Interview : Lenparrot : "rien ne m'empêche d'être avec un homme demain si le cœur m'en dit"

Par Julie Baret le 17/06/2016
Lenparrot interview

TÊTU a rencontré Lenparrot pour la sortie de son 2ème EP Naufrage : un produit raffiné et fragile qui tisse des lettres de noblesse à la pop minimale.

La musique de Lenparrot a tout d’une brise : retenue et sensible, elle souffle ses sonorités pop en empruntant l’embrun de la house minimale. Une promesse mélodieuse et cristalline qui saisit autant par sa fragilité que par sa sincérité. Pureté et simplicité semble ainsi être les maîtres-mots de « Naufrage », porté par le sublime « The Hidden Track ». Après « Aquoibonism » sorti en 2015, Lenparrot livre donc un second EP réussi et prometteur pour l’album à venir. Nous sommes partis à la rencontre de Romain Lallement, l’artiste derrière le pseudonyme. La voix céleste qui caractérise ses titres ne nous préparait pas à rencontrer un homme d’1m90 à la voix grave et profonde. Il nous a ouvert les portes de son univers, sur la terrasse d’un café du 10ème arrondissement parisien.
Et si tu nous parlais un peu de toi Romain ?

Je m'appelle Romain Lallement et j'ai 27 ans. Je suis claviériste et j'écris des chansons. Je fais ça depuis un peu toujours mais c'est mon activité principale depuis que j'ai environ 17 ans. Je suis chanteur de Rhum for Pauline et j'ai été claviériste pour Pégase pendant près de quatre ans. Et depuis 2014 je fais aussi mon projet solo qui s'appelle Lenparrot. Je suis née à Paris mais je vis entre Paris et Nantes depuis septembre. C'est là-bas que j'ai fait mon lycée et mes études en Lettres Modernes.

Pourquoi as-tu choisi Lenparrot comme nom d'artiste ?

J'ai toujours été sensible à la notion de clins d'œil dans la musique pop, parce que si on part du postulat que tout à déjà été fait alors autant affirmer clairement ses références. Et celle de Baxter Dury était une référence importante pour moi, suffisamment prégnante pour décider d'appeler mon projet solo Lenparrot, puisque c'est le nom de son premier disque : Len Parrot's Memorial Lift. Qui est un disque qui m'a grandement accompagné durant des années où j'étais peut-être pas forcément très à l'aise dans ma vie. Et ce projet solo a été la résultante de près de deux ans où je n'étais pas content de ce que j'écrivais. Pendant cette période un peu malheureuse, ce disque-là était vraiment un compagnon fidèle. Donc c'était un petit peu un hommage que de prendre ce nom.

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Tu collabores à plusieurs projets comme tu le disais, ça change quoi de bosser en solo ?

Quand j'ai commencé c'était un peu une cour de récréation car Pégase c'est le projet solo de Raphaël (d'Hervez, ndlr) donc on avait aucune part à la composition et à l'écriture. Et Rhum for Pauline je n'étais pas vraiment partie prenante des compositions, j'étais seulement aux arrangements et à l'écriture des paroles. Ce qui fait qu'en gros, quand j'ai commencé à écrire des chansons pour moi, c'était un exutoire. J'avais la direction entière de la chanson. C'est ça qui m'a fait vachement de bien quand je me suis remis à écrire sur ordinateur et à arranger tout de A à Z. Me retrouver face à un ordinateur et pouvoir tout faire, avoir une forme de liberté infinie c'était assez génial. Mais on n’est jamais véritablement seul quand on fait un projet solo et j'ai la chance d'avoir une superbe équipe à mes côtés aujourd'hui, avec qui j'avance, qui me fait prendre du recul. Le fait d'avoir des partenaires fidèles avec qui je travaille régulièrement, que ce soit "A deux doigts" pour toute l'illustration de mes titres et de mes pochettes, ou Elsa & Johanna avec qui j'ai collaboré à plusieurs reprises pour mes vidéos-clip. C'est génial d'avoir cette direction sans que ça soit tyrannique ou control freak et d'avoir le dernier mot.

Ta musique livre quelque chose de vraiment très pure, très cristallin. Comment es-tu arrivé à un tel résultat ?

