Interview : Pégase : "Je suis ravi que ma musique plaise à des gays, des lesbiennes, des cathos, des arabes…"

Par Julie Baret le 22/05/2016
Pegase interview

TÊTU est allé à la rencontre du duo Pégase et de sa musique psychédélique soigneusement compilée dans l’album Another World qui sortira le 27 mai.

Derrière cette figure mythologie ailée se cache Raphaël d’Hervez, ancien membre du groupe Minitel Rose, qui sort un premier disque sous le nom de Pégase en 2014. Pour Another World, son deuxième album qu’il a lui-même écrit, enregistré et produit, Raphaël s’est entouré d’Ana Benabdelkarim et de sa voix crépusculaire, laquelle réhausse avec majesté les titres mélodieux, innervés des sonorités pop et électro fidèles à Pégase. Partons à la découverte de ce nouveau monde...
TÊTU : Comment vous êtes-vous rencontrés ?

Ana : Raphaël cherchait quelqu'un pour faire des chœurs sur le morceau 'Well Bell' l'an dernier. Et comme on s'était déjà pas mal croisés à Nantes, qu’on connaissait des gens en commun... Moi j'étais dans un autre groupe à l'époque et j'étais déjà allée voir Pégase en concert...
Raphaël : C'était bien ?
Ana : Non. C'était nul, c'était horrible. Pire concert de ma vie ! (rires)
Raphaël : Ça manquait de femmes c'est ça ?
Ana : Exactement oui.
Raphaël : De femmes avec des cheveux bleus ?
Ana : Voilà, je me suis dit "je vais arriver, je vais tout sauver". Et du coup oui, il cherchait quelqu'un pour les chœurs...
Raphaël : Je suis un troll d’interview en fait je m'en rends compte. (rires)
Ana : Alors on va tout reprendre du début (rires). Donc il cherchait quelqu'un pour le chœur de 'Well Bell', et on a commencé un peu à bosser ensemble comme ça. Et puis les choses ont fait que Raphaël cherchait quelqu'un pour faire les claviers en live, et du coup moi je me suis proposée pour ça. Et en fait à ce moment-là Raphaël était en pleine composition de l'album, donc on s'est dit « pourquoi pas faire carrément des morceaux où on pourra utiliser ma voix ». Où je pourrais interagir comme claviériste et chanteuse.

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Raphaël : C'est né de la possibilité d'avoir des chœurs féminins, et puis en fait j'ai commencé à composer plein de choses pour Ana. Et même des morceaux juste pour elle. Je crois qu'une des toutes premières fois où j'ai eu un de mes premiers petits groupes - qui n'était pas au sein de ma famille parce qu'avec mes cousines j'avais un groupe de playback qui était mortel -, je jouais de la batterie, sur ma première batterie, une Tom & Jerry...
Ana : Oh la chance !
Raphaël : Ouais, mais maintenant on a une batterie Star Wars tu me diras ! Donc mon tout premier groupe c'était avec la femme de mon disquaire qui chantait, et moi je faisais de la musique. Et c'est marrant parce que la première expérience de collaboration que j'ai eu c'était avec une chanteuse, et j'avais 15 ans. Et c'est quelque chose que j'ai jamais refait depuis. J'ai toujours eu une sensibilité pour les voix féminines. Et de savoir qu'Ana allait être là au concert, j'ai commencé à composer des choses pour elle et ça s'est fait super naturellement. Je cherchais quelque chose de nouveau aussi pour ce deuxième album. J'avais envie de garder l'univers présent dans le premier, mais je voulais du neuf. Et je ne m'en suis rendu compte qu'après que Pégase était devenu un duo. C'était pas du tout prémédité. Ça s'est fait sur deux ou trois chansons puis sur toutes. C'est devenu une aventure à deux.

TÊTU : Comment vous répartissez-vous les tâches du coup ?

