Interview : Club Cheval : « Parfois il suffit de tourner la tête pour qu'il se passe quelque chose »

Par Julie Baret le 02/04/2016
interview club cheval

TÊTU a rencontré les DJs Canblaster et Panteros666, qui forment avec Myd et Sam Tiba le groupe Club Cheval, pour la sortie de leur album Discipline.

Ils sont quatre musiciens talentueux. Ils ont partagé des scènes américaines avec Skrillex, Gesaffelstein et bien d’autres, et ils reviennent en France pour présenter leur premier album. Club Cheval a sorti Discipline le 4 mars, un savant mélange d’électro et de R’n’B qui cartonne en Australie et aux Etats-Unis. Nous les avons rencontrés dans les locaux de la Warner à Paris.
TÊTU : Est-ce que vous pouvez présenter Club Cheval à nos lecteurs ? Par exemple en commençant par nous expliquer ce nom ?

Panteros666 : Alors au départ le groupe s’appelait juste "Cheval", parce qu’on aimait bien ce mot là. C’est un mot qui sonne bien en français et dans toutes les langues. Et puis on aimait bien ce que le cheval représentait : la force, la robustesse, l’utilité pour les hommes, et tout ce qu’on a pu créer grâce à lui.
Canblaster : Et on est quatre donc c’est un peu les quatre pattes du cheval.
Panteros666 : Mais « Cheval » c’était trop galère à trouver sur Google, on tombait que sur des clubs d’équitation donc les gens nous disait que c’était chiant, qu’ils n’arrivaient pas à trouver notre blog. Parce qu’au départ on a créé un blog qui s’appelait "Cheval", et on mettait tous nos morceaux et nos mix, gratuitement. Après ça s’est transformé en Club Cheval. On a rajouté "Club" parce qu’au début on était un peu comme une ludothèque, on mettait en commun nos connaissances, nos instruments, on se rendait des services, on se faisait écouter plein de trucs. Comme un club de lecture et de réflexion, de poésie...
Canblaster : Si on avait besoin d’un synthé on allait chez moi pour enregistrer, si on voulait s’entrainer à mixer, on allait chez (Sam) Tiba…
Panteros666 : Pour enregistrer des batteries on allait chez moi voilà, on faisait plein de trucs comme ça.
Canblaster : Chacun avait un peu son petit monde et on croisait tout ça ensemble.

TÊTU : Est-ce que vous pourriez nous résumer votre parcours ?

Panteros666 : Nous on s’est rencontré quand on était étudiants à Lille, tout simplement. Myd il a rencontré Canblaster dans un bus.
Canblaster : Oui c’était un voyage pour un festival du court métrage très précisément. J’écoutais un disque dans le bus et Myd il est venu me demander ce que c’était, j’ai dit « ah c’est mon disque à moi, de mes musiques, que je suis en train d’écouter. » Du coup je lui ai passé, il a bien aimé et pas très longtemps après je l’ai remplacé en tant que claviériste dans son groupe parce qu’il faisait de la musique aussi.
Panteros666 : Et puis moi j’ai rencontré les autres dans un train entre Amiens et Lille. Et Sam (Tiba) on s'est rencontré à l’université en fait, parce qu’on était les deux seuls mecs qui faisait chier tous leurs potes parce qu’on parlait de musique tout le temps. Souvent quand t’es obsédé par la musique tu te rencontres.

TÊTU : Quelles ont été les influences que vous avez pu agréger tous ensemble ?