Comme je ne manie pas très bien les logiciels, je me suis toujours contenté de faire un truc à ma portée. Ne pas partir sur des centaines et des centaines de pistes, avec plein d'effets et très orchestré... Je me suis dit que j'avais envie de faire un truc au service de la voix, de la mélodie et de la chanson. C'est comme si j'avais eu un magnétophone quatre pistes devant moi, et que je voulais capturer une émotion avec quasiment rien. Encore maintenant même si je maitrise un petit mieux les logiciels de composition, je reste avec ce truc de : toujours se contenter d'avoir le strict minimum. Un ou deux sons de clavier, de synthé, des voix, parfois un peu de cœur, une basse et des percussions et c'est tout. C'était pas volontaire au début, mais sans trop réaliser j'ai peaufiné cette esthétique et cet aspect pop minimal me plaît beaucoup. Juste avant d'écrire des chansons pour Lenparrot j'écoutais beaucoup de minimal house, et un artiste comme The Field qui part toujours en boucles de son, qui les triture, qui joue avec... J'aimais bien le fait de calquer ce principe sur de l'écriture pop. Travailler quelque chose dans les pures.

Après ton 1er EP Aquoibonisme, tu sors Naufrage, un 2nd EP. On doit y voir une référence à l’océan ?

Bah en fait c'est drôle parce que le premier n'est pas vraiment une référence à l'eau mais à l'expression "à quoi bon" ! C'est un clin d'œil - encore un - à Serge Gainsbourg et cette chanson qu'il avait écrite : L'aquoiboniste. Je trouvais cette expression super belle et j'aime bien ce jeu d'assumer de chanter en anglais en étant français, et donc d'avoir des incursions de mots français dans un paysage anglophone. Mais Elsa & Johanna qui réalisent mes clips trouvent aussi que dans ma musique il y a quelque chose de très très aquatique, quelque chose de très minéral. Et oui j'aime bien dans l'écriture avoir quelque chose d'assez immersif comme un plongeon. Se laisser tomber dans l'eau c'est une image que j'aime bien. Je suis très sensible à ce quelque chose d'aquatique. En plus avec Naufrage il y a quelque chose d'assez ironique, comme c'était déjà le cas Aquoibonisme : c'était assez sarcastique de dire "à quoi bon" pour une première sortie, mais c'était aussi une sorte de scepticisme optimiste du style "advienne que pourra", on verra bien ce que ça donnera. Mais bon il se trouve que ça se passe carrément bien pour le moment donc c'est chouette !

Lenparrot interview
Crédit photo Ben Pi

C'est quoi ton premier amour avec la musique ?

C'est Queen. Mon premier amour absolu de la musique c'était Freddy Mercury. La découverte de Queen quand j'avais cinq ans ça a été un électrochoc. C'est ce qui m'a fait réaliser que je voulais absoluement devenir chanteur. J'ai jamais regardé Star Wars par contre j'ai regardé les clips de Queen.

"I Want To Break Free" ?

Ouais alors celui-ci je l'aimais beaucoup beaucoup quand j'étais petit, mais ma préférée je crois que c'était "Radio Gaga". Il s'était déguisé en mode super-héro complètement cheap. Une sorte de version complètement débile et gay de Dragon Ball Z, ça ressemblait vraiment à un truc comme ça. Genre super-héro mais avec des moyens complètement série Z quoi. Et donc ouais j'avais envie d'avoir une grosse moustache et de chanter hyper haut. Alors pour la grosse moustache j'ai pas trop réussi mais pour chanter super haut j'ai pas mal bossé ! (rires)

C'était le musicien ou le personnage qui t'attirait ?

C'était tout, c'était l'esthétique. Moi aussi j'avais envie de porter des justaucorps comme Pierrot et je sais pas, pour moi c'était un super-héro, la possibilité de se réinventer à l'infini. Que ce soit d'être super glam avec des cheveux longs et hyper baroque au début, puis en mode en cuir et policier super homo année 80. Et puis d'être grimé. Il y a un autre clip que je trouve absolument magnifique de Queen qui s'appelle "I'm Going Slightly Mad", qui est en noir et blanc où il est super émacié à cause de la maladie mais en même temps il est trop beau. C'est pour ça qu'il l'avait fait en noir et blanc c'est pour qu'il reste absolument splendide. Il y a une pelleté de chefs d'œuvre dans leur discographie même jusqu'à la fin de leur vie, c'est assez impressionnant.

Toi t'as envie de cultiver ça, le fait de se créer un alter-égo ?