Raphaël : En composition c'est moi qui fait toute la musique tout seul. Pégase ça a toujours été un projet très solitaire, et de toute façon j'ai un rapport à la musique très solitaire. Je crois que j'ai vraiment joué absolument tous les instruments sur ce disque. Et quand j'ai fini le disque, Ana a chanté. En live par contre, là on est quatre. Axel Bourdon à la batterie, Jordan Baudouin à la guitare et au clavier.
Ana : Et à la basse un petit peu.
Raphaël : Oui, et Ana est aussi à la basse, au clavier, au chant, et moi je fais un peu de clavier aussi et du chant.

TÊTU : Donc tout le monde est polyvalent dans votre groupe ?

Raphaël : Oui moi j'aime bien ça en live. J'aime bien quand tout d'un coup la personne que tu crois être un claviériste devient en fait un bassiste. Je trouve ça vraiment sympa quand Jordan et Ana s'échangent les instruments. Mais c'est pas pour que ça soit cool, mais parce que c'est voulu. Parce que quand Jordan reprend la guitare, il faut que quelqu'un reprenne la basse. Il y aussi qu'on continue en live à jouer des morceaux du premier album donc il faut adapter les instruments.

Pegase interview
Crédit photo Gregg Bréhin

TÊTU : Ana c'est quoi ton "background", ta formation musicale ?

Ana : Alors moi j'ai commencé la musique assez jeune, parce que mes parents m'ont offert une guitare électrique à Noël. Le premier truc que j'ai appris c'était 'Starway To Heaven', un classique quoi. Du coup j'ai commencé la musique sauf que j'ai pas eu envie de prendre de cours car je ne suis pas super patiente. J'ai intégré un groupe vers la fin du collège, puis j'en ai changé vers la fin du lycée, et j'ai continué de groupes en groupes... ça n'a pas été calculé, ça a été un peu sur le tas et ça c'est fait comme ça. Je ne peux pas dire "j'ai fait 15 ans de conservatoire"... Moi le seul truc que je voulais faire à la base c'était de la musique, et donc j'ai suivi les trucs qui m'ont plu jusqu'à Pégase.
Raphaël : C'est marrant comme parcours. T'as eu un instrument, tu voulais en jouer et puis tu as eu des groupes. C'est un peu le truc inverse de moi qui ait beaucoup fait de musique seul, et qui ait eu assez tardivement de vrais groupes.

TÊTU : Si vous deviez citer l’artiste qui vous a marqué, ça serait qui ?

Ana : Ah moi c'est déjà tout prévu, c'est David Bowie. J'ai vraiment un rapport particulier à cet artiste. Je l'ai connu super jeune parce que mes parents me l'ont fait écouter, et c'est un des seuls artistes qui m'a "palpité", que je découvre encore aujourd'hui avec différents albums. Ça a été une influence hyper forte dans beaucoup de choses, dans la musique, dans les albums, dans les personnages...
Raphaël : Dans sa manière de cuisinier aussi…
Ana : Dans ma manière de cuisiner, dans ma manière de décorer mon appartement, dans ma manière de me tatouer, tout ce que tu veux ! C'est encore un énorme modèle. Ma première reprise c'était 'Moonage Day Dream' avec ma pote, pour la fête de la musique dans la rue. Si je devais citer qu'une seule référence ça serait David Bowie. En termes d'icône, en termes de musicien, en termes de personne.

TÊTU : T'as fait ton pèlerinage à Londres en janvier ?

Ana : Non, mais j'ai fait mon pèlerinage corporel (dit-elle en remontant la manche de son t-shirt pour dévoiler un tatouage). Je ne vais pas rentrer dans les détails, mais en soi c'est beau comme il est parti et comme il a laissé un album sur la scène musicale trois jours avant.
Raphaël : On dirait que tu parles de ton grand-père, je te jure ! (rires) Moi si je dois citer un groupe, et par contre je ne vais donner aucune explication, je dirais Wutang Clan.