Panteros666 : Myd, le mec qui a changé sa vie c’était Fat Boy Slim. Sam (Tiba), via ses parents il écoutait beaucoup de musique noire des années 60 et 70, beaucoup de soul, de funk, de rythm’n’blues et beaucoup de chanson française aussi je pense. Michel Jonasz ou des trucs comme ça...
Canblaster : Ca fait partie des trucs où ils se sont retrouvé un peu avec Myd. On a un peu des atomes différents les uns des autres...
Panteros666 : Moi j’écoutais beaucoup d’italo disco, c’est de la disco italienne des années 1980, très électronique. Et de l’euro dance aussi, et du gabber. Donc des styles électroniques mais très salés.
Canblaster : L’italo disco c’était très très populaire auprès de certains mouvements gays à une époque d’ailleurs non ?
Panteros666 : Oui moi j’ai commencé mon premier DJ set dans un bar gay à Bruxelles, l’Homoerectus. Parce qu’en fait j’écoutais plein d’italo, j’étais en stage à Bruxelles, et en fait tous les blogs c'était des américains de San Francisco qui avait Blogspot et qui mettaient toute leur discographie d'italo disco en téléchargement libre. Et c'était que des blogs gays avec des photos où c'était que des soirées gays. Du coup je me suis dit que j’avais envie de faire un DJ set de ça et donc je suis allé dans un bar gay de Bruxelles. Et c’était hyper bizarre en fait parce que je suis arrivé là-bas avec une chemise seventies verte et des boutons de manchette en or, je me souviens, donc j'avais le look un peu italien-dandy-fluo, et j'ai commencé à jouer mon set. Et au bout d’un quart d’heure tout le monde m’a gueulé dessus. Et ils m'ont dit « hé on n’est pas des vieux cons, t’as pas du Black Eyed Peas ? » et du coup je me suis fait viré. (rires) Mais après j'ai fait des soirées italo à Berlin, avec des potes, et là c'était trop cool. Parce que c'était la mode avec International Deejay Gigolo, et l'electroclash et tout ça. Même Miss Kittin & The Hackers ils écoutaient à fond de l'italo et du new wave.
Canblaster : Moi aussi, maintenant que j’y repense y a eu une petite histoire dans un bar gay avec Myd. Nous on connaissait pas du tout, on arrivait à Paris, on mixait à Lille encore à l’époque. Et on mixe dans un lieu qui s’appelle le Zorba, c'était peut-être même avant Club Cheval. Et on arrive dans une sorte de salle, on commence à mixer, et les gens sont de plus en plus chaud. Donc toute la soirée se passe bien, puis au bout d’un quart d’heure ou une demie-heure de set, la cave commence à se remplir. Et je mets un disque d'Herbie Hancock, "Rockit", donc un disque un peu scratch, old school et tout... et là y deux mecs qui commencent à s'avancer, qui se font une espèce de face à face et tout. Donc je me dis « génial, il va y avoir des petits mouvements de break ! » Et en fait les mecs commencent à se rapprocher, et on se regarde avec Myd et on capte qu'en fait y a que des mecs dans toute la cave, et on remarque à ce moment-là que c'est un truc gay en fait. On n’avait pas remarqué avant. Et ça a été génial. Toute la soirée c'est hyper bien passée, y a même des gens qui sont venus après pour nous demander si on pouvait mixer à leur "ANNIF" je me souviens. Donc pour moi un très bon souvenir de cette soirée-là.

Panteros666 : Oui puis quand on est tous arrivés à Paris à la fin des études, on venait de créer Club Cheval, et du coup très vite quand on était en club les mecs disaient "ah c'est vous Club Cheval !". Et donc ça allait de Para One, Surkin, Teki Latex, et puis Brodinsky très rapidement, Pedro Winter, Justice... Tous ces gars-là c'était des mecs qu'on idolatrait en fait. Et on les a rencontrés, et ils nous ont dit "hé passez au studio, c'est trop cool votre musique"... Et du coup on a très vite été adopté par toute la scène française.
Canblaster : On était un peu une question pour eux au début.

Club Cheval interview
Crédit photo Etudes Studio - Priscillia Saada

TÊTU : Et aujourd'hui comment vous définiriez votre style musical avec tous ces mélanges, toutes ces hybridations ?

Canblaster : R'n'B électronique ça sonne pas mal.
Panteros666 : Ouais pour l'instant on mélange house et R'n'B, carrément, c'est plus ça.
Canblaster : "R'n'B de club", comme il y avait du "R'n'B de rue".
Panteros666 : Oui mais bon après c'est pas le style qu'on a défini pour toute la vie de Club Cheval. C'était la direction artistique pour cet album-là, mais Club Cheval ça reste un laboratoire plus qu'un groupe.
Canblaster : Oui c'est-à-dire que le "R'n'B de club" ça serait le style de Club Cheval pour Discipline, pas de Club Cheval l'entité.
Panteros666 : Et puis dans la grande tradition des groupes de musique électronique française, t'explore un style précis à chaque fois. C'est ça dans les grands albums qu'on a écoutés, comme chez Daft Punk ou Cassius.
Canblaster : Et puis l'album de Kindness qui a été réalisé par un des membres de Cassius et qui est très très bien aussi.

TÊTU : Etant donné que chacun propose son propre style, ça n’est pas difficile de travailler à huit mains ?

Canblaster : Au contraire, le fait d'avoir ce style un peu défini ça nous cadre complètement, et ça devient très facile de bosser.
Panteros666 : C'est pour ça qu'on a appelé l'album Discipline tu vois. On a du se trouver aussi une discipline esthétique, où au bout d'un moment on a choisi ensemble d'explorer le style R'n'B US qui va des Neptunes, Lucy Pearl, Timbaland et tout ça, à des trucs plus expérimentaux et contemporains comme Frank Ocean et Actress. Et on est restés là-dessus. Chacun bossait pour obtenir la version de ce style par Club Cheval, et par les milliards d'influences qui viennent s'agglomérer autour. Mais il nous fallait ce cadre.

