Daniel Picado : "La sexualité et l’érotisme font définitivement partie de mon travail"

Par Julie Baret le 11/07/2016
Daniel Picado

Rencontre avec Daniel Picado, un artiste portugais qui fait le pont entre la photographie de mode et la photographie d’art.

Des garçons aux filles, des tableaux figuratifs aux fashion show, de parfaits inconnus à l’acteur Rodrigo Soares, Daniel Picado jongle d’un sujet à l’autre sans perdre sa patte : une plasticité érotique et un sens de la « scène ». A travers des thématiques aussi variées que le sont ses sources d’inspiration, cet artiste-photographe portugais brosse avec humour et ironie les différents aspects de la condition humaine. Passons derrière l’objectif.

Daniel Picaco
Crédit photo Daniel Picado

Bonjour Daniel. Et si tu te présentais à nos lecteurs ?

Salut tout le monde, je m’appelle Daniel Picado. Je suis artiste et je travaille à Paris depuis maintenant 7 ans ; c’est là que je suis devenu pro dans un domaine qui n’était au début qu’un passionnant hobby : la photographie !

Est-ce que tu pourrais nous résumer ton parcours ?

Ouh la… Mon inconstance est bien ma seule constante mais je vais faire de mon mieux. Je suis un « fils » de la Révolution, je suis né au début des années 1980 dans le sud du Portugal, quelques années après la révolution portugaise et je suis fier de faire partie de cette génération pour qui les portes étaient ouvertes après la dictature. Après 1974, même si on n’avait pas grand-chose, on avait conquis la liberté d’exister, la liberté d’avoir une opinion et de poursuivre ses rêves. Et c’est ce qui résume ce que je suis et mon approche de la photographie et à la vie : viser des objectifs importants avec peu de moyen de manière quasi obsessionnelle. Je n’ai pas suivi de formation photographie mais depuis tout jeune je suis intéressé par l’art. J’ai pris des cours de design à 15 ans et j’ai suivi l’enseignement d’un professeur des beaux-arts à Lisbonne. C’est cela qui m’a donné l’envie d’être artiste à Paris.
Un jour j’ai pris un aller simple pour Londres avec mon sac à dos rempli de rêves et de quelques livres, je me suis fait de l’argent en lavant des voitures. Puis de retour au Portugal je me suis engagé dans les Forces Spéciales portugaises. J’ai quitté la Marine au grade de sous-lieutenant et j’ai décidé d’étudier la psychologie. 5 ans après j’ai fait mon internat au département psychiatrique de l’Institut de Médecine légale de Lisbonne. Puis j’ai décidé de partir à New York, la ville qui avait formé Basquiat, Warhol, Chagall, Kerouac et les autres. J’étais sans papiers à Greenwich Village et je dormais dans un van que j’avais loué, sans savoir quelle serait la prochaine étape. J’ai saisi toutes les opportunités que m’offrait la ville, et finalement c’est la photographie qui m’a happé. J’ai commencé par travailler pour d’autres photographes avant de mener mes propres projets photo et vidéo mais c’était presque impossible d’obtenir un visa donc je suis retourné en Europe.

Daniel Picado
Crédit photo Daniel Picado

Je me suis de nouveau retrouvé dans un van, mais à Paris cette fois-ci. Un de mes amis m’a dégoté un job au room service d’un hôtel. Puis mon travail a commencé à se faire remarquer, et peu de temps après j’étais publié dans de grands magazines, je collaborais avec les principaux designers et mes photos décorait la rue Saint-Honoré. Je gagnais ma vie dans la photographie de mode mais je n’étais pas pleinement satisfait, j’ai eu envie de changement. J’ai commencé à m’investir de plus en plus dans mon travail personnel et j’ai fait quelques expositions.
En 2013 Armand Hadida et Ora Ito m’ont invité au Tranoi Fashion Tradeshow. J’ai décidé que je devais tenter ma chance dans la photo d’art sans quitter la photo de mode. En fait ça a toujours été l’un de mes principaux objectifs que de trouver ma place dans le « pont » qui sépare la photo de mode et les beaux-arts. J’adore les photos de mode mais il y a quelque chose dans la photographie d’art que je n’y retrouve pas. J’aime, peut-être à cause de mon parcours, explorer les particularités de chacun. Dans la mode, la plupart des particularités qui m’intéressent sont considérées comme des défauts ; d’après moi il y a une interprétation limitée de la beauté. Pour moi ce sont les détails les plus intéressants quand je photographie quelqu’un. J’adore les cernes, les rides, les cicatrices, les asymétries… J’adore les imperfections !