Pegase interview

TÊTU : Pégase c'est le cheval ailé de la mythologie. Qu'est-ce qui t'attirait Raphaël dans cette figure ?

Raphaël : J'ai toujours été assez mauvais pour trouver des noms de projet. Et en fait là ça m'est tombé dessus comme une espèce d'évidence. Après j'avoue que je suis assez fasciné par les créatures, et celle-ci je l'aime particulièrement. En plus c'est marrant parce que j'ai trouvé le nom un peu avant de commencer la musique, et du coup ça m'a vachement guidé. Je pense que dans ma musique tu retrouves à la fois un côté aérien mais en même temps assez puissant que tu retrouves dans la créature de Pégase.

TÊTU : Comment définiriez-vous votre musique, sans emprunter le mot-valise "électro-pop" ?

Raphaël : Electro-pop je trouve ça effectivement assez réducteur, parce qu'il doit y avoir que trois chansons dans le disque qui répondent à des structures pop. Honnêtement, j'ai toujours été assez mauvais pour classifier. Je préfère donner le nom d'un artiste plutôt que le nom d’un style. Et y a un truc qui m'a fait marrer un jour, c'était un blog étranger qui écrivait plein d'articles sur moi, qui me suivait depuis mes débuts, et qui avait dit que j'étais parmi les créateurs d'un style de musique, je crois que c'était la dreamwave. Et j'avais trouvé ça mortel. C'est vrai qu'il y a un côté très rêveur dans ma musique, et un aspect très années 80 dans les textures et dans les matériaux que j'utilise aussi. Mon studio c'est un peu un voyage dans le temps. Quand tu rentres là-dedans tu te croirais en 1985.

TÊTU : Votre album s'intitule Another World. C'est quoi cet autre monde que vous proposez ?

Raphaël : En fait c'est juste la quête d'un autre monde. Moi depuis que je suis gamin j'ai toujours eu la sensation de ne pas être né sur la bonne planète, vraiment. J'ai toujours eu l'impression d'être un étranger dans mon monde, du coup c'est un peu la quête d'un autre monde. La quête de soi aussi en quelque sorte. Ça fait référence à pas mal de choses. Quelque chose qui me ferait plaisir c'est que quand les gens écoutent le disque ils aient l'impression d'être un peu ailleurs.

TÊTU : C'est quoi l'histoire de vos clips ? Cette fille que l'on suit…

Raphaël : C'est l'histoire de quelqu'un qui est dans son quotidien, qui ne se sent pas bien, et qui quitte tout. Ses amis, son mec, ses amis... Et elle va découvrir qu’en quittant tout ça, elle se fuit elle-même. Elle capte que tant que tu n'arrives pas à vivre avec toi-même, c'est super compliqué de vivre avec les autres. Et c'est un peu ça aussi Another World : chacun a son propre monde. Quand déjà t'en a conscience, c'est plus facile de vivre avec les autres. Après moi-même j'ai pas tout pigé. Il y a plein de chansons que j'écris et dont je ne comprends le sens que beaucoup plus tard.

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TÊTU : En parlant d'acceptation de soi, est-ce que vous avez une appétence pour les questions LGBT ?