TÊTU : C'était important pour vous aussi d'avoir un interlude de chacun dans l'album ?

Canblaster : Oui c'est un peu comme quand y a le solo du guitariste ou du batteur, ça n'existe plus vraiment dans la musique aujourd'hui, donc c'était important d'avoir un petit appel de chaque membre.

TÊTU : Comme dans les concerts de rock ?

Panteros666 : C'est ça, c’est le petit selfie musical !
Canblaster : En live il y a ce dont tu parles d'ailleurs, une petite lumière sur untel qui fait son petit solo...
Panteros666 : Et nous on a créé cet album, on ne voulait pas que ça soit un rassemblement de chanson un peu n'importe comment, sans lien les unes entre les autres.
Canblaster : Justement ces interludes ils aident à consolider l'album. Comme un film qui serait en plusieurs épisodes, comme une série qui serait en plusieurs saisons.
Panteros666 : Avec des moments de tensions et d'autres relâchements... C'est pas toujours la même chose. Tu peux l'écouter un peu comme un mix à thème, on adore ça, tu peux l'écouter du début jusqu'à la fin et c'est comme si t'avais un petit conte audio.

TÊTU : Vous avez fait beaucoup de reprises et de collaborations. Est-ce que vous avez des idées futures de ce type ?

Canblaster : Nous on a eu de très beaux retours sur l'album aux Etats-Unis et on va y aller cet été. Du coup on va pouvoir bosser avec notre label américain.
Panteros666 : Oui, il y a Pharrell Williams qui vient d'ouvrir son show sur la radio Beatz avec un morceau de l'album, et il a dit que c'était génial. Que c'était ça la musique, que c'est avant tout des "feelings". Donc en gros, le fait qu'il ait validé notre album et qu'il nous ai repéré, ça nous ouvre une porte. C'est comme dans le business, il faut des recommandations, et c'est un peu le videur du club américain où on veut pouvoir rentrer. Et là on va bosser avec des plus de chanteurs… Si tu veux l'album c'était Discipline, et là on va pouvoir un peu relancer une phase de chaos musical pour encore deux ou trois ans, avant de se reposer et de faire le deuxième. Pour qu’il naisse comme le premier, dans un espèce de chaos musical où un choix émergera.

TÊTU : Vous avez joué à la Gaité Lyrique au début du mois. Qu'est-ce que ça fait de revenir vers le public français ?

Panteros666 : Bah en fait c'était la première fois qu'on avait devant nos yeux le public de Club Cheval qui connaissait l'album. C'est-à-dire que les gens chantaient les paroles. Ils venaient voir Club Cheval et pas nous quatre séparés.
Canblaster : Et pas non plus nous quatre dans le cadre d'une autre soirée avec un Dj avant et un DJ après. Notre première partie d'ailleurs c'était hyper bien.
Panteros666 : Du coup tu flippes toujours un peu parce que tu te demandes si les gens vont venir. Et au final c'était complet donc c'est touchant.
Canblaster : Ça veut dire que les gens sont là ici. Parce qu'au final on savait qu'ils étaient là aux Etats-Unis ou en Australie, on les a vu devant nous, mais les voir devant nous vraiment ici c'est cool.

Club Cheval interview
TÊTU : En parlant de Discipline, il y a un univers graphique vraiment très fort autour du numérique et de la sérialisation. Quel message vous avez voulu faire passer ?

Panteros666 : Nous en fait on voulait incarner la musique du futur. Et donc on a demandé au studio graphique Etudes de nous mettre en scène l'homme du futur. Et en gros, avec comme titre d'album "Discipline", ils sont tombés sur cette homme qui s'appelle Moon pour incarner la musique, qui est Coréen et qui a un peu une tête de ce que ça va être l'avenir. Parce que l'Europe et les Etats-Unis c'est quand même beaucoup moins vivant que ce qu'il se passe en Asie. Et en gros on voulait présenter un homme uniformisé. Comme nous, on est toujours décalé mais on fait quand même le travail comme tout le monde.
Canblaster : C'est peut-être juste le fait de tourner la tête pour regarder ce qu'il se passe à côté. Des fois il suffit de faire ça pour qu'il se passe des choses.

TÊTU : Dans le clip du titre "Discipline", on peut voir deux jeunes hommes puis deux jeunes femmes s'embrasser. Pourquoi ce parti-pris ?

Panteros666 : C'est pas un parti-pris, c'est la réalité, c'est tout.
Canblaster : Et puis justement le fait de les mettre, c'est ne pas prendre de parti pris. Ça fait partie de la réalité.
Panteros666 : Parce qu'en plus tu regardes tous les clips de musique électronique en ce moment, les trucs qui passent à la radio, à chaque fois c'est des histoires d'amour hétéros avec un mec et une guitare, ou un mec qui sort d'un club et qui ramène une meuf et ils se retrouvent à regarder le coucher de soleil ensemble et tout. Et nous c'est comme en musique, dès qu'on voit une barrière, on kiffe la faire sauter.