Aux vues de ton expérience je comprends mieux pourquoi tes projets de photo sont aussi variés. Quelle est ta ligne directrice ?

C’est vrai que mon œuvre est hétérogène. C’est peut-être le résultat d’une pensée existentialiste dans mon approche de la photographie et tout le reste. Je ne suis qu'un simple observateur/narrateur de mes propres expériences. Mon travail est inspiré par de simples évènements de la vie sans trop de préméditation. Je n’utilise même pas d’appareil photo professionnel ou haut de gamme mais du matériel que j’adapte suivant mes besoins. Ce que j’essaie d’explorer avec ironie et humour c’est la condition de la vie humaine, son absurdité, et la beauté de ses aspects positifs comme négatifs. La capacité de rire de soi-même.

Daniel Picado
Crédit photo Daniel Picado

Et en ce moment sur quoi travailles-tu ?

En ce moment je crée un « bestiaire », un recueil de créatures fantastiques. C’est un projet inspiré du Livre des Êtres imaginaires de Jorge Luis Borges.

Est-ce que tu peux nous expliquer le sens de ton projet « Shameless » avec des hommes nus ?

Dans cette série j’attrape la réaction spontanée de ces modèles masculins à qui j’ai demandé de poser sans leurs vêtements… Il est plus courant d’avoir des modèles féminins à qui on demande de se dévêtir devant l’objectif. Et c’était hilarant de voir la réaction des mannequins : certains sont sûrs d’eux, d’autres incroyablement timides, et ainsi de suite. Et je dois dire que je suis très content du résultat final.

Daniel Picado
Crédit photo Daniel Picado

Tu photographies des hommes et des femmes, on ne peut pas réellement deviner ton orientation sexuelle. Est-ce que tu peux nous donner un indice ?

La sexualité et l’érotisme font définitivement partie des principaux aspects de mon travail. Mais pour être honnête, ce n’est pas ma propre sexualité ou mon propre érotisme que j’explore, je ne fais que les photographier… même si ces deux aspects – la sexualité et l’érotisme – sont intrinsèquement liés à moi. Tout comme en psychologie, il faut de l’empathie pour atteindre la « vraie » personne de l’autre côté de l’objectif.

Daniel Picado
Crédit photo Daniel Picado

Aujourd’hui tu t’adresses à un média LGBT. As-tu un peu mot à adresser à la communauté LGBT qui traversait il y a quelques semaines la tragédie d’Orlando ?

Malheureusement j’ai vécu de près une tragédie similaire. Il fut un temps je travaillais le jeudi soir au Bataclan. J’ai arrêté de travaillé là quelques mois avant l’attentat. Il y avait des gens que je connaissais à l’intérieur, je connais chaque recoin du lieu, je ne m’empêcher d’imaginer tous ces gens désorientés qui courraient avec l’espoir de réchapper à la mort ce soir-là… Alors oui j’ai un petit mot, pas seulement pour la communauté LGBT mais pour tout le monde : il n’y a aucune justification religieuse, économique, raciale, sexuelle ou quoi que ce soit d’autres aux évènements auxquels nous assistons aujourd’hui. Nous sommes tous des êtres humains, nous sommes tous égaux, et nous sommes tous nés libres avec le droit de vivre, de rêver, d’être heureux, et de se respecter mutuellement.

Daniel Picado
Crédit photo Daniel Picado

 
Retrouvez ses photographies sur le site officiel de Daniel Picado.

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Crédit photo couverture Daniel Picado