Or la contestation de la présence de cortèges policiers LGBT-friendly au sein des Marches n’est pas nouvelle. Aux États-Unis, le No Justice, No Pride interrompait ainsi la Pride de Washington cette année pour dénoncer les violences exercées par les corps étatiques et notamment policiers à l’encontre des personnes LGBTI de couleur. Au Canada, la Pride de Toronto a connu cette année sa première Marche sans présence policière dans le cortège, tandis qu’une association de soutien aux réfugiés se retirait de celle de Vancouver pour protester contre la présence d’une association équivalente à Flag!.
L’accusation en radicalité dessine clairement une fracture entre une frange associative plus institutionnelle et des associations ou collectifs souvent majoritairement composés de personnes directement impactées par les violences actuelles (et de fait moins écoutéEs par les instances gouvernementales). "On agite la radicalisation comme une mauvaise chose alors que c’est le signe au contraire que nous nous positionnons à nouveau plus fermement pour dénoncer symboliquement ceux qui nous attaquent, analyse Cléa, une jeune participante en début de marche. Depuis Stonewall, l’opposition directe et la critique ouverte des violences institutionnelles, notamment policières, a nourri et influencé l’activisme tel qu’il existe aujourd'hui. S'emparer de l’accusation de radicalisation, c’est une manière de retourner aux sources des premiers mouvements radicaux queers", ajoute-t-elle.
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En France, de récents événements judiciaires confirment cette violence. Alors que le cortège se met en marche, un groupe de soutien à Kara, jeune trans américaine incarcérée en France dans une prison pour hommes suite à l’affaire de la voiture brûlée, entonne des slogans pour dénoncer une "manipulation judiciaire" et l’étendue de l’appareil d’oppressions des corps et des identités, du commissariat en passant par les tribunaux, jusqu’à la prison. "L’articulation entre des politiques antiracistes et trans est un vrai enjeu", confirme Sam Bourcier.

Recomposition du paysage ?

Au-delà de la radicalité brandie comme accusation donc, ces récentes polémiques et prises de position du collectif Existrans manifestent le besoin de redessiner les contours d’un paysage militant et activiste trans et intersexe depuis plusieurs années. Eliazar, 21 ans, jeune étudiant en Lettres, et Adrian de la Vega se rendent tous les deux à l’Espace Santé Trans parisien qui, depuis deux ans, propose des consultations psychothérapeutiques et plus récemment médicales. "Avant c’était beaucoup plus compliqué", confie Eliazar qui relate les discriminations avec ses anciens médecins. Dans cet espace, "les médecins sont trans ou alliéEs et à l’écoute, ils peuvent adapter les taux d’hormones. Je ne vais plus voir d’autres médecins que là-bas", explique quant à lui Adrian. Un succès à la mesure du besoin encore criant et de la nécessité de s’émanciper de la SoFECT. "L’Espace santé Trans fait ce que l’État ne fait pas", ajoute-t-il.
De même, la création d’une Fédération Trans et Intersexes l’année dernière constitue une avancée notable. Aujourd’hui composée de 13 associations dans toute la France, "cette fédération à la première personne est gérée uniquement par des personnes trans et intersexes" explique Giovanna Rinçon, présidente de l'association Acceptess-T. Elle compte notamment mettre en place un observatoire sur la loi Justice du XXIe siècle et son application dans toute la France. Elle vise également à devenir l’interlocuteur principal du gouvernement dans l’élaboration de politiques pour leurs droits. "Depuis la loi Justice, l’agenda trans est devenu quasi-inaudible, on sait que le nouveau gouvernement ne veut pas changer quoi que ce soit. Il faut former et sensibiliser les politiques", ajoute Giovanna. Une tâche qui n’est pas évidente à l’heure où les enjeux qui animent l’intérieur de la communauté trans sont multiples et que l’accusation de radicalité décrédibilise des acteurs qui portent pourtant des revendications essentielles.
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Vers un combat médiatique

Le collectif Intersexes et alliéEs créé en novembre 2016 est une autre initiative. Pour Loé, l’un.E de ses cofondateurices, "un cap a été franchi dans le militantisme intersexe". Le collectif, très présent sur Facebook et les réseaux sociaux, organise notamment une Quinzaine des visibilités Intersexes jusqu'au 7 novembre dans toute la France. Expositions, projections-débats, discussions et tables rondes composeront ces deux semaines de sensibilisation. Exposer différents vécus, différents récits de violences médicales, sociales et familiales au travers de conférences et d’échanges publics correspond à l’une des manières de transmettre l’information. Le dialogue avec les médias en est une autre. Pour ce faire, une conférence table-ronde menée avec des journalistes de l’AJL (Association des Journalistes LGBTI) a eu lieu fin octobre. Adrian de la Vega, récompensé d’un Out d’Or par l’AJL en juin dernier, est ainsi de plus en plus sollicité par les médias y compris télévisuels. Celui-ci refuse néanmoins toute participation aux émissions qui donnent dans le sensationnalisme : "Je cherche toujours à me renseigner et me protéger. Je suis conscient du fait qu’une visibilité c’est bien, mais pas n’importe comment". Internet opère en ce sens différemment. YouTube, Snapchat, Facebook, les réseaux offrent paradoxalement un contrôle et une liberté aux concernéEs qui sont plus à même de diffuser des messages accessibles pour les personnes trans et intersexes mais également pour les cisgenres. "Les YouTubeurs sont souvent de bons porte-paroles pour toucher les cisgenres", conclut Eliazar. Adrian cite quant à lui le YouTubeur américain Upper Chase comme source d'inspiration.
Un travail essentiel à l'heure où s'emparer de la parole médiatique et reprendre la main sur les images produites pourrait s’avérer essentiel dans les luttes, y compris radicales, à venir...
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Photo de couverture et photos d'illustrations : Gaëlle Matata, originellement publiées sur le site de Friction Magazine