TÊTU : Justement, quelle est votre opinion à tous les deux concernant les questions LGBT, en France mais aussi à l'étranger ?

Panteros666 : Bah pour avoir souvent joué en Russie, je peux te dire qu'en France... A part le truc autour du mariage que moi je n'avais pas vu venir. Je pensais que ça allait passer comme une lettre à la poste, comme ça s'est passé en Hollande ou en Angleterre.
Canblaster : Oui il y a beaucoup de potes européens qui se sont bien foutus de ma gueule à cette époque-là (rires). On est un peu en retard là-dessus.
Panteros666 : Ouais ouais pareil. Mais c'est vrai qu'en France, y a beaucoup de réac', et des réac' qui sont déguisés en plus... Y a des gens en fait, même dans la musique, partout, ils veulent passer pour des gens open ou progressistes, et en fait les mecs ils sont vachement accrochés aux vieilles valeurs traditionnelles qui nous nous casse assez les couilles. Pour nous une fois que t'as 18 ans t'évolue, que ce soit ton milieu social ou tes préférences, t'es libre de faire ce que tu veux.
Canblaster : Mais c'est vrai que cette question de mélange ça définit bien le truc français en même temps. Et ça se retrouve dans notre musique, ce mélange entre le désir d'aller de l'avant et ce truc de tradition. Même la façon dont la musique se fait depuis plusieurs années. Même ce format d'album qu'on a choisi avec les interludes et tout. Je trouve que ça se ressent. Le côté traditionnel de la France et en même tout le truc avec internet.
Panteros666 : Ouais mais c'est lent. Dans des pays comme les Etats-Unis, ils te changent la société d'un coup comme ça. Genre tu vois Skrillex et Diplo ils sont arrivés, et boum, tout le monde écoute de l'électro, sort en club, et prend de la MD. Ici tout est beaucoup plus lent. Nous on s'est attaqués au R'n'B, les gens ne comprennent pas, alors qu'on fait de la musique. Dès que tu fais un album tu t'enfermes pas dedans. Nous on aime la musique parce que c'est un océan de liberté. Moi je suis toujours surpris quand on me dit "ah t'as un style bizarre". C'est pas moi qui suis bizarre, c'est le gens qui sont trop normaux ou trop fermés d'esprit. Je me fais arrêté tous les jours dans les aéroports et tout parce qu'ils pensent que je transporte de la drogue ou je sais pas quoi. Alors que j'ai Bac+5.
Canblaster : C'est que, par rapport à beaucoup de pays voisins comme la Belgique, l'Angleterre ou l'Allemagne qui fait fantasmer pas mal de gens en ce moment, y a ce truc de liberté où la France c'est encore un peu lent.
Panteros666 : Oui tu vois moi j'ai les cheveux bleus et les grand-mères elles me regardent avec des yeux traumatisés. En Hollande ou dans les autres pays, même dans les petites villes, ils en ont rien à cirer, donc c'est assez agréable. Mais quand tu reviens ici, genre là j'ai failli faire une date à Poitiers, les gens vont s'arrêter dans la rue et me prendre en photo quoi. Je me rappelle que quand je prenais des cours de politique anglaise depuis les années 1940, bah mon meilleur pote était transsexuel, et du coup il avait décidé de s'appeler Sandy. Et le prof s'en foutait ! Direct il l'a appelé par sa vraie identité quand on a fait l'appel, et le mec a fait "no, my name is Sandy please, can you call me Sandy ?". Le mec il a barré, il a mis Sandy, et voilà.

TÊTU : Ça veut dire quelque chose pour vous de parler à un média comme TÊTU qui essaie d’alerter ses lecteurs sur la discrimination faite contre la différence ?

Panteros666 : Oui moi je trouve ça dommage que ce soit un truc que seuls les gays pratiquent. C'est comme toutes les questions de féminisme et tout, je pense que c'est vraiment un truc que les mecs doivent faire. Je dirais même que c'est les gens qui sont pas gays qui devraient plus bosser le sujet en fait. Je ne sais pas comment. Que ça soit pas accepté c'est quand même dingue. Moi je ne comprend toujours pas.

Club Cheval sera en concert au Printemps de Bourges le 16 avril, et agitera cet été les scènes du Sonar de Barcelone, et du Dour Festival en Allemagne.
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Pour plus d'informations : http://www.clubcheval.net/

Crédit photo couverture Etudes Studio - Priscillia Saada