Raphaël : Moi j'ai toujours été quelqu'un de super ouvert. Je suis pour que chacun puisse faire ce dont il a envie, mais même au-delà, les origines, tout. Je pars du principe que tant que tu ne fais pas mal aux autres, tu es libre de faire ce que tu veux. C'est pour ça que je respecte aussi beaucoup les religions. C'est un truc qui a toujours été important pour moi, et je me sens assez mal quand même des gens que j'aime bien disent des trucs... Genre tu passes dans la rue et ils font des petites remarques parce que quelqu'un est en burqa, parce que c'est deux nanas et qu'elles ont les mains dans les mains... J'ai même été prêt à m'engueuler avec des gens que j'aime bien pour défendre un inconnu dans la rue. Je ne fais pas trop de cadeaux avec ça, je suis même assez dur.
Ana : Moi je ne me suis pas des masses engagée dans certains trucs mais je pense, en tout cas en ce moment, que c'est la seule cause qui m'a toujours vachement parlé et tenu à cœur. La question du genre est une question qui me parle beaucoup. Par exemple il y a eu un festival l'an dernier qui était Loud & Proud qui ne va pas être refait cette année à la Gaité Lyrique. Et ça m'a vachement... A la base j'étais évidemment tolérante – ça ne me concerne pas la vie sexuelle des gens – mais c'est quelque chose qui m'a ouvert les yeux sur un monde qui est pour moi important à défendre. Et des valeurs qui sont très importantes à défendre. Quand il y a eu toute la question du mariage pour tous et tout, je me suis rendue compte qu'au-delà de juste dire « bah moi je suis en totale tolérance », c'était quelque chose pour lequel j'avais plus envie de me battre qu'une autre cause. Pour moi c'est une question très importante et qui mérite d'être représentée à travers des choses culturelles, à travers des personnes, à travers des artistes... C'est une question qui est en train d'évoluer. Il y a beaucoup de soirées, de festivals qui commencent à parler de ça et je trouve que c'est super important.
Raphaël : Moi ça me fait halluciné. Parfois t'as vraiment l'impression de vivre au Moyen-Âge. Et j'espère que dans quelques années, dans pas trop longtemps, on en parlera en mode "non mais tu te rends compte, deux hommes pouvaient pas se marier !", comme on parle aujourd'hui du fait que "tu te tends compte que les femmes ne pouvaient pas voter".
Ana : Ou que les noirs restaient au fond du bus.
Raphaël : Après tout le monde n'avance pas à la même... Et il y a de plus en plus d'ouverture sur le monde, ce qui fait que chacun voit ce qu'il se passe chez l'autre et ça crée des tensions, des haines, ce qui est dommage. A l'époque des débats sur le mariage pour tous, j'avais vraiment l'impression d'être au Moyen-Âge. Je n'arrive pas à comprendre comment on peut être aussi con. Je suis capable de comprendre pas mal de trucs, mais ça...

Pegase interview
Crédit photo Gregg Bréhin

TÊTU : Vous pensez pouvoir jouer un rôle à votre niveau ?

Raphaël : Je trouverais ça peut-être un peu prétentieux d'endosser ce rôle. Honnêtement moi je fais de la musique, déjà j'essaie de faire ça bien, et ça prend beaucoup de temps. Après, si j'avais une opportunité ou qu'on me proposait, bien-sûr. Avant j'essayais de pas tout mélanger entre ma musique et mes opinions, et puis en fait je me rends compte que plus je vieillis, moins je suis comme ça. Et plus j'ai envie de dire ce que je pense.
Ana : C'est vrai que là il y a une question de légitimité. Si ça te tombe dessus, genre si la communauté LGBT se reconnaît là-dedans et s'approprie vachement ta musique, tant mieux. Si ça arrive comme ça c'est plutôt cool.
Raphaël : Il y a plein de groupe qui ont vraiment un public gay. Alors ça arrive souvent quand dans le groupe il y a un artiste gay, mais pas que. De toute façon, ta musique, une fois qu'elle sort elle t'appartient plus, elle appartient à qui veut. Moi je suis ravi que ma musique plaise à des gays, des lesbiennes, des cathos, des arabes... Et c'est vrai que c'est assez génial de voir que ta musique est écoutée dans des pays super différents de toi. De voir aussi des gens de toute horizon, un peu catho, un peu de droite, qui adore ta musique, et puis des gens qui sont tout le contraire. Je trouve que c'est beau. Ça redonne un peu confiance. Il y a quand même des choses où des gens complètement différents peuvent se rencontrer et aimer la même chose. Des choses créées par d'autres gens, c'est chouette.

Pégase sera en concert au Café De La Danse à Paris le 23 juin.
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Crédit photo couverture Gregg Bréhin