Oui et non, parce que Lenparrot je crois que c'est déjà un peu une sorte d'alter-égo. Il n'y a pas vraiment un double à proprement parler mais je crois en même que si j'endosse un petit peu ce costume de moi qui n'est pas moi quand je suis sur scène. Je ne suis pas vraiment Romain Lallement mais l'expression artistique de qui je suis. Et ce jeu avec la voix très haut perchée puis davantage crooner, il y a un truc de personnages, de discussion entre différentes entités qui se bousculent. Ça j'aime bien. Mais de là à créer mon Ziggy Stardust je sais pas trop. Peut-être que ça viendra, peut-être qu'un jour j'arriverai grimé en femme. Ça m'a toujours attiré d'assumer ça dans le cadre d'un spectacle. Mais j'en suis pas encore là je veux déjà arriver à écrire les chansons les plus sincères, arriver à passer l'épreuve d'un premier album et faire en sorte qu'il soit réussi ou du moins que je puisse en être fier.

Tu penses peut-être un jour à te grimer en femme pour le show, le spectacle, ou parce que les questions du genre sont des questions qui t'intéresse ?

Enormément oui. Enormément parce que je ne saurais pas exactement dire quel genre je suis. Je ne me sens absolument pas pleinement masculin dans qui je suis. Je peux avoir une grosse voix et mesurer 2 mètres, je ne me sens pas pleinement garçon dans mon corps. Je ne suis pas malheureux dans mon corps de garçon, j'ai pas l'envie de changer de sexe mais par exemple je pense que dans Lenparrot il y a une énorme part de féminité qui s'exprime. De là à dire que Lenparrot c'est la femme qui est en moi, c'est pas vrai. Mais dans le genre et dans le glam, quand je chante sur scène dans Lenparrot, je me sens profondément féminisé. Et il y a toutes formes de sensualité et d'érotisme dans mes chansons et mes textes, parce que l'amour dans toutes ses formes c'est quelque chose qui me questionne. L'amour homosexuel également. Il y a plein de chansons qui traitent de ça, qui ne sont pas encore des chansons que j'ai sortie, mais même par exemple le titre "Amadeo's Wife" c'est ça ou "The Hidden Track" c'est aussi ça, ça parle d'un homme qui s'adresse à un autre homme. Il y a plein de choses qui parlent de ça parce que si je n'étais pas avec ma femme aujourd'hui, peut-être que je serais avec un garçon. C'est plein de questions que j'aime aborder dans mes chansons.

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Derrière ces questions est-ce qu’il y a un message ?

Je ne sais pas vraiment si j'ai des messages à délivrer. Ces chansons c'est comme une sorte de petite collection de points d'interrogation. J'ai aucune vérité absolue à délivrer mais c'est des histoires qui j'espère font écho chez ceux qui les entendent et qui les apprécient. Le seul message que je pourrais donner c'est d'essayer de s'accepter et de ne pas se mentir même si c'est parfois douloureux ou pas évident. Si d'une manière ou d'une autre ma musique peut conforter, peut consoler, peut réconforter alors j'ai rempli la "mission" que je m'étais donné.

Ça veut dire quelque chose pour toi de paraître dans TÊTU ?

Ouais complètement. C'est un public que j'aime et que je respecte, que je connais bien. Et ça fait sens pour moi, je suis heureux de pouvoir m'exprimer au sein de ce magazine parce que... je ne sais pas comment le dire... ça me rend heureux, je suis content. Et si tenté qu'il y ait... bon je suis un peu dérangé par ce terme de "communauté"… on est ensemble, et je m'y reconnais, je m'en sens super familier. Et je suis très heureux de pouvoir discuter avec toi dans TÊTU aujourd'hui.

Ta famille et ton entourage sont au courant de ton orientation sexuelle qu'on pourrait qualifier d'ouverte ?

Je doute que mes grands-parents soient parfaitement à même de pouvoir saisir ça. Ils sont assez old-school, assez tradi, et pas très ouverts sur toutes ces questions-là. Ma mère est tout à fait au clair avec ces choses-là et c'est même d'ailleurs assez dingue parce qu’il y a une chanson qui s'appelle "The Boy With a Golden Smile" que j'ai écrite et qui parle de ça, d'un jeune garçon qui découvre l'amour avec un autre garçon. Et ce garçon c'est un peu moi je crois sur plein de questions que j'ai eu en tête quand j'étais petit. Et c'est un peu un clin d'œil à ce gamin qui était un peu en souffrance je crois sur ces questions-là. Et quand j'ai joué cette chanson-là à ma mère, elle a éclaté en sanglots.

Elle a tout compris ?

Oui je crois qu'il y a pas mal de choses qu'elle a compris là-dessus et ça m'a fait du bien qu'elle saisisse toutes ces choses-là. Que si par exemple je me séparais de mon amoureuse demain, c'est absolument pas impossible que je puisse sortir avec un garçon ensuite. Je ne tombe pas amoureux d'un sexe mais d'une personne donc à partir de là c'est juste une succession d'histoires en fait.
Mon père je le sais absolument pas homophobe, et absolument ouvert et respectueux et intelligent sur ces questions mais je ne sais pas quelle serait sa réaction si au sein de sa propre famille, son fils... C'est d'ailleurs ça qui me questionne. Mais bon c'est pas à l'ordre du jour parce que je suis fou amoureux de la personne avec qui je vis et il se trouve que c'est une fille donc je suis super serein là-dessus. Mais je sais pas que c'est pas écrit, je me laisse la possibilité de vivre ce que j'ai envie de vivre tout simplement si jamais je me sépare.

Lenparrot interview
Crédit photo Maxence Lebreux

Tu souhaiterais militer en faveur des droits LGBT ?

Absolument. Au sein d'une asso je ne sais pas parce que j'ai pas d'étendard à porter particulièrement, et puis je ne sais pas quel est le rôle à tenir là-dessus en tant qu'artiste. Après évidemment si en tant qu'artiste ma voix peut permettre de défendre et combattre les inégalités à ce sujet, alors j'en serais, complètement et absolument. Combattre quelque chose qui ne devrait plus aujourd'hui être un combat, c'est juste ça qui me semble primordial. Et si au sein de mes chansons je peux porter ça et clamer ça et permettre à tout le monde d'aimer et de faire l'amour comme il le souhaite sans avoir honte et sans rougir... ça je le prône complètement. Et si tant est que ça c'est du militantisme, alors oui complètement.

T'as voyagé un peu dans ton parcours pour comparer la situation de la France avec d'autres pays ?

Oui mais dans des pays où je pense que c'est aussi avancé qu'en France donc j'ai pas eu à me protéger ou à ne pas me mettre en danger. Mais Olivier qui joue à mes côtés qui est gay m'a raconté certaines vacances où il savait qu'il y avait des endroits comme au Maroc ou à Malte où ça serait peut-être un peu compliqué, et ça c'est tragique. Mais avec Lenparrot, le seul concert qu'on a donné à l'étranger c'était à Londres donc on était pas trop embêtés là-dessus ! Mais évidemment que j'adorerais aller jouer en Russie ou en Ukraine et peut-être me retrouver confronté à ça.

En ce moment c'est la saison des Marches des fiertés un peu partout en France. T'as prévu d'y aller ou ça ne t'intéresse pas ?

C'est pas que ça ne m'intéresse pas, parce qu'étymologiquement les fiertés lesbiennes, gays, trans et bi c'est vrai qu’il ne faut pas en avoir honte. Après je n'y vais pas parce que je trouve les chars un peu too much et la musique qui passe dessus un peu too much aussi. Mais ça n'est pas parce que je n'y vais pas que je ne soutiens pas en tout cas.

Par conséquent, si ton père lit cette interview, il apprendra que tu peux potentiellement être attiré par les femmes comme par les hommes. Est-ce tu es à l'aise avec ça ?

Complètement. Je me dis qu'en somme je n’ai aucune crainte à avoir là-dessus. Je ne suis sous aucune tutelle sur ce que je veux faire avec mes sentiments ou avec mon sexe. Je l'ai pas abordé avec lui jusqu'ici parce que c'est pas forcément une discussion que j'ai envie d'avoir, parce que je me considère comme quelqu'un d'adulte aujourd'hui et donc voilà. Mes sentiments et ma sexualité ne doivent être inféodés de personne, tout simplement. Et pour autant, s'il l'a lit je serais très clair à ce sujet, que rien ne m'empêche ni ne m'interdit d'être avec un homme demain si le cœur m'en dit. Et si ça peut provoquer une discussion et que justement il se pose des questions et qu'il a des choses à savoir à mon sujet là-dessus, je serais évidemment ouvert à la discussion.

Merci beaucoup Romain !
Lenparrot sera en concert au Café de la Danse à Paris, jeudi 23 juin, puis il jouera au Parc de la Gloriette de Tours samedi 25 juin. Il poursuit l’écriture et la composition, en vue d’un premier album qu’il nous tarde de découvrir ! Pour écouter ses titres ça se passe ici.

Pour en savoir plus :

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Crédit photo couverture Gregg Bréhin